Insécurité : mais que se cache-t-il derrière cette minimisation constante des problèmes vécus par les Français ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron TF1
Emmanuel Macron TF1
©LUDOVIC MARIN / AFP

Déni ?

Lors de son entretien sur TF1 cette semaine, Emmanuel Macron a évoqué son choix d'appliquer une "tolérance zéro" vis-à-vis des actes d'"incivilités" qui se multiplient. La mesure réelle du problème de l'insécurité en France ne semble pas avoir été pleinement prise en compte.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico.fr : Alors qu'Emmanuel Macron évoquait lors d'une interview accordée à TF1 une "tolérance zéro" vis-à-vis des actes d'"incivilités" qui se multiplient dans notre pays, la mesure réelle du problème de l'insécurité en France ne semble pas avoir été pleinement prise en compte par le président français. Peut-on parler de déni ? Quelles en sont les racines ?

Christophe de Voogd : J’observe d’abord que le Président ne se distingue guère de la plupart des médias sur ce point : pas une question des journalistes dans l’interview du 14 juillet sur le sujet. Une question le 21, toujours sur TF1, où le mot d’« incivilités » est prononcé par le journaliste lui-même. Et j’observe que ce mot, euphémisme caractérisé, s’impose peu à peu. Au demeurant il y a eu très peu de reprises de ce passage de l’interview dans les commentaires, qui se sont concentrés sur les masques et le sommet européen. Et la couverture médiatique des drames récents, notamment du meurtre d’Axelle Dorier à Lyon, a été lacunaire et inégale.

Or, le Président, comme tout politique, suit de près l’agenda médiatique. Pourquoi donc s’investir sur un sujet délicat et où son bilan est mauvais, comme le montrent les statistiques de l’Observatoire de la délinquance (promis à une disparition prochaine), si les médias ne s’en soucient pas ?

A quoi s’ajoutent sans doute des facteurs plus personnels : Emmanuel Macron est un homme qui a toujours été « protégé » dans tous le sens du terme : ni ses origines géographiques et sociales, ni son parcours dans les grandes écoles, les ministères, la haute finance et à l’Elysée ne l’ont mis en contact direct avec ce type de problème.

Son approche socio-économique de la délinquance (comme de tous les sujets politiques) enfin contribue à cette minimisation : il faut d’abord réformer la société et les problèmes disparaîtront : investissements, services publics et surtout emploi dissiperont le malaise des « quartiers ». D’où le plan considérable en termes financiers, tourné vers l’emploi des jeunes, qui va être annoncé ce jour même.

Enfin, on ne peut rien exclure, y compris une forme de « naïveté », que Lionel Jospin avait reconnue en son temps - et à contretemps.

Philippe Fabry : Dès lors que l’on parle d’incivilités pour d’honnêtes citoyens, voire agents investis d’une mission de service public ou d’une autorité publique, qui ont été tabassés à mort ou massacrés à 130 km/h, il est difficile de ne pas parler de déni, et la juxtaposition à cela de l’idée de « tolérance zéro » a l’air, selon le sens de l’humour que l’on a, d’une mauvaise plaisanterie ou d’un révoltant oxymore. Il y a un déni, de toute évidence. Quelles en sont les racines, c’est plus complexe.

En quoi consiste-t-il, d’abord, ce déni, ce refus de nommer le retour d’une violence barbare, gratuite, d’humiliation, de domination ? Il ne peut s’agir d’une simple minimisation par complaisance avec la délinquance en elle-même, donc c’est que la complaisance est envers les délinquants. Quelle est l’identité des délinquants, majoritairement, en France ? Des individus issus de l’immigration africaine. Il suffit d’avoir un jour déposé plainte et avoir été invité par les services de polices à tenter une reconnaissance formelle sur le fichier Canonge (le trombinoscope du Système de traitement des infractions constatées), ou plus simplement d’aller consulter le rôle d’une audience correctionnelle pour constater, en particulier si l’on fait abstraction des délits routiers le lien entre populations issues de cette immigration et délinquance. Sans l’immigration de ces cinquante dernières années, nous aurions probablement des taux de délinquance proches de ceux du Japon. La société multiculturelle favorise les conflits pour un tas de raisons : parce que la distance culturelle diminue l’empathie, l’identification à l’autre qui est un des premiers freins psychologiques à l’agressivité ; parce qu’une partie disproportionnée des populations immigrées est composée d’individus soit qui étaient déjà des délinquants dans leur pays d’origine et fuyaient la répression légitime de leurs agissements, qu’ils reproduisent ensuite dans leur pays d’accueil, soit qui sont des individus énergiques, mais dont l’énergie, en l’absence de qualifications utiles, trouvera d’abord à s’exprimer dans les activités criminelles ; parce qu’une partie de l’immigration est dans la plus grande précarité imaginable, sans papiers, sans domicile, sans vêtements, sans argent, sans relations et ne connaissent pas la langue, par conséquent condamnés à vivre de rapines. Et enfin, bien sûr, l’immigration en provenance de sociétés plus violentes que les sociétés européennes, qui sont parmi les plus policées du monde, porte avec elle une propension à la délinquance supérieure. Et donc, en important en masse des populations immigrées, on importe, à proportion, et même à surproportion, de la délinquance.

