(In)Sécurité aérienne : l'Europe peut-elle demander des comptes à Boeing ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’avionneur américain a dernièrement demandé aux opérateurs de 787 Dreamliners d’examiner les boutons sur les sièges des cabines de pilotage.
L’avionneur américain a dernièrement demandé aux opérateurs de 787 Dreamliners d’examiner les boutons sur les sièges des cabines de pilotage.
©BRETT PHIBBS / AFP

Incidents en série

Boeing est au cœur de la tourmente après plusieurs incidents techniques et accidents.

François  Nénin

François Nénin

François Nénin est journaliste enquêteur spécialiste de l'aérien et professeur d'investigation au CFPJ. Il a publié trois livre-enquêtes sur l'aérien dont Transport aérien le dossier noir et Ces avions qui nous font peur aux éditions Flammarion. Collaborateur des magazines Marianne et VSD, il a réalisé le film "Air France la chute libre" pour l'émission Special Investigation de Canal Plus et "Où est passé le MH 370" pour Complément d'enquête (France 2). Ayant suivi une formation de pilote privé, il avait créé le site bénévole securvol.fr pour combler le manque d'informations sur les compagnies. Il vient de sortir deux livres de récits : "Oups, on a oublié de sortir le train d'atterrissage" et "Vols de merde, les pires histoires de l'aviation".

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Atlantico : Boeing est au cœur de la tourmente après plusieurs incidents techniques et accidents. De quels incidents parle-t-on exactement et quels sont ceux qui peuvent être reprochés à Boeing ?

François Nénin : Ces "affaires" d'incidents représentent une désinformation dans le traitement de ces actualités. Au mieux, il s'agit d'un manque de professionnalisme et de culture aéronautique confinant également à un manque de bon sens. On peut aussi envisager qu'ils sont un énième épisode de la guerre économique que se livrent le constructeur américain Boeing et le constructeur européen Airbus. Je m'explique : on ne peut pas qualifier ces incidents d'incidents "Boeing", c'est-à-dire de défauts de conception. Je m'explique : un avion qui perd une roue au décollage, c'est presqu'un non-évènement, en dépit du côté spectaculaire et dans la mesure où elle n'a blessé ni tué personne. En réalité, il y a un tapage médiatique parce qu'on a les images mais le 8 février dernier un Airbus A319 de la compagnie Latam a atterri en urgence après la perte d’une de ses roues, en début d’après midi après  avoir décollé de l’aéroport Santos Dumont, à  RIO  pour se rendre à celui de Congonhas, à São Paulo.

C'est d'autant plus un non-événement qu'un Boeing 777 a deux "boogies" de trois fois deux roues, ce qui fait 12 roues. Cela n'empêche l'avion ni de voler ni d'atterrir. Il n'y même pas de check-list "perte de roue" et les pilotes sont tenus au courant lorsque la Tour s'en aperçoit et contacte le cockpit. Si c'était un défaut de conception, une partie importante de la flotte Boeing perdrait ses roues. 

Mais alors à quoi imputer la cause de ces incidents ?  

C'est ce qu'on appelle des "incidents d'exploitation" et pas de conception. En d'autres termes, c'est la maintenance qui fait défaut. Dans le cas des images de la porte arrachée en vol qui a fait le tour du monde, l'enquête technique démontre qu'il manquait quatre boulons ! Si vous avez un mécanicien qui oublie de visser les boulons de la roue de votre voiture, va-t-on incriminer le constructeur ? 

La vraie question à se poser concerne la façon dont les compagnies assurent la maintenance des appareils, ou plutôt font assurer la maintenance en externalisant à des sociétés moins-disantes, c'est à dire moins chères et qui potentiellement, peuvent être moins rigoureuses, voire utiliser des pièces de contrefaçon non certifiées, moins résistantes. 

Est-ce que les incidents de ces dernières années reviennent de façon fréquente ? Où est-ce que c’est un rythme d’incident standard ?

On ne peut pas parler de rythme standard. Je voudrais rappeler qu'en 2013, un syndicat de pilotes d'Air France a fait part de très vives inquiétudes liées à l'entretien d'avions d'Air France en Chine : plusieurs "incidents graves" étaient survenus après que des appareils sont passés par la société de maintenance Taeco. Dans un communiqué, le syndicat Alter révélait qu' un Airbus A340 d'Air France qui devait effectuer une liaison Paris-Caracas, a dû être dérouté vers les Açores "pour raisons techniques", après divers incidents allant du débordement des toilettes à la perte de réception des deux radios haute fréquence. Selon ce syndicat Alter, l'avion effectuait son premier vol commercial après une "Grande visite" (contrôle approfondi) réalisée dans les ateliers d'entretien de l'entreprise chinoise Taeco à Xiamen dans le sud-est du pays. A-t-on mis en cause Airbus ? Non !

Imaginons qu’Airbus soit confronté aux mêmes failles, les Américains auraient frappé fort contre le constructeur. Est-ce que les Européens ne devraient pas aussi taper du poing sur la table aujourd’hui ?

Les instances de contrôle et de régulation européennes, comme l'agence européenne de sécurité aérienne, les directions de l'aviation civile des pays ont le pouvoir d'exercer des contrôles sur les avions qui se posent sur les aéroports européens, et éventuellement d'interdire des compagnies dangereuses. 

Quand les Américains s’attaquent à Airbus, quelles conséquences cela a sur l’entreprise ?

C'est une guerre commerciale classique avec des enjeux énormes et parfois une manipulation de l'opinion publique. Quand Airbus a sorti dans les années 80 son nouvel A320 qui était une révolution technologique (lois informatiques, pilotage à deux, commandes de vols électriques) il y a eu deux accidents ayant fait des morts : Habsheim en 1988 et le Mont- Saint Odile en 1992. Cela n'a jamais remis en cause la carrière de cet avion dans le monde entier. En 2012, pour l'émission Spécial Investigation de Canal Plus, j'ai interviewé le juge Sengelin qui avait été dessaisi de l'instruction sur le crash d'Habsheim. Il a affirmé face caméra qu'un émissaire du ministère des Transports lui avait dit : "pas touche aux intérêts aéronautiques de la France et de l'Europe". Tout est dit !

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