Inondations catastrophiques en Europe, mega vague de chaleur en Amérique du Nord : mais pourquoi autant de retard dans l’adaptation de nos villes au dérèglement climatique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des inondations importantes ont provoqué d'énormes dégâts et fait plus de 100 morts en Allemagne (ici, Erftstad).
Des inondations importantes ont provoqué d'énormes dégâts et fait plus de 100 morts en Allemagne (ici, Erftstad).
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Urbanisme adaptatif

Alors qu’une partie de l’Allemagne et de la Belgique sont sous l’eau, l’ouest américain se prépare à une nouvelle canicule. Lutter contre le dérèglement climatique c’est bien, adapter notre urbanisme à des changements déjà présents, c’est mieux.

Isabelle Thomas

Isabelle Thomas

Isabelle Thomas est professeure titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Vice-doyenne à la recherche et directrice de l’équipe de recherche ARIaction (Notre équipe | Ariaction)

 

Ses réalisations s’arriment à la recherche centrée sur l’urbanisme durable, sur la planification environnementale ainsi que sur les enjeux de vulnérabilité, de gestion de risques et d’adaptation aux changements climatiques pour construire des communautés résilientes face aux risques naturels et anthropiques.

Depuis son arrivée en 2007 à l’université de Montréal, Mme Thomas a été associée à de nombreux projets de recherche où elle a agi en tant que chercheuse principale ou co-chercheure, en particulier avec la collaboration du Ministère de la sécurité Publique et Ouranos. Ses contributions les plus importantes concernent l’élaboration d’une méthode d’analyse de la vulnérabilité sociale et territoriale aux inondations en milieu urbain. Elle s’investit également dans les stratégies concernant la construction innovante de quartiers résilients. Ses résultats se situent au carrefour de la recherche-action et de la recherche fondamentale. Le dernier livre qu’elle a codirigé : La ville résiliente : comment la construire? (PUM) explique les conditions fondamentales pour établir des collectivités résilientes. Elle a créé en 2020 l’équipe de recherche ARIACTION (ARIACTION.com) qui permet de constituer un réseau d’experts locaux et internationaux visant en particulier à un partage de connaissances des meilleures pratiques en termes d’aménagement résilient du territoire.

Ses derniers livres : 

Vers une architecture pour la santé du vivant - Les presses de l'Université de Montréal (umontreal.ca)

Ville résiliente (La) - Les presses de l'Université de Montréal (umontreal.ca)

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Atlantico De graves inondations ravagent l’Europe, alors que des canicules continuent de menacer l’ouest américain. Il y-a-il une raison pour laquelle nos gouvernements attendent le dernier moment pour adapter l’urbanisme de nos villes et ne semblent pas en mesure d’anticiper ?

Isabelle Thomas : Il est en effet à déplorer que les stratèges d’adaptation des gouvernements se mettent en place souvent après les crises. Quelques exceptions inspirantes existent, comme par exemple le quartier de Matras à Romorantin, en France, cela dit elles sont rares. Un fait encore plus dérangeant se manifeste dans les réponses parfois apportées après les chocs, réponses qui peuvent aggraver les risques. Pensons aux digues construites à la Nouvelle-Orléans après l’ouragan Betsy en 1965, éléments de défense d’un système de sécurité inefficace qui constituera une des causes majeures du désastre de 2005. Les évènements terribles qui se déroulent actuellement en Europe suite aux inondations violentes sont d’une tristesse infinie et rappellent certaines images suite à l’ouragan Katrina et le calvaire de ces citoyens coincés sur leur toit attendant de l’aide. La Belgique s’apprête à décréter un deuil national. Chapeau bas pour l’empathie envers les victimes. Les habitants de la Nouvelle-Orléans n’ont pas eu ce soutien. On parle de traumatisme national en Belgique et en Allemagne. L’eau est montée rapidement, dévastant les maisons, s’engouffrant dans les étages, volant des vies. De l’autre côté de l’Atlantique, en Colombie Britannique, c’est le feu qui emporte des villes, des quartiers.

Pour anticiper, il faut connaître tant les forces et les faiblesses des écosystèmes urbains. Il est fondamental d’avoir des études poussées sur les aléas et sur les vulnérabilités. L’impact des changements climatiques interpelle et se traduit souvent par la violence et l’irrégularité des évènements. En Allemagne et en Belgique, des sols asséchés, des pluies violentes et abondantes expliqueraient les faits. Quid de l’urbanisation en zone à fort risque ? Quid de la mal adaptation ? Le temps est au retour d’expérience afin de s’assurer de bien comprendre les défaillances et d’apporter des stratégies d’adaptation résilientes répondant aux enjeux locaux. Les particularités géographiques sont à prendre en compte. Crues synchrones et asynchrones de plusieurs rivières à Liège, glissements de terrain en Allemagne : les mesures de reconstruction résiliente vont devoir être adéquates pour les enjeux locaux.

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Pour anticiper, s’adapter, mettre en place des mesures résilientes, un réel courage politique est indispensable, facilité par un accompagnement éclairé pour une prise de décision ferme valorisant le bien commun. Les crises actuelles obligent les politiques à sortir de leur zone de confort et à prendre leur responsabilité sur les choix du passé, tout en mettant en œuvre des programmes et mesures permettant d’assurer la résilience des territoires sur le long terme. Les retours d’expérience sont indispensables pour comprendre les enjeux et tirer les leçons de ces crises douloureuses. Ces apprentissages invitent à repenser les possibles, et, après le deuil, à œuvrer pour une nouvelle manière d’aménager le territoire, qui ne sera surtout pas un retour à la normal mais bien un changement de trajectoire vers une résilience renforcée.

