Infiltré chez Hitler : cet espion allemand qui balançait tout à la France<!-- --> | Atlantico.fr
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"Depuis son accession au pouvoir, Hitler est confronté à des tensions croissantes qui opposent les milieux conservateurs et la Reichswehr à la Sturmabteilung (SA), dirigée par Ernst Röhm."
"Depuis son accession au pouvoir, Hitler est confronté à des tensions croissantes qui opposent les milieux conservateurs et la Reichswehr à la Sturmabteilung (SA), dirigée par Ernst Röhm."
©Flickr - Recuerdos de Pandora

Bonnes feuilles

Pendant 10 ans, un Allemand dont le frère occupait les plus hautes fonctions dans l'armée du IIIe Reich a livré à la France les informations les plus secrètes sur le réarmement de l'Allemagne, la réoccupation de la Rhénanie et les plans de conquête de l'Europe. Extrait de "Notre espion chez Hitler" (2/2).

Paul  Paillole

Paul Paillole

Ancien chef du contre-espionnage français, le colonel Paul Paillole est le fondateur de l'Association des anciens des services spéciaux de la défense nationale. Il est également l'auteur de Services Spéciaux, 1935-1945 (Robert Laffont, 1975) et a, par ses ouvrages, contribué à l'essor de la recherche sur le renseignement en France.

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Ainsi qu’il l’avait laissé entendre ,H.E. avait manifesté le désir de profiter d’une mission à Berne pour se distraire (sic) en France. Il avait proposé un rendez-vous à Évian pour le 4 juillet 1934 et annoncé une importante fourniture. Rex, toujours arrangeant, avait convaincu Schlesser et Bertrand qu’une rencontre en été dans une ville d’eaux aussi fréquentée ne présentait aucun risque. Lui-même y faisait habituellement une cure de trois semaines à la même époque et descendait à l’hôtel Royal.

– Dans ce palace, ce sera comme à Mürren, personne ne fera attention à nous, avait-il assuré.

Depuis Mürren et le voyage de Schlesser à Berlin, il s’est passé des événements considérables en Allemagne. Himmler et Heydrich ont quitté Munich pour s’installer en maîtres à Berlin, 8 Prinz-Albertstrasse et 103 Wilhelmstrasse.

Leur rivalité avec Roehm, le chef des S.A., s’est accentuée au point de devenir dramatique. Le message de H.E. du 25 juin 1934 confirmant le rendez-vous à l’hôtel Royal pour le 4 juillet, 11 heures, annonce une action brutale imminente de Goering et de Hitler contre Roehm et ses séides… "Il faut faire le ménage dans la maison…" Il se fera dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1934: la nuit des «longs couteaux». Le 4 juillet, sur la terrasse de l’hôtel Royal, encore sous le coup de cette sanglante épuration, H.E. en fait le récit détaillé à Schlesser, Bertrand et Rex qu’il vient de retrouver. Il se réconforte avec un double whisky.

–Hitler est maintenant le maître absolu, mais les S.S. n’en resteront pas là. Je sais par Schapper qu’il se mijote encore quelque chose en Autriche.

– Un putsch nazi ? questionne Schlesser.

– Un putsch en effet. On n’en finira pas. Brusquement, changeant de conversation,H.E. remercie Schlesser et Rex pour la vente de sa licence. L’affaire a été conclue fin juin.

– Je suis enfin chez moi, en famille. Ketschendorf est agréable et ma fabrique tourne rond depuis quinze jours. Je me suis adressé à une agence de publicité pour placer nos produits. Ce sera facile.

– Bravo, interrompt Rex. Tout cela est parfait. Vous nous avez annoncé une grosse documentation et vous êtes venu les mains dans les poches !

– Je ne veux pas courir le risque d’un contrôle par la douane ou la police française. Mes papiers officiels me couvrent en Suisse, pas en France. Je suis descendu en face, à Montreux. Je vous invite à m’y retrouver lorsque vous voudrez, en tout cas avant le 7 juillet, car je dois retourner à Berne avant de rentrer à Berlin, le 8.

– Je vous félicite de votre prudence, intervient Schlesser. Aurons-nous des documents à photographier à Montreux ?

– Aucunement, ce qui devait être photographié l’a été par mes soins. Par contre, j’ai une notice sur l’organisation et le fonctionnement du Forschungsamt qu’il faudrait que je vous commente après que vous l’aurez lue.

