Hôpitaux français : pourquoi l'hôpital public va-t-il de crise en crise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du personnel médical s'occupent d'un patient dans une unité dédiée aux patients infectés par le Covid-19 à l'hôpital de Bastia, le 5 août 2021.
Des membres du personnel médical s'occupent d'un patient dans une unité dédiée aux patients infectés par le Covid-19 à l'hôpital de Bastia, le 5 août 2021.
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Gestion de la crise sanitaire

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière les difficultés des établissements de santé en France. Les réformes de ces vingt dernières années ont contribué au dépérissement de l'hôpital public.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Le variant Omicron vient d’aggraver la situation des hôpitaux en provoquant une augmentation brutale des hospitalisations de malades et une pénurie de personnel. Le variant très contagieux et plus résistant à l’immunité vaccinale a infecté le personnel diminuant les capacités hospitalières. Cette aggravation survient alors que le précédent variant (Delta) est toujours présent. À l’inverse des précédentes résurgences les deux derniers variants significatifs avancent l’un derrière l’autre  au moins en France créant une occupation significative des services de soins critiques.

LA COVID-19 EST ENTREE EN PHASE PRESIDENTIELLE 

Dans l’agenda des prochains mois, en France, il y a l’évènement politique quinquennal unique qui donne tous les pouvoirs. C’est pourquoi l’analyse de la situation est biaisée. L’opposition bien silencieuse depuis 5 ans a une solution à tout et surtout fait des diagnostics qui auraient été plus intéressants avant la pandémie… L’état n’a pas beaucoup appris en deux ans si l’on en juge par les erreurs itératives de politique sanitaire. À défaut de consensus national, une grave lacune,  les institutions du pays démontrent une grande rigidité alors que la pandémie exige une grande adaptabilité. Dans ce contexte, le contraste est grand entre l’agitation médiatique autour de tout et pour tout sujet relatif à la pandémie et l’adhésion des Français aux mesures de santé publique y compris contraignantes qui font consensus dans le monde. Depuis Juillet la ligne du président n’est plus le “en même temps”, le “stop and go”, le “on va revivre comme avant” mais bien cette ligne de crête entre le déni, l’incroyable déni de la pandémie et le confinement indifferencié généralisé que j’ai considéré comme sanitairement inefficace et économiquement dangereux dans plusieurs analyses du début de l’épidémie (https://www.atlantico.fr/article/decryptage/confinement-indifferencie--une-punition-collective-de-moins-en-moins-justifiable-les-preuves-scientifiques-confinement-covid-19-guy-andre-pelouze) et (https://atlantico.fr/article/decryptage/coronavirus--le-gouvernement-rattrape-son-retard-conceptuel-mais-pas-son-retard-operationnel-guy-andre-pelouze) et (https://atlantico.fr/article/decryptage/covid-19--incoherences-de-confinement-rarete-deliberee-des-tests-efficacite-relative--chloroquine-methode-soins-chine-france-europe-coronavirus-guy-andre-pelouze ). Cette ligne de crête entre l’irrationalité et l’autoritarisme tardif. Pour l'instant, les Français ont tranché. Il reste à comprendre ce qui se passe dans nos hôpitaux.

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Nous vivons une pandémie pas une crise

L’addition habile du mot crise à chaque événement nouveau est un leitmotiv tout simplement marxiste. La crise est nécessaire dans cet univers conceptuel puisque selon ces prophéties le capitalisme va à sa perte jusqu’à l’avènement du socialisme. Schumpeter l’avait dénoncé… Et Gramsci l’a re-théorisé pour la transformer en outil performatif au service de la cause. Or nous ne vivons pas une crise, nous ne vivons pas une crise organique, le système capitaliste de marché n’a jamais apporté autant de contributions au bien être de l'humanité et les pandémies ne sont pas dues à la déforestation massive. Les pandémies sont des évènements du vivant connus depuis au moins l’Ancien Testament (horresco referens). Les virus sont des particules biologiques à contenu génétiques dont l’origine est très ancienne c’est à dire plus de trois milliards d’années. Il y aura donc d’autres pandémies.

