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Impuissance collective : mais qui disposerait encore en France du capital politique pour réussir des réformes d’ampleur ?
©ludovic MARIN / AFP / POOL

Impuissance collective

Une grande majorité des Français étaient favorables à ce que le système des retraites soit réformé. Et pourtant, la réforme actuelle ne passe pas. Serait-ce différent avec un autre gouvernement ? Qui en France peut encore faire des réformes d'envergure ?

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Récemment, 76% des Français se disaient favorables à une réforme des retraites mais 64% d'entre eux disaient aussi ne pas faire confiance à Emmanuel Macron pour la mener à bien. Si les réformes de fonds sont perçues comme absolument nécessaires par les Français pourquoi ce blocage ?

Chloé Morin : Dans un sondage réalisé pour France 2 début décembre, 83% des Français interrogés nous disaient que le système de retraites devait être changé - dont 32% « à la marge » et 51% « en profondeur ». Dès lors, le statu quo n’a jamais semblé représenter une option viable pour une majorité. En revanche, derrière cette apparente majorité appelant un « changement » peuvent se trouver de multiples chemins de réformes, et c’est bien là le premier sujet : selon que l’on est salarié du public ou du privé, retraité ou actif, jeune ou plus âgé, les options et les priorités ne sont pas forcément les mêmes. Le premier défi de tout gouvernement souhaitant réformer les retraites était bien celui là : fédérer non pas seulement « contre » le statu quo, mais autour d’une option de réforme précise. Certes, il existe un assentiment ou une résignation majoritaire à certains paramètres de réforme, par exemple pour la suppression des statuts spécifiques, vécus comme des privilèges. Mais une addition de mesures populaires ne font pas forcément une réforme, encore moins une réforme populaire…

Le second défi du gouvernement - mais qui n’est pas propre à ce gouvernement - est le déficit de confiance : dès lors que, comme vous le soulignez, une majorité ne faisait pas confiance à Emmanuel Macron ou Edouard Philippe pour mener à bien une réforme conforme aux souhaits et aux intérêts de la majorité, toute mesure est vue comme suspecte, toute annonce vécue comme un « coup de com’ » ou de l’enfumage… Savoir recréer la confiance est un des plus grands défis lancés à la classe politique, et il faut avouer que personne, chez nos voisins européens comme en France, n’a su trouver la recette capable de restaurer durablement la confiance nécessaire pour mener des réformes de fond - réformes dont on sait qu’il faut du temps pour les négocier, et encore plus pour qu’elles soient mises en oeuvre et portent pleinement leurs fruits…

Avec cette réforme, la conjonction de la défiance vis à vis des élus et de la complexité des mesures - qui découle de leur technicité et de la multiplicité des cas spécifiques à traiter et faire évoluer - forment un terreau propice à la contestation. Une contestation dont la force n’a d’égale que la diversité des revendications, et qui peine donc à se coaliser derrière une option alternative unique. L’on voit bien, en effet, que les critiques et propositions de la droite de gouvernement n’ont rien à voir avec celles du RN, ou les propositions du PS avec celles de LFI… Derrière le front de la contestation, on peine à voir une réforme alternative majoritaire émerger, et c’est sans doute là un atout pour le gouvernement, qui conserve un socle réformateur relativement solide derrière lui.

Peu importe le gouvernement et son orientation, il semblerait que les réformes de fonds, bien que jugées nécessaires, ne soient pas acceptées. Qui aujourd'hui, au regard de l'évolution des sondages électorat par électorat, qui pourrait disposer d'une base suffisante pour mener des réformes d'ampleur ? 

Les retraites font en effet partie de ces réformes que l’on ne souhaite pas, mais que l’on juge inévitables. Dans le sondage cité plus haut, 41% des Français jugent le report de l’âge légal de départ à 62 ans « non souhaitable, mais inévitable », et 47% jugent qu’il est non souhaitable mais inévitable d’allonger la durée de cotisations pour avoir une retraite à taux plein. Au final, une majorité relative consent, à regret, à une réforme dont 47% (chiffres de début décembre, mais dont il sera très interessant de suivre l’évolution prochaine…) estiment qu’elle aboutira pour eux à une situation moins enviable que le système actuel. 

