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Immobilier : "Bloquer les loyers ? 
De la démagogie !"
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Faut-il bloquer les loyers ? Non !

Michel Sapin en charge du projet présidentiel du candidat socialiste préconise un encadrement des loyers dans les zones les plus touchées par la spéculation immobilière. Pour le Secrétaire d'État au logement Benoist Apparu "les impacts de cette mesure seraient complètement contre productifs".

Benoist Apparu

Benoist Apparu

Benoist Apparu est un homme politique (UMP). Il est actuellement député de la Marne et maire de la ville de Châlons-en-Champagne. Il a été ministre délégué chargé du logement de février à mai 2012

 

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Atlantico : Que pensez-vous de la déclaration de Michel Sapin, chargé du projet du candidat socialiste à la présidentielle François Hollande, de bloquer les loyers dans les zones tendues, où il est difficile de se loger ?

Benoist Apparu : Il existe effectivement une proposition du Parti socialiste qui n’est pas très claire sur ce sujet en fonction des interlocuteurs que nous pouvons entendre. Ils utilisent deux termes, le blocage des loyers ou le terme de régulation des loyers, qui sont de choses différentes.

  • Le blocage des loyers consiste à interdire l’augmentation des loyers.
  • La régulation des loyers consiste à constater que les loyers sont trop élevés et donc de les réguler c’est-à-dire potentiellement de les baisser.
Ce sont deux outils différents qui n’ont pas les mêmes conséquences sur le marché. Sur le fond, il s’agit des loyers à la relocation. Aujourd’hui dans le marché des loyers, lorsque vous êtes dans votre bail, les loyers sont déjà indexés à l’IRL (indice de référence des loyers).
Prenons l’exemple d’un bail de trois ans, entre la première et la troisième année à l’intérieur de mon bail mon propriétaire n’a pas le droit d’augmenter mon loyer comme il l’entend. Si je renouvelle mon bail ce sera la même situation il ne pourra augmenter. Il ne peut augmenter le loyer qu’à la relocation, lors d’un nouveau locataire.

Cette proposition est de mon point de vue, une catastrophe pour le secteur locatif. Des élus socialistes, comme Gérard Collomb, le Maire de Lyon partage cet avis.

Quels impacts aurait cette mesure sur le marché immobilier ?

Si vous dites à un propriétaire : "Je te bloque ton loyer, et donc la rémunération de ton investissement", ce dernier n’effectuera plus une seule rénovation au sein du logement. Nous avons d’ailleurs une preuve historique de cet effet. Le blocage des loyers a déjà existé en France, ce que nous appelons "les loyers de 48". L’état des appartements en loyer de 1948 est une catastrophe. Évidemment, les propriétaires ne font plus les travaux d’entretien nécessaires.
Deuxième élément, lorsque vous êtes propriétaire, que vous avez emprunté afin d’effectuer un investissement locatif. Quand vous annoncez à ce propriétaire qu’il ne perçoit plus d’argent sur son investissement, que celui-ci n’est plus rentable il va automatiquement changer d’investissement.

L’effet majeur par pur pragmatisme, de ce type de mesure est le suivant : lorsque vous effectuez de la régulation de loyer, que vous dites à un propriétaire votre loyer n’est plus de 1000 euros par mois mais 900, un certain nombre de propriétaires vont dire "au revoir, je vends mon bien".

Cette situation nous l’avons déjà vécu, il n’y a pas si longtemps que ça, dans les années 1990… Les "Zinzins" (investisseurs institutionnels) étaient propriétaire de 23% du parc locatif privé en Ile-de-France, ils le sont aujourd’hui à 3%. Ils ont déserté. Pourquoi ? Ils avaient une rentabilité locative de 3,5% sur le marché du logement et à 5,5% de l’immobilier d’entreprise. Ils ont donc effectué des arbitrages patrimoniaux, ont vendu leurs logements et ils sont partis sur le marché d’entreprise.

Les impacts de cette mesure seraient complètement contreproductifs, une catastrophe totale avec moins de logements disponibles pour les locataires ! Si nous n’avions aucune expérience en la matière nous pourrions prétendre à un simple combat idéologique entre la droite et la gauche. Il se trouve que nous avons des exemples concrets sur ce phénomène, qui ont donné lieu aux ventes à la découpe.
Il est évident que les propriétaires privés qui représentent 97% des propriétaires ne vont pas tous entreprendre la même chose. Seulement si 5 à 10% d’entre eux agissent ainsi c’est 5 à 10% de logements en moins à la location en Ile-de-France, et donc une difficulté accrue pour se loger.

Le rapport de René Dutreyauteur du rapport sur "la mission sur l’encadrement des loyers, quelles solutions ?" prône une intervention dans les grandes agglomérations, un encadrement souple des loyersafin d’éviter les contraintes d’un plafond et parle d’agir en terme de niveaux de loyers. "Il s’agit de réactiver les mesures d’encadrement prévues à l’article17 a et 17 b de la loi du – juillet 1989, tout en simplifiant la mesure." Qu’en pensez-vous ?

