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Infiltré pendant 27 ans au cœur du narcoterrorisme : comment "je ne me suis plus jamais fait griller"
©Flickr/Nightlife Of Revelry

Bonnes feuilles

E. Follis témoigne de sa carrière au sein du service de lutte antidrogue de la brigade des stupéfiants (DEA). Pendant 27 ans, il a négocié des marchés de plusieurs millions de dollars à bord de jets privés, acheté des kilos de cocaïne, est devenu intime avec les plus gros trafiquants de drogue, qui étaient parfois des agents d'Al-Qaida ou des membres de cartels. Extrait de "Infiltré", publié aux éditions Flammarion (2/2).

Edward  Follis

Edward Follis

Edward Follis est ancien numéro 2 au sein du service de lutte antidrogue de la brigade des stupéfiants (DEA).
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Après lui avoir montré la cargaison, nous sommes convenus d’un rendez-vous pour la transaction. Évidemment, le Dr Dragan ne se baladait pas avec 1 million de dollars en liquide ou soixante-dix kilos d’héroïne sur lui.

C’est à ce moment-là que la situation nous a soudainement et mystérieusement échappé.

Le lendemain, Dragan nous a prouvé qu’il était loin d’être un imbécile. Il a eu l’intelligence de se rendre dans le centre-ville et a fait exactement ce que nous aurions fait dans la même situation : il s’est mis à notre place.

Il a mené sa propre enquête et il s’est installé en face du World Trade Center de South Figueroa Street. Nous étions attablés à un restaurant du coin, moi, Billy Queen, John Whelan et deux autres collègues de l’Unité Quatre. Quand nous avons fini de déjeuner et que nous avons quitté le restaurant, j’ai cru voir un grand blond traverser une passerelle audessus de la rue. J’ai reconnu les cheveux coupés en brosse et les yeux d’un bleu profond.

"Merde.

Quoi ?

— On dirait Dragan, là-bas. »

L’espace d’une seconde, les yeux bleus carnassiers du docteur ont croisé mon regard.Je le crois pas, dit Billy, c’est bien lui, putain ! » Il s’était installé devant l’hôtel de l’autre côté de la rue et avait identifié un restaurant où des agents de la DEA et de l’ATF étaient susceptibles de déjeu-qu’il était venu chercher.

Et à l’instant où nos regards se sont croisés, durant cette fraction de seconde, on s’est fait griller.

Le Dr Dragan avait disparu.

L’échange d’armes contre l’héroïne n’a jamais eu lieu.

En quelques jours, on a perdu la trace de Dragan. Il n’était plus en Californie, il avait disparu quelque part dans les jungles de Birmanie ou du nord de la Thaïlande. Il ne nous restait plus qu’à rendre à l’armée tous ces missiles, lance-roquettes, explosifs et M60 hors de prix.

Plusieurs mois plus tard, nos agents de la DEA en poste en Asie du Sud-Est – accompagnés de deux agents de la CIA – ont pénétré dans l’appartement vide du docteur à Hong Kong. Ils ont trouvé une lettre qu’il avait écrite au vice-président des États- Unis, dans laquelle il offrait ses services comme « agent de liaison » avec les forces insurgées en Birmanie. De toute évidence, la lettre n’avait jamais été envoyée à la Maison-Blanche.

Le fait d’avoir manqué de si peu un deal d’une telle ampleur a été dur à encaisser. Mais malgré tout, même nos erreurs nous rendent plus forts.

Le Dr Dragan m’a enseigné une leçon d’infiltration inestimable.

Ne jamais sous-estimer la capacité du malfaiteur à penser comme vous.

À partir de ce moment, je ne suis plus jamais retourné manger dans les restaurants autour du siège de la DEA. J’amenais mon propre déjeuner que je mangeais au bureau. Après le travail, je prenais des chemins détournés pour rentrer chez moi et je changeais même de voiture de temps en temps. Je me disais toujours qu’on pouvait être en train de me surveiller.

Et je ne me suis plus jamais fait griller. Pas une seule fois.

Extrait de "Infiltré - Au cœur du narcoterrorisme", de Edward Follis, publié aux éditions Flammarion, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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