Une infection ne se prévient pas en réanimation

Une épidémie, une pandémie sont des phénomènes infectieux de transmission d’un micro-organisme. C’est pourquoi l’attitude raisonnable n’est pas de laisser faire la transmission du micro-organisme et de traiter les malades à l’hôpital mais d’abord de réduire au maximum la transmission par des protections personnelles. Les protections sont différentes selon le type de transmission. Mais quelle que soit l'épidémie, on ne la prévient pas en réanimation. Les asiatiques ont de ce point de vue une habitude culturelle d’avance sur nous car ils appliquent les protections. On retrouve dans les textes bibliques des recommandations témoignant de l’observation des pandémies et de leur prévention par nos Anciens. Il y a d'autres raisons d’insister sur la prévention. Il est dangereux de s'affranchir de la prévention car une transmission accélérée peut effectivement dépasser les capacités de n’importe quel système de soins. De même s’il n’existe pas de traitement efficace et que cette épidémie est mortelle pour certains, s’affranchir de la prévention c’est entraîner mécaniquement une très forte mortalité.

La maîtrise de la transmission est encore plus importante aujourd’hui car nous avons dans nos modes de vie de puissants accélérateurs de la transmission

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La transmission suppose au moins un individu contaminé et un susceptible à une distance variable suivant le type d’infection. Les vols aériens, les déplacements en voiture ou en train transportent des individus qui sont le plus souvent sans le savoir les meilleurs alliés d’un virus ou d’une bactérie pathogène. Il suffit de regarder le trafic réel pour comprendre l’importance de ces mouvements de population dans la cinétique d’une pandémie (Figure N°1).

Figure N°1: les vecteurs aériens d’une pandémie au 21ème siècle.

Tous les moyens de transports ont intensifié les contacts sociaux en les multipliant sur toute la planète. Cette intensification concerne aussi bien les contacts sociaux dans un petit périmètre que des échanges transcontinentaux. La “protection” de l’éloignement géographique du lieu où l’agent infectieux est né a disparu. En quelques heures un virus du continent asiatique peut se retrouver dans un EHPA européen et vice versa. Or nous n’avons mis en place aucun moyen mobilisable rapidement pour compenser ce risque qui en temps normal est un avantage pour notre qualité de vie et nos échanges économiques. C’est pourquoi cette question des frontières et de la maîtrise des flux est importante à chaque nouvelle épidémie et à chaque résurgence par exemple d’un variant. Il s’agit soit de limiter et de circonscrire les foyers sporadiques importés soit d’aplatir la courbe exponentielle pour éviter un nombre absolu de malades dans un laps de temps très court.

La santé immunitaire est préoccupante pour certains de nos concitoyens

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Disons le franchement, il est inexact de faire de cette pandémie un évènement qui emporterait les fragiles qui “devaient mourir”. Cet âgisme est une honte. Dans une société agitée par des discriminations souvent construites pour des besoins politiques, assister pendant des mois à des déclarations allant dans ce sens cynique a été très douloureux pour beaucoup de personnes âgées. Leur résilience et leur silence ont été exemplaires. Cette indignité ne s’est pas épuisée devant la réalité qui est revenue en boomerang dans la tête de ceux qui ont pensé cette fiction. Récemment, ce sont les non vaccinés qui en ont fait les frais. Il faut revenir à la médecine. En effet l’infection est le résultat d’une faille de nos défenses immunitaires. Personne selon les circonstances n’est à l’abri d’un contact infectieux. Ce sujet de l’immunité anti-infectieuse a paradoxalement été sous-évalué en raison de la formidable avancée des conditions de vie, des vaccins et de l’antibiothérapie. Mais ce trio a atteint ses limites. La formidable avancée de l’espérance de vie et la dissolution des liens familiaux a conduit à une concentration de personnes très âgées avec de faibles défenses immunitaires dans des établissements où la question des épidémies a été sous évaluée, l’abondance alimentaire a entraîné des conséquences métaboliques sérieuses dans toutes les classes d’âge (obésité centrale, diabète type 2), les grossesses à risque ont été menées à un terme vital avec des nouveaux nés très fragiles et des femmes enceintes et des parturientes à gros facteurs de risques alors qu’elles sont immuno-fragilisées par la grossesse elle même. La liste doit être complétée des formidables succès dans le traitement des cancers, des maladies auto-immunes et des transplantations qui ont permis de survivre à des millions de personnes avec un système immunitaire fragile. Chez eux la protection personnelle est obligatoire dans une pandémie, par eux mêmes mais aussi par la contribution volontaire ou contrainte des autres citoyens. Dans une pandémie transmettre n’est pas une liberté c’est une coupable irresponsabilité, des mains souillées à l’air expiré. Il ne s’agit pas là d’une dictature sanitaire ou hygiéniste et il ne faut pas confondre un enfant jouant avec l’herbe, la terre et son environnement avec un adulte malade transmettant un agent infectieux potentiellement mortel.