Plus que l’existence ou non d’un « socle » suffisant, ou d’une coalition politique de « réformistes », c’est cette résignation, ce consentement « à regret » à la réforme qui me frappe. Cette résignation repose sur une conscience de notre vulnérabilité économique et financière individuelle et collective, acquise peu à peu depuis dix ans, à force de réformes plus ou moins abouties, de crises (individuelles - licenciement, etc - ou collectives - 2008…) et de débats récurrents sur le poids de la dette publique. Mais il est vrai que tout se passe comme si « réforme » ne pouvait désormais plus signifier que « recul » des droits et acquis sociaux, et n’était plus synonyme d'un « progrès » social que d’aucuns considèrent comme désormais impossible.

Maintenant, vous posez la question de la « base » nécessaire à la réforme. Si l’on vit dans l’illusion que l’unanimité, ou même une majorité, seraient nécessaires à faire avancer le pays, alors la réponse est sans doute que de tels socles réformistes n’existent pas, ou du moins par pour la plupart des réformes aujourd’hui envisagées. L’assentiment peut être majoritaire pour une mesure spécifique, mais souvent celles-ci se retrouvent noyées dans une complexité technique et politique qui jette un voile de suspicion sur l’ensemble du projet… Mais en réalité, notre culture n’est pas celle du compromis et ne l’a jamais été, et nos institutions nous permettent justement d’avancer sur la base d’un assentiment minoritaire à une réforme. Nous avançons, depuis toujours, par affrontement, par dispute politique. Voire par révolution. Pas par longs débats raisonnables et compromis longuement mûris… Et les institutions de la Ve république ont été conçues pour générer des majorités parlementaires larges et des gouvernements stables, même à partir de paysages politiques fragmentés et volatils. 

Donc techniquement, la réponse à votre question est : oui, nous sommes très divisés, et aucune alternative claire et puissante ne semble se dessiner à la voie du gouvernement actuel. Mais nous sommes dotés d’institutions capables de gouverner malgré un tel contexte...

Que faire si aucun parti ou candidat ne rencontre d'adhésion suffisante pour réformer le pays ? Est-ce à dire que tout en prétendant être favorables aux réformes les Français y sont opposés ? 

Jusqu’ici, tous les Présidents ont peu ou prou eu les moyens de leur politique - malgré la fronde sous Hollande, chacun était doté d’une majorité votant la majorité des réformes souhaitées par le gouvernement. Mais il est vrai que l’onction populaire n’a sans doute plus la même force qu’avant. La force propulsive d’une élection présidentielle semble s’essouffler de plus en plus tôt, si bien que l’argument autrefois imparable du « c’était dans mon programme » ne suffit plus pour justifier une réforme aux yeux de la majorité de l’opinion. 

A cela s’ajoute la grande défiance qui marque le paysage politique, et qui très vite - un an à peine après l’élection présidentielle - empêche les gouvernants de trouver des majorités de circonstance, tant à l’Assemblée nationale que dans l’opinion. Pourtant, en théorie de telles majorités pourraient exister : selon les sujets, un Emmanuel Macron encore doté de la popularité de ses débuts eût pu recueillir le soutien d’une partie de la droite - sur le financement des retraites, par exemple -, ou de la gauche. 

Cela semble désormais impossible, et les mesures et propositions qu’ils approuvent en principe, nos concitoyens le refusent quand un représentant d'un autre camp le leur propose. Ce qui nous condamne sans doute non pas à renoncer à réformer, mais à avancer en permanence malgré ou « contre » 50, 70, 80% de l’opinion du pays…

Si l’on prend la réforme des retraites comme exemple, on constate que de nombreuses mesures sont populaires, parmi lesquelles la suppression des régimes spéciaux, ou le principe d’égalité sur lequel est bâtie la réforme initialement. Pourtant, en opinion comme en économie, la mauvaise monnaie chasse la bonne, et ici les « mauvaises » mesures, c’est à dire les mesures jugées injustes comme l’âge pivot à 64 ans, chassent les bonnes… et l’ensemble de la réforme se trouve jugée négative. 

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