Le déni de « l’ensauvagement », le refus de désigner l’évolution de la délinquance telle qu’elle est, est directement lié à la volonté de protéger l’image de la société multiculturelle heureuse et sa racine et corollaire, l’immigration extra-européenne de masse. C’est le refus de « faire le jeu » des discours hostiles à l’immigration, que l’on voit à l’oeuvre quotidiennement, depuis des décennies, dans les euphémismes médiatiques qui parlent de « jeunes » et modifient les prénoms en les remplaçant par ceux du calendrier traditionnel.

La question qui se pose naturellement est alors : pourquoi vouloir à tout pris préserver cette image ? Pourquoi ne pas accepter le constat d’échec ?

Il y a évidemment des raisons psycho-historiques fortes : la lutte contre le racisme et les discriminations est devenu un élément de l’identité occidentale à l’époque de la lutte contre le nazisme, et une Europe culpabilisée cherche à expulser de lui-même tout ce qui ressemblerait à du fascisme, en s’imposant une discipline sociale de mélange et de métissage que les autres sociétés ne recherchent pas. En outre, nous sommes culturellement colonisés par l’imaginaire américain depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et nous avons tendance à appliquer l’idée de melting pot comme s’il s’agissait d’un modèle gagnant.

Mais je ne suis pas sûr que ces motivations psychologiques suffiraient seules à maintenir une immigration de masse alors que depuis longtemps les deux tiers des Français n’en veulent pas. Il y a des intérêts particuliers, des intérêts énormes, derrière la politique d’immigration de masse, qui est un pilier de notre système économique, que l’on peut désigner sous le vocable de consumérisme immigrationniste. Nos élites, en effet, sont keynésiennes : elles considèrent depuis des décennies qu’il faut stimuler la demande des ménages et la consommation pour obtenir du dynamisme économique. Or, il y a des tas de biens de consommation pour lesquels la demande est limitée : vous n’achetez pas un téléviseur tous les ans, et une fois les ménages équipés en masse d’un nouveau standard de produit, la consommation plafonne voire régresse. D’autre part les Français ont un tempérament d’épargnants, et ont tendance à ne pas consommer une bonne partie de l’argent qu’on leur verserait dans l’espoir qu’ils consomment. Et donc, lorsque vous pensez qu’il faut stimuler l’économie par la consommation mais que vous savez que la population ne consommera pas plus si vous lui donnez plus d’argent, quelle est la solution ? Importer en masse des consommateurs qui auront besoin de s’équiper intégralement, et leur allouer en masse des crédits pour qu’ils consomment. Peu importe que ces gens soient qualifiés ou non, les gouvernants s’en moquent parce qu’ils ne cherchent pas à importer d’abord des producteurs, mais des consommateurs. S’ils trouvent une utilité dans un emploi, tant mieux, mais ce n’est pas la priorité. L’immigration de masse est donc un moyen de faire circuler l’argent, en le prenant par l’impôt et les cotisations sociales à des Français autochtones qui sans cela auraient le mauvais goût de le mettre de côté – ainsi ricane-t-on beaucoup, sur les réseaux sociaux, sur les images de files d’individus d’origine africaine qui font la queue pour acheter des téléviseurs au moment du versement de la prime de rentrée. Et pour obtenir un effet encore plus important, outre cette distribution du produit de la confiscation fiscale et sociale, on distribue aussi de l’argent emprunté. Quels sont les secteurs de l’économie qui bénéficient le plus de ces politiques ? La grande distribution et les grands groupes en général, de téléphonie, de BTP (puisque le secteur de la construction est également nourri des aides sociales au logement) sont les plus gros bénéficiaires de cette stimulation de la consommation. Or les grandes entreprises, en France, ont des conseils d’administrations peuplés d’énarques qui peuvent ainsi vivre une vie confortable de princes de l’économie alors qu’ils seraient pour la plupart rigoureusement incapables de créer ni même de diriger efficacement de grosses entreprises, et donc d’atteindre ces niveaux de revenus dans une économie entrepreuneuriale saine. La stimulation par l’immigration de masse et la distribution d’argent destiné à la consommation via les aides sociales est donc au coeur d’un pacte entre les élites technocratiques et les grands groupes : les premières gagnent des places lucratives à vie, les seconds une subvention indirecte qui permet d’accroître les profits en vendant avec une forte marge des produits souvent importés de Chine.