Améliorer la santé métabolique et l’immunité des individus à risque est un des objectifs de la recherche en biologie qui connaîtra probablement la plus forte accélération. La santé publique ne s’arrête pas quand la pandémie faiblit, à condition qu’elle soit portée par la société civile au cœur de nos activités quotidiennes.

L’immunité se renforce par la guérison spontanée ou pharmacologique de l’infection et/ou la vaccination

Devant les résultats prodigieux de la vaccination contre la Covid-19 l'existence d’un mouvement antivax très minoritaire mais très vociférant et transversal dans nos sociétés s’explique avant tout par l’abondance et la gratuité. Ce qui est gratuit perd de la valeur. Jusqu’à être perçu comme inutile ou dangereux par certains. Or c’est le contraire, nous disposons d’armes importantes contre ce coronavirus. Dans la situation actuelle ce qui est important c’est que pharmacologiquement la Covid-19 peut être rendue modérée par un antiviral. C’est la possibilité de tarir deux flux, celui de la mortalité chez les malades immuno-fragiles et comorbides et celui de mutations très dangereuses chez des porteurs longs voire chroniques du virus. Les effets secondaires apparaissent acceptables. Il faut encourager l’utilisation de cet antiviral  (le Paxlovid®) le plus tôt possible. Comme il faut encourager l’utilisation du Remdésivir® dans les indications précises où il est capable de diminuer la mortalité. Sauver des vies est un des fondements de la médecine, il n’est jamais trop tard. La vaccination et notamment les vaccins à ARN messager sont très efficaces contre le Sars-CoV-2, y compris le variant Omicron. Ces vaccins ont été conçus depuis le début de la pandémie pour diminuer la mortalité et les formes graves. Le choix de l’antigène, le mode d’administration et les résultats dans les RCTs (essais cliniques randomisés) comme dans la vraie vie confirment le caractère essentiel de la vaccination chez les personnes qui n’ont pas été contaminées par le virus, mais aussi chez les personnes qui ont guéri de la Covid-19. Nous revenons de ce fait à l’hôpital. Hurler ou exiger avec un ton comminatoire des “lits” et en même temps saper itérativement la confiance dans les traitements tour à tour le vaccin et ensuite les antiviraux est totalement idéologique. En effet, deux ans après, compte tenu des données accumulées il ne s’agit pas d’irrationalité mais d'intentionnalité. Malheureusement cette idéologie multicarte qui va de l'anticapitalisme à la démesure d’un égo contrariant en passant par l’ignorance a réussi dans notre pays à envoyer en réa des personnes qui auraient été très bien protégées par la vaccination. Les médecins les soignent et jamais aucune autre considération que la vie n’anime le cœur et la raison d’un médecin d’un infirmier dans ces longues heures de bataille harassante au milieu de la réa. Jamais. Mais évidemment des choix sont faits chaque jour et en rappelant tout ce qui peut être fait avant d’être contraint de se rendre à l’hôpital je veux d’abord les encourager et rappeler dans ce débat autour de la médecine de pandémie que la responsabilité de chacun est engagée ce qui manifestement est ignoré et d’autre part ne suffit pas.