L’état d’esprit est, de mon point de vue, le même. Cependant, cette mesure consistant à encadrer les loyers est moins dramatique que celle visant à établir des plafonds et des planchers.
Là encore la question qui reste à poser est celle du niveau de plafond. Si le niveau de plafond fixé est en dessous du marché actuel, automatiquement vous baissez les loyers. Inversement si vous le fixez au-dessus du prix du marché, vous tirez les loyers vers le haut. Fixer les loyers au marché actuel revient à geler les loyers. Nous pouvons tourner la mesure dans tous les sens, dans la finalité l’état d’esprit et les conséquences potentielles sont exactement les mêmes.


Eva Joly évoque le fait que cela fonctionne en Allemagne … 

Elle a raison. Cependant, il existe un détail et non des moindres, la situation de l’Allemagne est en régression démographique. Il n’existe pas de pression immobilière. Le rapport de force entre l’offre et la demande est totalement inversé. Lorsque vous avez plus de logements que de locataires les loyers baissent…

En Allemagne il y a donc peu de propriétaires et beaucoup de locataires. En France, la situation n’a strictement rien avoir, dans les zones tendues comme l’Ile-de-France, la région PACA où vous n’avez pas assez d’offres. C’est de l’argument électoraliste, bien évidement audible par la plupart de nos concitoyens puisque les loyers sont trop élevés. "Bloquons les loyers, l’Allemagne le fait". C’est un raisonnement basique qui tient en 30 secondes. C’est une erreur fondamentale. C’est la preuve soit d’une démagogie soit d’une méconnaissance totale des marchés.

En revanche quand il existe des abus, comme pour les micro-surfaces, il faut les réprimer. J’ai porté la création d’une taxe pour lutter contre les loyers abusifs des logements de 14m2 ou moins. La moyenne des loyers à Paris est de 22/23 euros par m2, nous avons observé des locations de 10m2 à 700 ou 800 euros. C’est inacceptable, il fallait agir.
Le gouvernement l’a fait et ce sont les sénateurs socialistes qui ont rejeté cette taxe. Ce vote incompréhensible a d’ailleurs été condamné par les associations d’étudiants, la Fondation Abbé Pierre… L’Assemblée nationale a rétabli cette taxe qui s’appliquera dès le 1er janvier 2012.

Vous n’êtes donc pas d’accord avec Michel Sapin. Quelles sont, selon vous, les solutions à l’augmentation des loyers ?

Je suis d’accord avec le constat -les loyers sont élevés et progressifs -, je ne suis pas d’accord avec les préconisations évoquées.
Pourquoi les loyers sont-ils très haut en Ile-de-France ? Parce que nous avons un jeu de l’offre et de la demande qui est déséquilibré. Vous avez trop de demande et pas assez d’offres de logements. La proposition du PS reviendrait à diminuer de manière supplémentaire l’offre de logements.
Pour répondre à ce jeu d’offre et de demande il n’existe qu’une solution : augmenter l’offre. Il est nécessaire de produire des logements.

Concrètement, que faut-il faire pour augmenter le nombre de logements ?

Il faut accepter de prendre des mesures difficiles en terme d’urbanisme afin notamment de libérer du foncier et accepter une meilleure densité.
Comment faire pour construire des logements en Ile-de-France ?
  • Libérer massivement du foncier existant. Le débat sur le sujet "Il n’existe pas de foncier" est faux. Lorsque vous prenez en compte les plans locaux d’urbanisme rédigés par les collectivités locales, observez les terrains constructibles : vous avez sur l’Ile-de-France 13 000 hectares. Pour vous donner une idée, la taille de la ville de Paris est de 9000 hectares ...
Les parkings de surfaces en Ile-de-France, détenus par les grands centres commerciaux, ou par les bailleurs sociaux, correspondent à  5000 hectares en Ile-de-France, toujours à rapporter à la surface de  9000 hectares de la ville de Paris.
Michel Cantal-Dupart, architecte du Grand Paris, a effectué une étude sur les possibilités à Paris intra-muros de procéder à de la surélévation d’immeuble. Il a étudié sur douze rues de taille diverses, douze arrondissements différents, et immeuble par immeuble, les solutions envisageables. Nous trouvons  460 000 m2 . De surcroît, tous les logements à Paris construits après 1968 sont tous sur le modèle du toit terrasse cela équivaut à 2millions de m2.  
En Ile-de-France, il est nécessaire de sortir du type de réflexion traditionnelle qui est le champ de patates. Il existe des fonciers nouveaux à inventer. Les marges de manœuvres existent, il faut simplement prendre en compte tous les éléments.
  • L’enjeu de la densité est également majeur concernant la situation en Ile-de-France.
Observons la réalité de la construction en Ile-de-France. C’est la région qui construit le moins de logement en France. Où construit-on en Ile-de-France ? 80% des permis de construire sont déposés dans 20% des communes. Il n’y a pas de maires bâtisseurs en Ile-de-France. 
Il existe des pistes conséquentes. A côté, les mesures de blocage des loyers sont des fausses bonnes solutions. C’est de la démagogie.
Propos recueillis par Caroline Long

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