Et il y a encore d’autres intérêts, moindes mais plus partagés : une main d’oeuvre à très bas coût pour des services de livraison, ménage et garde d’enfants pour les élites urbaines, une population qui une fois naturalisée a tendance à voter à gauche... tout cela forme un écosystème, dans les élites au sens plus large du terme, qui pousse à voir l’immigration de masse comme un « enrichissement » (au sens propre du terme, avant tout), et ce relatif unanimisme des élites dirigeantes au sens large explique comment peut être si longtemps et si constamment menée une politique si contraire à la volonté majoritaire de la population, et pourquoi le sujet de la délinquance, qui est une conséquence accessoire mais pesante de l’immigration de masse, est une sorte de tabou.

Ce genre de déconnexion entre les élites dirigeantes et la masse du peuple est assez rare dans l’histoire, et dangereuse. Le meilleur parallèle que je vois, peu rassurant, est avec l’attitude de la monarchie envers la montée de la minorité protestante au XVIe siècle : durant des décennies, la monarchie a été très complaisante avec la minorité protestante pour des raisons diverses : d’abord parce qu’il n’y avait pas de chape de plomb et qu’une certaine liberté d’expression et de débat, en ce siècle de l’humanisme, ne rendait pas toute critique de l’Eglise ou interprétation des écritures insupportable à l’ordre social au point de provoquer des persécutions dès lors que la critique n’attaquait pas le pouvoir royal lui-même, qui en outre pouvait tirer profit d’une position d’arbitre entre l’Eglise et ses détracteurs ; ensuite parce que, pour des raisons stratégiques qui trouvaient dans les principautés protestantes allemandes un contrepoids indispensable contre les Habsbourgs catholiques, ménager la foi protestante à l’intérieur du pays semblait un bon calcul ( on trouve le même rapport aujourd’hui dans l’indulgence coupable envers les prêches islamistes pour se ménager les pétromonarchies du Golfe) ; enfin le fait qu’une partie de l’aristocratie trouvait un intérêt à embrasser la foi protestante, pour de multiples raisons sociales (se distinguer du commun), morales (gagner une indépendance spirituelle vis-à-vis du clergé)... L’écosystème des élites de la monarchie et de leurs préoccupations poussaient donc à la complaisance envers les protestants, et cela quoique le peuple leur fût hostile et qu’ils ne représentassent que 10% de la population. En 1562, la monarchie officialisa même sa tolérance par un édit, dont les conséquences immédiates furent l’enhardissement violent des protestants, qui se mirent à saccager des églises et briser des statues (cela nous évoque des événements récents) ce qui entraîna des confrontations avec le peuple catholique, des massacres et in fine trente ans de guerre civile débouchant sur une partition du territoire avec l’Edit de Nantes. Quand on se souvient de certains propos rapportés de François Hollande ou de ceux de Gérard Collomb quittant le ministère de l’Intérieur, cela fait un peu froid dans le dos.

Alors que la plupart des commentateurs politiques classaient Emmanuel Macron à droite, cette minimisation des enjeux de sécurité ancre-t-elle finalement Emmanuel Macron à gauche du champ politique français ?

Christophe de Voogd : Nous sommes ici typiquement dans le « en même temps », et dans ses limites : la politique économique d’Emmanuel Macron est plutôt de droite, au sens français du terme, c’est-à-dire un saint-simonisme teinté de libéralisme, mais où l’Etat joue toujours le rôle clef, et de plus en plus avec la crise actuelle. 

