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Incontournable... ou pas ? Les espoirs de François Bayrou face à la réalité Macron
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Au bout de ses rêves

"Ceci n'est pas juste", "déséquilibré", François Bayrou, tout en maintenant son soutien à Emmanuel Macron , se veut critique à l'égard du projet fiscal du gouvernement.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Selon un article publié par le Figaro le 26 septembre dernier, François Bayrou se "rêverait encore" en premier ministre. Un tel scénario est-il envisageable ? En quoi cette stratégie de l'ami "critique" peut-elle servir le chef de l'Etat ? 

Jean PETAUX : François Bayrou peut être qualifié de nombreux épithètes et a montré, dans tout son parcours politique, une capacité certaine à durer et perdurer quand nombre d’observateurs le donnaient à terre et politiquement foudroyé. Mais il est un qualificatif qui lui est sans doute totalement étranger : celui de « rêveur ». Surtout pas « doux rêveur ». Bayrou est un dur, un redoutable tacticien politique et, qualité supérieure à nombre d’autres, un acharné qui ne lâche jamais sa proie. Il est comme ces milans et autres vautours qui planent sur les sommets et au-dessus des vallées de ses chères Pyrénées. Quand il a attrapé une proie dans ses serres il ne lâche pas facilement prise. Cela ce n’est pas du rêve, c’est un principe de réalisme politique. Il est donc peu probable que le président du MODEM se « rêve » à Matignon. Pour autant s’il peut « fondre » sur la rue de Varenne il ne laissera pas passer sa chance. Pour l’heure, tel Gulliver empêtré (pour parler comme Raymond Aron), Bayrou doit attendre que les rets de la justice se soient relâchés. Impossible de dire aujourd’hui s’il fera l’objet, lui et sa fidèle Marielle, d’une ordonnance de non-lieu ou s’il sera renvoyé devant le tribunal. Quand bien même cela serait, il est également bien trop prématuré pour pronostiquer un éventuel verdict du tribunal, en première instance, de la cour d’Appel ensuite. En d’autres termes le « cas Bayrou-de Sarnez-Goulard » ne va pas être réglé avant plusieurs mois voire années. Cette situation hypothèque durablement un retour rapide du maire de Pau sur la scène gouvernementale. Mais cela ne l’empêche ni d’exercer une forme de « ministère de la parole » ni de se rappeler au « bon souvenir » du président de la République et du premier ministre. En réalité ce que veut surtout Bayrou c’est continuer d’exister, d’apparaître comme une étoile vivante et brillante dans les télescopes médiatiques. Il est donc conduit tout naturellement à endosser le costume de « l’ami critique » comme vous le dites bien. Où, si l’on préfère prendre ses références du côté du fabuliste, jouer le rôle de « mouche du coche ». Endosser le costume de celui qui est d’autant plus libre pour faire des remarques qu’il n’est pas tenu par une quelconque solidarité gouvernementale, tout juste soucieux de montrer aux électeurs qu’il soutient pleinement le gouvernement. Il fait certes partie de la majorité présidentielle mais, tel Giscard et les siens entre 1969 et 1974, il peut aussi offrir quelques « cactus » à ses amis de LREM… Tout comme VGE et surtout Poniatowski le faisaient aux gaullistes de l’UDR à tendance hégémonique.

Mais il est une autre explication qui peut être donnée à la « ligne Bayrou » actuelle. On la comprend en analysant son long discours, à la Bayrou, autrement dit « sinueux », « curviligne », franchement rasoir à plus d’un moment ce week-end à Guidel, à destination de Jean-Christophe Lagarde et de l’UDI. Discours d’accueil sans condition dans le giron du MODEM si, par cas, l’UDI voulait bien « rentrer au bercail » (autrement dans la « bergerie Bayrou », au cœur du Béarn). En incarnant une ligne certes inscrite dans la majorité présidentielle, mais ostensiblement indépendante à l’égard de LREM, François Bayrou à la tête du MODEM peut tout à fait apparaître comme le « réceptacle » idéal pour des ralliements circonstanciels qui ne voudraient pas troquer une « sujétion » (à LR) pour une autre (à LREM).

En quoi la configuration actuelle notamment caractérisée par une faiblesse de l'opposition,​ peut-elle être considérée comme favorable à Edouard Philippe ? 