Vacciner dans une pandémie grave sans organisation sanitaire est une menace permanente pour l’hôpital

C’est ce que j’ai eu du mal à comprendre. Comment les soi-disants défenseurs de l’hôpital public qui sont à la fois très puissants et dotés de tous les moyens pour obtenir des avis et des conseils pertinents sourcés à l’international ou en interne, ont-ils pu négliger à ce point le bouclier d’une organisation sanitaire? Un bouclier qui protège la population de la contamination et les hôpitaux de ce qu’ils ne savent pas faire pour se consacrer à leur tâche immense. Isoler, assister, tester, tracer, organiser la quarantaine aux frontières ou dans des foyers épidémiques (TTIQ), tout cela n’a rien à voir avec appeler au téléphone des cas positifs depuis le château fort de l’ARS. C’est une action humaine au contact des populations de toutes les populations avec les moyens nécessaires de traçage, de véhicules, d'assistance alimentaire, infirmière, médicale et dans la foulée la vaccination et d’autres traitements. Ces équipes sanitaires mobiles en liaison avec les deux échelons administratifs efficients à savoir la région et la commune sont des groupes hybrides issus de la société civile, de la réserve sanitaire et militaire, des étudiants en santé et d’autres initiatives associatives par exemple. Finalment elles furent promulguées par une loi du gouvernement d’E. Philippe sous le nom de brigades sanitaires. L’état dans l’état n’en faisant qu’à sa tête cette décision est restée lettre morte. On peut espérer qu’un nouveau ministre de la santé fasse l’effort de s'intéresser à cette question essentielle semble-t-il moins médiatique que de s e faire vacciner en présence des caméras ou incriminer les non vaccinés qui ne sont pas tous loin de là des antivax. Comprendre la question hospitalière c’est résoudre en amont la vaccination des plus fragiles de 0 à 100 ans. Il y a 364 000 enfants immuno-fragiles ou à risque et semble-t-il plus de 600 000 Français de plus de 80 ans non vaccinés… Les équipes sanitaires mobiles sont toujours indispensables.

L'hospitalo-centrisme a détruit une partie des forces hospitalières

Quand au début le ministère et le gouvernement prennent l’orientation de confier la pandémie à l'hôpital public le désastre est annoncé. Comment une administration rigide et par définition sans marge de manœuvre pourrait-elle faire face en première ligne à une pandémie? C’est un non sens. La situation est en fait plus grave encore parce que le ministère confie aux ARS, nos préfets sanitaires régionaux spécialisés dans la planification quasi-soviétique du système de soins mais pas du tout en santé publique l’organisation de la réponse. Aurait-on l’idée dans un bloc opératoire de confier à un jeune interne qui se destine à l'économie de la santé une opération difficile en solo? Cette erreur dont le gouvernement de l’époque se défend faiblement va avoir des conséquences graves. Mis à l’écart la médecine ambulatoire, les infirmières libérales, les pharmacies, les hôpitaux privés, la médecine scolaire, la médecine du travail sont autant de bras qui vont manquer dans la résistance à la phase sporadique de la pandémie alors qu’il n’y a ni équipements de protection, ni tests, ni vaccins, ni médicament antiviral. Bien avant que les réas soient en danger de rupture, c’est le 15 qui succombe et le gouvernement change d’approche. Mais l’hôpital est déjà désorganisé et ceux que l’on a écartés (par idéologie encore une fois) peinent à se mettre “en marche”. Car en fait l’intention a changé mais rien n’est prêt sur le plan organisationnel. Une partie de ces erreurs auraient pu être évitées si une petite partie des réunions interminables qui se déroulent toujours dans le système hospitalier public et dans les ARS avaient été remplacées par des exercices de simulation de crise bien conduits. Il est dangereux de laisser des administrations à elles-mêmes.

OU ALLONS-NOUS ?

La France n’est bien sûr pas la seule nation à être confrontée à ces difficultés. Ce stress test de la pandémie révèle cependant des fragilités particulières. Certaines sont comparables à ce que l’on observe dans d’autres domaines où l'immobilisme et l’inefficience se sont accumulés malgré des moyens financiers incontestables (Figure N°2) , d’autres sont plus inattendus. Nous l’envisageons dans une deuxième partie.

Figure N°2: Dépenses de santé en pourcentage du PIB (%). Il est factuel de constater des dépenses de soins très élevées en France. Les pays cités qui dépensent entre 1 et 1,5 point de PIB de moins ont des systèmes de soins très performants et une qualité des soins au moins égale.

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