Il faut donc donner des gages à la gauche en lui laissant tout le domaine sociétal : d’où la grande cause féministe, la PMA, la loi Avia, les discours mémoriels etc. On l’a vu avec la tenue des deux grands ministères régaliens en charge de ces questions, l’Intérieur et la Justice, par deux socialistes Christophe Castaner et Nicole Belloubet. Il faut absolument prendre en compte, pour le comprendre, de la nature profondément hybride d’« En marche », où les socialistes et anciens socialistes sont très nombreux, surtout à l’Assemblée. Il y va donc pour Macron de la cohésion et du soutien de sa majorité parlementaire qui, on le voit, renâcle de plus en plus. Ce n’est pas rien. 

Philippe Fabry : Je pense qu’Emmanuel Macron est sincère et cohérent dans son positionnement ni droite ni gauche, comme du reste l’est Marine Le Pen dans le sien : ils sont respectivement ce que Fabrice Bouthillon appelle un centriste par exclusion des extrêmes et une centriste par addition des extrêmes : Macron s’inscrit dans la tradition du gouvernement pour « deux français sur trois » de Giscard, et Marine Le Pen allie tant bien que mal le discours traditionnel du FN avec un programme économique proche de celui de Mélenchon. Macron navigue depuis le début de sa présidence entre le centre gauche et le centre droit, comme son positionnement l’implique, mais vouloir l’étiqueter d’un côté ou de l’autre c’est ne pas comprendre sa nature. Il représente authentiquement cette phase d’unanimisme idéologique des modérés, dont la « montée du populisme » n’est en fait que le pendant, car en réalité le populisme naît quand les modérés des deux côtés cessent de prêter l’oreille à leurs radicaux pour ne discuter qu’entre eux, et poussent donc tous les exclus du débat politique à s’unir dans l’agitation pour essayer d’être entendus – et alors on les traite de « rouges-bruns ».

Que révèle le choix par Emmanuel Macron de Nicole Belloubet puis de Dupond-Moretti au poste de garde des Sceaux sur sa vision de la Justice ? S'inscrit-elle finalement dans celle du gouvernement Hollande ? 

Christophe de Voogd : Bien malin qui peut dire exactement où se situe Dupond-Moretti ! Ses déclarations sont contradictoires et changeantes, comme les causes qu’il a défendues en tant qu’avocat. Je le crois plus libertaire que de gauche traditionnelle. La continuité avec Robert Badinter est plus nette qu’avec Nicole Belloubet :  on retrouve chez les deux hommes l’habitus des avocats pénalistes qu’ils sont tous deux : souci de la condition pénitentiaire, défense de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction. En soi, ce sont de bonnes choses, en un temps où les magistrats ont trop pris l’ascendant, y compris dans les affaires politiques. Il faudra attendre la définition de la nouvelle politique pénale pour se prononcer définitivement. Mais tout indique que l’on restera dans une perspective de gauche en la matière, avec l’insistance sur la « prévention ».
En tout cas, cette nomination confirme le type d’homme politique qu’est Emmanuel Macron : selon moi, il a plus à voir avec François Mitterrand qu’avec François Hollande ; Le « en même temps » du président actuel n’est-il pas la version positive du « ni-ni » de Mitterrand ? Et les analogies sont nombreuses entre « le Florentin », comme on surnommait Mitterrand, et le spécialiste de Machiavel, auquel notre Président a consacré son mémoire de maîtrise.