L’opposition n’est pas faible actuellement. Elle est totalement fragmentée. Ce n’est pas la même chose. Une fragmentation qui compte au moins 7 ou 8 morceaux, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche : le FN, Debout la France, LR, le PS, les Hamonistes, le PCF, la FI et le NPA… Et encore passe-t-on ici sous silence EELV, l’UDI et la nouvelle formation dirigée par Florian Philippot, les « Patriotes ». Si on ajoute à cela les « Constructifs » qui sont un « pied dedans » (la majorité gouvernementale) et un pied (un peu) dehors, on arrive presque à une douzaine de formations politiques toutes plus fragiles les unes que les autres, parcourues elles-mêmes de tensions phénoménales, prêtes à imploser. Cette situation, inédite en France depuis au moins 50 ans (il faut remonter aux années 60 pour assister à un tel éclatement de la vie politique) favorise objectivement le gouvernement et le premier ministre. Mais c’est une situation qui ne saurait perdurer. D’abord parce que la tendance lourde de la vie politique française est celle d’une bipolarisation des coalitions avec, au sein de chacune d’elles un parti dominant et des forces d’appoint (cas de l’UDR et de ses différentes variantes entre 1959 et 1974 ou du PS entre 1981 et 1993 ou entre 1997 et 2002). Ensuite parce que l’exercice du pouvoir crée du clivage et permet ainsi de coaguler les oppositions. À condition toutefois qu’une formation oppositionnelle prenne rapidement l’ascendant sur toutes les autres. C’est bien là que se situe l’enjeu et la stratégie actuelle de Mélenchon. Il fallait le voir face à Edouard Philippe, sur France 2 la semaine dernière : patelin et bonhomme, totalement soporifique d’ailleurs, sur-shooté au Prozac et aux huiles essentielles très zen, mais tellement fier et jubilatoire d’être « le leader de l’opposition officielle de sa majesté » , ou reconnu comme tel plus exactement. Les gaullistes avec Malraux, dans les années 60, au plus fort du règne du « Général », avaient coutume de dire que sur la scène politique française « il n’existait rien entre eux et les Communistes » (le PCF recueillait alors des scores supérieurs à 25% des suffrages exprimés : bien plus que la France Insoumise) . C’était présomptueux, largement inexact et totalement fondé. Tout simplement parce que la multitude des formations politiques opposées au « Général » faisait  que le propos était largement inexact : ce n’était pas qu’il n’y avait rien entre UDR et PCF, il y avait pléthore bien au contraire. Le PSU, la SFIO, les Radicaux, la CIR, les Clubs, l’UGCS, le MRP, et j’en oublie, ne pesaient rien séparément et un peu quand ils se regroupaient, comme au sein de la FGDS par exemple entre janvier 1966 et juin 1968…

Emmanuel Macron et Edouard Philippe jouissent d’une conjoncture politique favorable actuellement. Ils ont plutôt intérêt à saisir la fenêtre d’opportunité qui s’offre à eux en  matière d’hétérogénéité des oppositions. Comme ils l’ont compris manifestement, c’est sans doute ici que se situe l’explication de leur absence de procrastination. C’est à l’évidence dans cette configuration qu’ils puisent le carburant de leur action.

Quelles seraient les circonstances qui pourraient conduire Emmanuel Macron à nommer François Bayrou à ce poste ? Quelles seraient les "garanties" supplémentaires que pourrait apporter le Président du Modem ? 

Je n’en vois aucunes. Emmanuel Macron a trouvé dans Edouard Philippe une sorte de premier ministre idéal pour un début de quinquennat. L’homme est (très) intelligent, technocrate et froid mais élu local, donc « humanisé » ». Formé par Antoine Rufenacht au Havre, il sait ce que c’est que de faire de la politique au ras du caniveau. On sait y faire quand on hérite du fauteuil de maire d’une ville gagnée sur le Parti Communiste qui régna pendant 30 ans (de 1965 à 1995)  sur le premier port de passagers français. Edouard Philippe est, par ailleurs, le « chainon manquant » idéal entre une majorité parlementaire quantitativement en surcharge pondérale et qualitativement en carence intellectuelle et politique. Son parcours de haut fonctionnaire (Conseiller d’Etat sorti dans la « botte » de l’ENA) fait qu’il n’a aucun complexe d’infériorité vis-à-vis de quelques petits marquis vaguement arrogants du macronisme vagissant, eux-mêmes énarques mais pas forcément aussi bien « sortis » que lui. Quand il s’est agi pour Edouard Philippe de choisir son directeur de cabinet (à Matignon cette fonction est tellement stratégique qu’il arrive parfois que l’on dise du « dir cab du PM » que c’est un « Premier ministre bis »), l’Elysée, dit-on, a cherché à lui caser un proche. Le tout nouveau PM en a fait un point non négociable et c’est son ami Benoit Ribadeau-Dumas (major de sa promotion à l’ENA, « Marc-Bloch », 1997) que Philippe a bel et bien imposé. Solide et subtile, calme et serein, boxeur de passion et auteur passionnant, Edouard Philippe ne fait (pour l’heure) pas d’ombre à Emmanuel Macron. Si des tensions existent entre l’Elysée et Matignon elles sont encore secrètes et feutrées. Il est de coutume, sous la Vè République, que le « couple » PR-PM, la fameuse dyarchie, se fissure au fil du temps. Comme si, passée la passion des premiers mois ensemble, le quotidien des arbitrages fonctionnait comme un redoutable « tue l’amour ». Loin d’être irénique et idyllique ce tableau de l’état des relations entre Macron et Philippe permet d’imaginer en creux et en pure fiction ce que donnerait une configuration Macron à l’Elysée et Bayrou à Matignon. Ce serait aussi ingérable qu’entre Pompidou et Chaban-Delmas ; aussi tendu qu’entre Giscard et Chirac et sans doute aussi vicieux qu’entre Mitterrand et Rocard. Le Béarnais oscillerait sans cesse entre « monter des coups » et « ne rien faire », comme il a pu le montrer pendant les quatre années où il occupa le portefeuille de ministre de l’Education, de 1993 à 1997. Emmanuel Macron n’aurait de cesse de déminer les arbitrages potentiellement explosifs de Matignon. En d’autres termes François Bayrou peut bien faire fonction de force d’appoint à Emmanuel Macron, apporter le soutien de ses parlementaires, députés et sénateurs, dans la perspective d’une réforme constitutionnelle difficile à conduire jusqu’à son terme, compte tenu de la complexité d’application de l’article 89 de la Constitution, mais son rôle et son « intérêt » pour le président de la République ne vont pas beaucoup plus loin… Ils se limitent au statut de renfort mobilisable pour  bataille parlementaire et constitutionnelle à venir. Cela ne mérite pas Matignon. Mais c’est déjà considérable quand on a été déclaré, par la quasi-totalité des analystes, « politiquement en mort clinique », en 2007 et en 2012…

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