Henri, le héros dont l’évocation de la foi révèle en creux l’étrange aliénation culturelle du reste des Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Henri, le jeune héros d'Annecy, et Emmanuel Macron, DENIS BALIBOUSE / POOL / AFP
Henri, le jeune héros d'Annecy, et Emmanuel Macron, DENIS BALIBOUSE / POOL / AFP
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Haine de soi

Nombre de commentaires suite à l’attaque d’Annecy ont visé à minimiser l’importance de la foi catholique dans l’action du jeune homme. Et surtout à systématiquement rappeler que l’Eglise et les chrétiens seraient forcément porteurs d’autant de violence ou de crimes que d’autres religions . Au mépris de l’histoire comme de la théologie…

Rémi Brague

Rémi Brague

Membre de l'Institut, professeur de philosophie à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne et à la Ludwig-Maximilians-Universitat de Munich, Rémi Brague est l'auteur de nombreux essais dont Europe, la voie romaine (1992), la Sagesse du monde (1999), La Loi de Dieu (2005), Au moyen du Moyen Age (2008), le Propre de l'homme (2015) et Sur la religion (2018).

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Atlantico : A Annecy, l’attaque aurait pu virer au drame si un jeune homme n’était pas intervenu. Henri, chrétien pratiquant et qui invoque sa foi pour expliquer son acte, s’est mis en travers de la route de l’agresseur et a protégé les enfants qu’il venait attaquer à l’aide de son sac à dos. Depuis, un certain nombre de commentaires, essentiellement sur les réseaux sociaux, n’hésitent pas à minimiser l’importance de la foi du jeune héros dans son acte. Comment expliquer, selon vous, une telle réaction ? De quoi est-elle la traduction ?

Rémi Brague : Tout simplement, d’une certaine mauvaise foi. Les réseaux sociaux ne sont pas un endroit où la bienveillance, l’effort d’être le plus objectif possible et le souci d’un jugement équilibré fleurissent… Selon les opinions préconçues, on minimisera, ou au contraire, valorisera, tel ou tel aspect. Si le jeune homme en question, dont j’admire la détermination, attribue lui-même son attitude à sa foi, je vois mal comment on pourrait prétendre savoir mieux que lui ce qui l’a poussé à agir. Je comprends en tout cas la rage de certains : un mâle, blanc, ancien scout, natif d’une ville bourgeoise (enfin, cela aurait pu être Versailles, on l’a échappé belle !), et catholique par-dessus le marché… On insiste sur l’origine africaine ou maghrébine de l’auteur d’un acte héroïque, comme ce migrant qui a escaladé un immeuble incendié pour sauver un enfant. On en déduit que ces gens peuvent être des gens bien—ce qui devrait d’ailleurs être une évidence. Pourquoi ne pas faire de même pour ce brave garçon ?

Parmi les réactions, certaines vont plus loin et n’hésitent d’ailleurs pas à attaquer l’Eglise et ses disciples. Selon eux, les chrétiens et leur foi seraient porteurs, de manière systématique, d’une violence observée tout au long de l’histoire. Peut-on vraiment dire de la foi chrétienne qu’elle pousse autant à la violence que d’autres religions ?

Il est de fait que des Chrétiens, au long de deux millénaires d’histoire, ont commis des crimes. Je proposerais comme principe valant pour toutes les croyances, religieuses ou non, de distinguer trois niveaux : 1) un adepte d’une croyance déterminée commet un crime ; 2) le criminel prétend agir au nom de sa croyance ; 3) son action correspond à ce qu’enseigne ladite croyance, voire, prend pour modèle le personnage dont elle se réclame. 

Dans le premier cas, les causes du passage à l’acte peuvent n’avoir rien à voir avec la croyance dont il se trouve que le criminel la professait. Tout au plus pourra-t-on dire qu’elle ne constituait pas une garantie suffisante—ce qui est de banale évidence : entre la croyance et l’action qu’elle recommande, voire commande, il y a toujours une marge. 

Le second cas est plus sérieux : dire « Dieu le veut ! » ou « Allahu akbar ! » avant l’attaque, c’est grave. Mais là aussi, on pourra plaider que les Croisés avaient mal appris leur catéchisme et les Djihadistes mal interprété le Coran et les hadiths. Ou encore, on dira que les généraux japonais, bouddhistes Zen, qui ont ordonné le bombardement de Shang-Haï n’avaient rien compris au Bouddha. 

Le troisième cas oblige à s’interroger sur l’enseignement et le comportement du fondateur : le Bouddha du Dhammapada, le Jésus des Évangiles, le Mahomet des hadiths (non du Coran, celui-ci étant censé avoir pour auteur Allah, et non le Prophète) et de la Sira, la biographie la plus ancienne. Le Mahomet qui y est dépeint n’a pas hésité à commanditer des assassinats. 

Certains exemples historiques nuancent-ils la critique portée par ces individus ? Plusieurs d’entre eux rappellent ainsi les violences de l’inquisition espagnole. Ce choix de contre-exemple vous paraît-il pertinent ? L'Eglise a-t-elle aussi joué un rôle pour l'amélioration des droits humains, parfois au risque d'entrer en opposition avec le pouvoir politique ?

Beaucoup de gens réduisent l’histoire de l’Eglise à « lescroisadesetl’inquisition » — en un seul mot, comme Sartre appelait ses grand parents « Karlémami ». 

On peut effectivement trouver bien des contre-exemples, plus profonds et plus durables : le défrichage de l’Europe par les moines, la délégitimation de l’esclavage (son abolition effective a mis du temps…), la prise en charge par l’Église des malades, des pauvres et des enfants abandonnés, etc. 

Mais il convient d’abord de s’interroger sur les cas que l’on serine, et avant tout les deux que je viens de rappeler. Leur image dans les médias est infiniment moins nuancée que celle que les historiens de métier, quand ils sont spécialistes de ces questions, en donnent à partir des archives. Ce sont eux, par exemple, qui rappellent que l’Inquisition était beaucoup moins sévère que les tribunaux civils de la même époque, au point que l’on connaît des cas de prévenus faisant appel de ceux-ci à l’Inquisition pour augmenter leur chance d’être acquittés.

A certains égards, faut-il penser que cette tendance des Français à voir la chrétienté plus noire qu’elle ne peut l’être ne résulte pas d’une tendance à la haine de soi et de son histoire ? Que faire contre cela ?

D’une certaine manière, cette attitude démontre à quel point le christianisme est lié à la France, pour le meilleur ou pour le pire, que les Français le sachent et le veuillent ou non. Quand on se hait soi-même, on devra haïr ce qui fait de soi ce que l’on est, ce qui nous est essentiel, donc. Que la haine de soi française tourne à la haine contre la foi chrétienne est une reconnaissance de l’influence décisive de celle-ci.

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