L’essentiel de sa journée à Évian, Schmidt l’a passé à jouer à la roulette au Casino. À-t-il gagné, a-t-il perdu ? Nul ne le sait. Toujours jovial, il a interrompu vers 19 heures sa séance de jeux pour rejoindre les trois Français, prendre plusieurs apéritifs, dîner copieusement et répondre à leurs multiples questions. À 1 heure du matin, il a regagné la Suisse par la dernière vedette qui assure le service du Casino. Le lendemain, vers 11 heures, tout le monde se retrouve à Montreux à l’exception de Rex, fatigué. Le soleil est chaud, le ciel dégagé ! On décide de passer la journée à Caux où l’on accède en quelques minutes par un funiculaire. Foule énorme où l’on se sent seul. La vue est impressionnante sur les Alpes, le mont Blanc, le lac Léman, la vallée du Rhône en amont. Le restaurant est immense et le parc à sa mesure. Il sera facile de se restaurer, de s’isoler et de travailler. Schmidt, doctoral, distribue à chacun le lot qu’il tire de son énorme serviette. Bertrand compulse les photographies des pages des fascicules des codes Enigma de juin et juillet 1934, ainsi que la reproduction d’un schéma des connexions de la machine. Il est ravi ! Schlesser a la part du lion :

• la photographie des directives signées par Goering en juin 1934 pour la réalisation en deux ans de 6 escadres de bombardement, de 2 escadres de chasse, de 21 escadrilles de reconnaissance, soit 1400 avions.Tout un programme dont il faudra suivre le développement et la réalisation industrielle. Peut-être avec l’aide de l’informateur miracle annoncé par Rex64 !

• un document authentique provenant de la Kriegsakademie et donnant la constitution détaillée des détachements de reconnaissance et des compagnies anti chars motorisés,

• enfin une importante note de service sur le Forschungsamt (F.A.) avec sur la couverture la mention GEHEIME REICHSSACHE suivie d’un texte dont la traduction ci-après donne une idée du secret rigoureux qui entoure cette institution:

«1) Ceci est un secret d’État conformément au code pénal du Reich (HauteTrahison) et dans le cadre de la loi du 24 avril 193465.

«2) À détenir par les seules personnes autorisées par le F.A. et contre reçu.

«3) À transmettre sans double enveloppe et par courrier de confiance.

«4) Les reproductions de toutes natures (textes ou extraits) sont interdites.

«5) Les destinataires sont responsables de la conservation de ce document et de ses secrets. Les contraventions entraînent les pénalités les plus sévères pouvant aller jusqu’à la peine capitale.»

Un frisson parcourt Schlesser à la lecture de ces prescriptions. Longuement il observe Schmidt, admiratif, inquiet :

– Oh ! s’écrie celui-ci en riant, rassurez-vous. Je sais ce que je risque. Comme tous les fonctionnaires du F.A., j’ai dû prêter serment de secret et de discrétion. Je tombe sous le coup des articles 88 à 93 du code pénal du Reich qui prévoient confiscation des biens et peine de mort. Peu m’importe. Je suis maintenant au cœur de la vie intime des nazis. Plus et mieux que la Gestapo à l’intérieur, plus et mieux que l’Abwehr à l’extérieur, le F.A. recueille les secrets les plus lourds.

Schmidt s’est animé. Une sorte d’enthousiasme le porte. Ses propos reflètent sa fierté de répondre si bien à l’attente de ses employeurs. Il poursuit :

– Sans qu’il apparaisse, le F.A. détermine les décisions les plus graves et sur tous les plans : diplomatique et politique, économique et financier,militaire, judiciaire, policier. Sans qu’il apparaisse, car Hitler et Goering, seuls maîtres du F.A., ne veulent pas en révéler les énormes possibilités d’investigations et d’inquisition. C’est si vrai que c’est Goering lui-même, et lui seul, qui prescrit ou autorise les écoutes et les interceptions. C’est lui seul qui décide de l’exploitation.

– Il sera vite débordé ! remarque Schlesser.

– Sans doute, répond Schmidt, mais dans l’immédiat, s’agissant d’une organisation jeune et sans tradition, il importe de lui imposer des règles strictes de fonctionnement et de sécurité. On ne saurait trop prendre de précautions. «Matériellement aussi, le F.A. quitte la Behrenstrasse66 où il n’était pas à l’aise et risquait des indiscrétions. Il s’installe plus confortablement à l’abri des regards, dans un bâtiment intérieur du n° 116 au n° 126 de la Schillerstrasse. Pendant le transfert des archives, j’ai prélevé cet exemplaire de cette note de service. «Si l’on s’aperçoit de sa disparition, je ne voudrais pas être dans la peau des déménageurs ! observe H.E. en ricanant. «Gardez-le, lisez-le et demain à Évian nous en reparlerons entre deux séances au Casino.»

Extrait de "Notre espion chez Hitler", Paul Paillole, (Nouveau monde éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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