Le dérèglement climatique doit-il nous obliger à avoir une réflexion différente sur la manière de construire une ville ? Quelles doivent être les lignes directrices de l’aménagement urbain dans les vingt prochaines années pour faire face à ce défi ?

Ce n’est pas seulement le dérèglement climatique qui nous oblige à penser différemment. Nous avons construit notre propre enfer sur terre, en particulier en déstructurant la nature et en construisant dans des zones à fort risques, risques que nous avons parfois aggravées.

Et si nous changions vraiment de paradigme ? Vivre avec l’eau, composer avec la nature, favoriser une métamorphose résiliente où le visage des quartiers serait coloré de vert et bleu. De nombreux chercheurs favorisent ces démarches, il reste à les mettre en œuvre. Par ailleurs, des diagnostics actualisés sont nécessaires pour comprendre les enjeux actuels des risques des systèmes urbains. Pour construire les villes différemment, il faut en comprendre les enjeux et opportunités locales.

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Les lignes directrices de l’aménagement urbain de demain implique des apprentissages et de l’innovation visant à :

-assurer la sécurité des personnes et des biens;

-éviter l’étalement urbain qui déstructure les écosystèmes;

-refaire la ville sur elle-même en capitalisant sur les forces du territoire, en transformant les faiblesses en opportunistes;

-améliorer les milieux et cadres de vie en réintégrant des infrastructures vertes et bleues dans les territoires urbanisés;

-renaturaliser les territoires à risque très fort, les transformer en espaces «naturels» collectifs où les citoyens peuvent se réapproprier un environnement de qualité;

-protéger le patrimoine paysager et bâti;

-développer des programmes d’évacuation et de rétablissement efficaces afin d’aider les citoyens à faire face aux épreuves;

-accompagner les gouvernements pour favoriser des décisions audacieuses et adéquates facilitant tant l’adaptation que la mitigation;

-renforcer des milieux de vie accueillants et équitables en privilégiant une place à la nature libérée.

-conscientiser les citoyens sur leurs possibilités, avec une bonne dose d’humanité et d’empathie tout en étant ferme sur les faits et les responsabilités.

Comment allons-nous trouver les ressources et les moyens pour accommoder nos villes et répondre à l’urgence d’une menace environnementale due au dérèglement climatique ?

L’urgence n’est pas juste environnementale, elle est sociale et économique. La crise climatique, accompagnée par celle créée par la pandémie fragilise gravement les sociétés par les stresses inhérents qu’elle implique et les chocs qu’elle inflige. Alors invitons la nature à devenir notre alliée, à prendre sa place dans nos écosystèmes urbains par un dialogue respectueux.

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Comme ressources, nous avons besoin de connaissances actualisées des aléas et des vulnérabilités locales, de retours d’expériences, de financement de programmes d’adaptation résiliente sur le long terme, d’outils cartographiques montrant les possibles défaillances, de formations d’experts et de professionnels pour constituer des équipes multidisciplinaires engagées, de méthode multicritère facilitant la mise en œuvre de mesures de réaménagement résilients.

Les moyens sont aussi multiples, parmi eux on note : un nécessaire processus de co-construction, la mise en œuvre de mesures résilientes impliquant des co-bénéfices multi temporels et multi échelles, un processus de réflexion par scénarios (Figure 1) facilitant des choix pertinents localement, une réglementation renforcée de l’urbanisation dans les zones à fort risque accompagnée d’un suivi rigoureux, la conception de projet innovants et inspirants intégrant des principe de résilience et leur valorisation, des outils de communication sur les risques.

Figure 1 : Vers une adaptation résiliente : Scénarios et démarches de co-construction

A quoi devons-nous nous attendre au niveau des innovations pour se préparer à subir des températures de 50 degrés ?

Les innovations audacieuses impliquent des équipes multidisciplinaires intégrant des experts tant des sciences pures que des sciences sociales, formées entre autres d’ingénieurs, d’hydrologues, d’urbanistes, d’architectes, d’historiens, de psychologues. Le champ des possibles est infini sur le papier, il reste à assurer sa mise en œuvre à différentes échelles : du bâtiment, au secteur, à la municipalité et au bassin versant. Ainsi, un bâtiment innovant ne sera pas résilient s’il est localisé dans une zone à risque fort. Chemin faisant, les chercheurs doivent travailler avec les acteurs locaux afin de s’assurer de la pertinence locale des stratégies qu’ils préconisent.

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Ces innovations devront être en phase tant avec la résilience que la transition énergétique. En plus de se préparer à subir 50 degrés et des inondations dévastatrices, il est pertinent de transformer la difficulté en opportunité pour repenser le cadre et milieu de vie afin qu’il génère un bien être sur le long terme. Verdissement, végétalisation, ralentir l’eau tout en créant des

Îlots de fraîcheur, l’avenir est dans stratégies d’adaptation préconisant des co-bénéfices à différentes échelles. Les ingrédients de cette recette impliquent une louche de sagesse et une pincée audace pour favoriser l’innovation réaliste.

Bien sûr, l’apprentissage citoyen sur ses risques et ses possibilités d’action pour renforcer la résilience sera toujours indispensable pour encourager l’accroissement de la culture du risque; l’innovation ne réside pas seulement dans le cadre bâti, elle est aussi sociale.

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