Immigration et identité nationale : la proposition choc de 2007 que Les Républicains semblent avoir oubliée… à leur détriment ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le thème de l'identité nationale a clairement aidé Nicolas Sarkozy à remporter les élections présidentielles de 2007.
Le thème de l'identité nationale a clairement aidé Nicolas Sarkozy à remporter les élections présidentielles de 2007.
©Reuters

A double tranchant

Le parti de droite a consacré sa matinée du mercredi 16 septembre à définir une ligne claire sur l'immigration. En 2007, Nicolas Sarkozy avait trouvé un écho favorable en liant ce thème à celui de l'identité nationale.

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy est directeur du département politique & opinion d'Harris Interactive.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans quelle mesure est-ce que le thème de l'immigration a aidé la droite à remporter les élections présidentielles de 2007 ?

Jean-Daniel Lévy : Le thème de l'identité nationale a clairement aidé Nicolas Sarkozy à remporter les élections présidentielles de 2007. Mais pas uniquement sur l'idée un peu caricaturale du repli identitaire, elle a aussi beaucoup intéressé les Français sur la notion d'identité sociale, et globalement a engendré une dynamique qui a conduit à des questionnements sur ce thème. Au point que les électeurs "traditionnellement" de gauche s'y sont aussi intéressés. Elle était moins nette chez Ségolène Royal, mais la championne du PS a malgré tout dû rebondir sur ce thème, on se souvient de son selon laquelle chacun devait pouvoir arborer un drapeau tricolore à sa fenêtre, et que tout le monde devait connaître la Marseillaise ; "Il faut reconquérir les symboles de la nation et en même temps porter un regard neuf sur les valeurs de la nation" avait-elle déclaré pendant sa campagne, 52% de ses électeurs étant favorables à l'introduction du sujet dans la campagne présidentielle (sondage CSA-CISCO pour France 3). Bien entendu, cette demande de proposition sur l'immigration et l'identité nationale avait également eu un écho très important chez les sympathisants de Jean-Marie Le Pen (65% favorables), sans oublier les électeurs de droite eux-même (81%), et même au centre (54%).

Etait-il pertinent de considérer l'identité nationale à travers le prisme de l'immigration ?

Vincent Tournier : Lorsque Nicolas Sarkozy lance cette question de l’identité nationale, il brise un tabou. Il sort du placard une notion qui est devenue un gros mot pour les raisons que l’on sait (la Collaboration, la décolonisation, la construction européenne). Il va même plus loin puisqu’il fait effectivement un lien entre l’identité nationale et l’immigration. Cela revient à dire que la culture nationale est supérieure aux cultures migratoires, perspective qui fait hurler tous ceux qui pensent que la France doit continuer à expier ses fautes et rester modeste.

Maxime Tandonnet : On ne peut pas s'intégrer à rien, au vide. Les étrangers qui s'installaient en France dans les années 1920 1930, souvent fuyant les persécutions, avaient une varitable passion pour notre pays, qui incarnait pour eux la liberté et la démocatie. Les témoignages, comme celui d'Aznavour, abondent à ce sujet. Le mot France avait un sens pour les Français. Les jeunes Français trouvaient naturel de donner leur vie pour la patrie en cas de guerre. Cette passion de la France était communicative aux nouveaux arrivants dans le pays. A l'époque, on était fier de l'histoire de France, à travers ce qu'elle a de réel ou de mythique. Les héros des jeunes Français étaient Vercingétorix, Clovis, Jeanne d'Arc, Louis XIV, Napoléon, Gambetta et Clemenceau. Les jeune Français, c'est difficile à croire aujurd'hui mais c'est ainsi, avaient la fierté d'un Empire sur lequel le "soleil ne se couche jamais". Ils étaient fiers des grandes gloires de la littérature nationale, autour de ses grands auteurs. La Fontaine, Corneille, Racine, Lamartine ouVictor Hugo étaient des noms qui s'attachaient à la gloire nationale. Les Français étaient fier aussi de leur armée. Aujourd'hui, les jeunes Français entendent surtout parler de leur pays pour cultiver ses heures sombres, les guerres de la décolonisation, le régime de Vichy, le supposé racisme de la "France moisie". Si les Français n'aiment pas la France, comment la faire aimer par les nouveaux-arrivants dans le pays? Pour qu'ils aient envie de s'intégrer à la France, intégrer son histoire, son patrimoine, ses valeurs, il faut revaloriser les richesses de la Nation, sans dissimuler les vérités historiques, mais en les replaçant dans leur contexte. Quand on parle du régime de Vichy, il faut aussi mettre l'accent sur ce que fut la Résistance française, et le rejet de l'occupation comme de la collaboration par une immense majorité de la jeunesse française, bien entendu par delà les clivages idéologiques ou religieux. Les Français doivent aimer la France pour que les nouveaux-venus issus de l'immigration l'aiment tout autant eux aussi.

Dans quelle mesure le fait d'avoir mal exploité ce sujet pendant le mandat, pourtant important aux yeux des Français a-t-il pu participer à une désapprobation de Nicolas Sarkozy en 2012 ?