Philippe Fabry : Concernant la nomination d’Eric Dupond-Moretti, et sans vouloir donner dans le mauvais esprit, je pense que les premières préoccupations y ayant présidé étaient d’une part de donner du grain à moudre aux médias et du relief à un remaniement ministériel d’une fadeur tout à fait déconnectée de la gravité de la crise en cours, et d’autre part d’obtenir – ce qui est arrivé – le retrait de la plainte déposée par Dupond-Moretti dans l’affaire des écoutes concernant Nicolas Sarkozy, affaire qui risquait, avec un personnage si tonitruant impliqué, de faire beaucoup de mal à Emmanuel Macron, alors qu’on apprenait qu’une enquête contre Alexis Kohler avait été close sur simple lettre du Président, et que des révélations fâcheuses sortaient sur le traitement de l’affaire Fillon par le Parquet Financier. Selon moi ce sont donc des considérations de basse, voire très basse politique qui ont conduit Dupond-Moretti au ministère, tout autre critère venant loin, très loin derrière. Et en soi je pense que cela dit quelque chose de cette présidence, qui est en effet dans la lignée du gouvernement Hollande : il n’y a tout simplement pas de vision de la Justice, il n’y a qu’une vision de la politique, de la préservation du Pouvoir par les élites en place. La Justice, comme tout le reste, n’est qu’un levier d’action politique parmi d’autres, et n’est pas vue comme un service fondamental dû au peuple.  L’appareil technocratique d’Etat est animé avant tout par le souci d’auto-préservation, il a peur du peuple (les Gilets Jaunes), il a peur de l’armée (le départ du général de Villiers ainsi que quelques autres ont eu de sérieux airs de purge). Je ne sais pas si Dupond-Moretti a beaucoup d’illusions sur ce qu’on lui laissera faire et les moyens qu’on lui donnera, mais s’il en a elles se dissiperont vite.

Ce déni ou cette minimisation de la délinquance contiennent-ils aussi un élément de stratégie politique ? Si oui, cette stratégie vous parait-elle risquée ?

Christophe de Voogd : Nouvelle illustration du « en même temps », il faut d’abord noter que la nomination de Dupond-Moretti est compensée par celle de Gérald Darmanin, un homme de droite indiscutable, à l’Intérieur. Nomination à son tour compensée (fait peu remarqué) par la nomination de Marlène Schiappa, femme de gauche non moins indiscutable, à ses côtés. L’évocation par le Président d’une « tolérance zéro » (une expression de droite aussi), pourrait faire croire à une évolution politique tranchée. Mais notons que cette « tolérance zéro » ne semble concerner, à ce stade, que les agresseurs d’agents des services publics et non de citoyens ordinaires, comme Axelle Dorier, la victime de la récente tragédie de Lyon, et tant d’autres.

Deux interprétations sont possibles :

- Soit le Président est cynique et cherche, par la minimisation de la délinquance tant en paroles qu’en pratique, à alimenter le vote RN pour la présidentielle en confortant la candidature de Marine Le Pen, afin de renouveler le scénario de 2017. Les questions économiques seront en effet décisives en 2022 avec la crise redoutable qui s’annonce, et l’on sait la faible crédibilité de cette dernière sur ces questions. Ce peut donc le calcul d’Emmanuel Macron ; mais le risque est grand de ne pas contrôler la manœuvre jusqu’au bout et qu’une forte abstention couplée à la montée des extrêmes ne provoque un « accident électoral », pour reprendre l’analyse de Dominique Reynié. Soit au premier tour comme en 2002, soit au deuxième. Or rappelons que la question de la sécurité avait été décisive dans l’élimination de Lionel Jospin. 

- Soit le Président - qui a le sens du moment politique - est en train de prendre conscience de l’importance de l’enjeu de la délinquance et va vraiment changer de cap, ne serait-ce que pour couper l’herbe sous le pied à une candidature de la droite républicaine, qui a désormais un boulevard devant elle. Un boulevard dont elle seule n’a pas conscience. Il est en effet possible désormais de mettre la sécurité en avant sans être disqualifié dans une opinion ultra-sensible à ces questions et qui n’écoute plus le discours de l’excuse.

Car bien des choses ont changé :  l’insécurité a atteint un tel niveau que le déni n’est tout simplement plus tenable. L’horreur de certains actes commis et leur fréquence rendent la minimisation de plus en plus difficile. Les réseaux sociaux sont devenus des acteurs majeurs du débat public et il n’est tout simplement plus possible aux médias bien-pensants de taire durablement les faits. D’autant que de nouveaux acteurs sont apparus, moins politiquement corrects, y compris dans l’audiovisuel. Un épisode, capital à mes yeux, a constitué le tournant : l’affaire Mila, qui, il y a peu, n’aurait jamais atteint la place publique. 

J’avoue que j’hésite encore, à ce stade, entre les deux hypothèses... Tout dépend de la lecture que l’on fait de Machiavel. L’une, « machiavélique », qui assimile la politique au cynisme, privilégiera la première. L’autre, « machiavélienne », avant tout sensible à l’importance du contexte, choisira la seconde

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