Jean-Daniel Lévy : La critique majeure faite à Nicolas Sarkozy repose sur la difficulté de pouvoir porter un message positif sur ce qu'était la France au cours du mandat, dont les fractures au sein de la société, ainsi qu'une forme d'impunité chez les plus riches. Les débats sur l'identité nationale se sont donc retournés contre lui parce que les Français attendaient qu'on leur dise ce qu'ils étaient, plutôt que de dire ce qu'ils n'étaient pas. Pour différentes raisons le débat a été axé sur le rejet des étrangers et non sur l'identité nationale au sens politique du terme.

Maxime Tandonnet : Le grand débat sur l'identité nationale lancé pendant l'hiver 2009-2010 n'était pas la bonne méthode. Il a été ressenti comme une manoeuvre politique destinée à séduire une frange extrémiste de l'opinion, ce qui n'était pas le cas. En outre, l'association à l'immigration dans un ministère a donné le sentiment d'une radicalisation droitière. Il fallait sans doute le présenter autrement en le sanctuarisant de la sphère politique. Avec le recul, il est facile de refaire l'histoire, mais ce débat n'aurait pas dû être conduit par le ministère en charge de l'immigration. Il aurait fallu le confier à un organisme indépendant, réunissant des historiens et intellectuels de toute sensibilité. Les responsabilités dans l'échec sont toutefois partagée. Si la majorité de l'époque s'est trompée en lançant un débat public dans des conditions se prêtant au soupçon d'une utilisation politique, notamment en le faisant diriger par un ministre du gouvernement Fillon, l'opposition a aussi manifesté un comportement sectaire en refusant de s'y associer et en le fustigeant en permanence dans des termes haineux, se limitant à pointer du doigt les dérapages constatés lors du déroulement des débats dans les préfectures. Il y avait peut-être autre chose à faire de plus constructif, même sans être d'accord au départ.

Quel diagnostic peut-on faire de cet échec ? Pourquoi cela n'a pas marché à l'époque ?

Vincent Tournier : Evidemment, la démarche de Nicolas Sarkozy était dictée par une logique tactique : il s’agissait de lancer une OPA sur le FN, ce qui a très bien marché puisqu’il a réussi à siphonner une bonne partie des voix du FN en 2007. Donc, du point de vue électoral, il ne s’agit pas d’un échec. Par contre, le problème est plutôt de savoir ce que Nicolas Sarkozy a fait de cette promesse. Pas grand-chose en vérité, ce qui a pu donner le sentiment qu’il ne s’agissait que d’un slogan électoral relativement creux, destiné à indiquer aux électeurs FN que la question de l’immigration allait enfin être traitée sérieusement. Mais n’est-ce pas plus compliqué ? Y a-t-il simplement eu un manque de volonté ? Sans doute, mais il ne faut pas sous-estimer les obstacles qui se sont dressés, à commencer par l’influence du pouvoir intellectuel. Le ministère de l’identité nationale et de l’immigration a suscité un tombereau d’injures toutes plus radicales les unes que les autres, y compris de la part de personnalités supposées modérées comme le sociologue Michel Wieviorka. Le coût moral de cette politique était donc très lourd, surtout après le fameux « discours de Grenoble » de l’été 2010.

Une autre raison de l’échec est que la seule mesure explicite, en l’occurrence l’expulsion de 25 000 immigrés clandestins par an, mesure annoncée par Brice Hortefeux dès son arrivée à la tête du ministère, s’est rapidement révélée impossible à mettre en œuvre. Les résistances ont été trop fortes, notamment de la part de la société civile et des associations, mais aussi de la part des administrations, y compris la police, laquelle n’a pas voulu effectuer le « sale boulot ». Devant cet échec, il devenait dès lors intenable de s’entêter, et c’est pourquoi le ministère a été supprimé en décembre 2010. Certains se sont réjouis de cet échec, mais on peut se demander si cet échec n’est pas un symptôme inquiétant des limites de l’Etat aujourd’hui

Maxime Tandonnet : Nicolas Sarkozy a souvent dit que le thème de l'identité nationale avait été l'un des leviers de sa victoire à l'élection présidentielle de 2007. Par la suite, il est vrai que de nombreuses erreurs ont été commises. La création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale n'était sans soute pas une bonne chose, même si c'est facile à dire après coup. L'identité nationale ne peut pas se réduire à un ministère. Elle n'est pas liée à l'immigration uniquement. Elle concerne un vaste pan de la vie gouvernementale, en particulier la culture et l'Education nationale, la Défense. Sans doute aurait-il été préférable de mettre en place une structure légère et indépendante de coordination des actions de promotion de l'identité nationale. En outre, il est impossible de parler de l'identité nationale avec en arrière-plan le soupçon d'une utilisation politique ou idéologique. Il aurait fallu, pour que l'initiative aboutisse, un consensus national sur le sujet. Ce thème a été trop considéré sous l'angle d'une manoeuvre politique. Peut-être aurait-il mieux valu commencer par une concertation de tous les acteurs concernés de la société civile lors d'une conférence naionale élargie.

Comment aujourd'hui réactiver ce sujet alors qu'il a été à la fois mal présenté par la droite et mal compris par la gauche ?

Vincent Tournier : Les questions d’identité ne doivent pas être négligées ou méprisées. On aurait tort de sous-estimer le besoin d’un peuple concernant son identité, même dans un pays assagi comme la France. Le contexte actuel de la mondialisation, avec l’ouverture des frontières, renforce ce besoin. On peut penser que la mondialisation provoquerait beaucoup moins de peur si l’opinion était rassurée sur la volonté des élites d’assurer une authentique protection collective. J’ajoute que, dans le cas français, l’inquiétude identitaire est décuplée par le fait que la population s’est profondément transformée en quelques décennies. Il suffit de regarder la démographie : on est passé de 40 millions d’habitants en 1954 à plus de 65 millions aujourd’hui. C’est énorme. La natalité a bien sûr contribué à cette évolution, mais il faut aussi tenir compte des flux migratoires, qui ont connu un boom spectaculaire au moment de la décolonisation. Une telle évolution est considérable. N’importe quelle société qui se modifie aussi vite ne peut qu’être traversée par des tensions importantes, voire des crises, mais la France a eu la chance de disposer d’un solide appareil étatique qui lui a permis de faire face. Cependant, cet arrière-fond démographique explique le malaise actuel. On ne peut d’ailleurs pas comprendre les réticences actuelles de l’opinion face aux migrants sans avoir à l’esprit ce contexte, amplifié il est vrai par l’effet Daech et les problèmes soulevés par les débats sur l’islam.

Une autre raison du malaise actuel est que le besoin d’identité est plus facilement pris en compte lorsqu’il s’agit des minorités que lorsqu’il s’agit de la population majoritaire. C’est ce qu’Alain Finkielkraut appelle le « romantisme pour les autres » : on admet que « les autres » puissent avoir des besoins identitaires, et même que leur identité doive être célébrée et encensée, mais dès qu’il s’agit de l’identité nationale, il y a un blocage. Bien sûr, les minorités doivent être respectées et protégées, c’est normal, mais un équilibre doit être trouvé entre la reconnaissance des minorités et la reconnaissance de la majorité. Or, le sentiment qui se diffuse, c’est au contraire que tout est fait pour les Autres, pas seulement sur le plan symbolique. De ce point de vue, la récente déclaration de Marie-Arlette Carlotti, ancienne ministre socialiste, sur les 77 000 logements sociaux qui seraient disponibles pour les migrants est tout simplement désastreuse. Cette dame était sans doute animée par de bonnes intentions, mais elle semble totalement méconnaître la réalité de la société française. Car en faisant cette déclaration, elle a tout simplement accrédité la thèse selon laquelle l’Etat en fait plus pour les étrangers que pour les autochtones. Comment pourrait-il en être autrement puisque tout le monde répète en boucle que le logement social est en crise ?

Il est vrai que la gauche a longtemps refusé d’entrer dans ces débats sur l’identité. Mais l’attitude pour le moins prudente du gouvernement sur la question des migrants incite à penser qu’il y a une prise de conscience. La dernière déclaration de François Hollande lors de son récent déplacement à Vesoul, est même très intéressante puisque celui-ci a déclaré qu’il venait délivrer un « message d’égalité », à savoir que tout le monde a les mêmes droits et les mêmes devoirs « que l'on habite dans un grand ensemble, dans un bourg rural, dans un logement social, dans un pavillon de banlieue ». Cette déclaration, pour le moins explicite, s’explique vraisemblablement par l’approche des élections régionales. Mais n’est-ce que cela ? Ne témoigne-t-elle pas aussi de la crainte de voir la société française s’enfoncer dans des ruptures irréversibles ?

Maxime Tandonnet : Sans doute faudrait-il s'y prendre tout autrement. Il faudrait s'appuyer sur l'éducation nationale plutôt que sur un ministère régalien et prendre une approche impatiale, a-politique, excluant tout sectarisme. Bien sûr l'impulsion initiale ne peut que relever d'un choix politique. Cependant, le dossier doit être confié à des intellectuels en particulier des historiens qui ne soient pas des idéologues partisans d'un camp ou d'un autre. La Nation, l'identité nationale ne sont pas de droite ou de gauche. Il faut sortir d'une logique de simples mesures ponctuelles. Chanter la Marseillaise en classe, pavoiser le drapeau tricolore devant les établissements scolaires, c'est bien mais très insuffisant. Il me semble que tout se joue principalement au niveau de l'école et de l'enseignement. C'est un travail de long terme, qui se joue sur plusieurs générations. La décision la plus cruciale serait de reprendre l'enseignement de l'histoire nationale, en la modernisant certes, mais en revenant à une logique qui privilégie les grandes figures du pays, politiques, littéraires, artistiques, militaire, économiques, la chronologie des évènements.

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