Haret al-Yahoud : le feuilleton qui bouscule l’image des Juifs dans les pays arabes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Haret al-Yahoud : le feuilleton qui bouscule l’image des Juifs dans les pays arabes
©

Les lignes bougent

D’ordinaire, les Juifs sont représentés comme le mal absolu à la télévision. Populaire jusqu’en Palestine, ce soap opera change les mentalités.

Les vieilles rues du Caire ont tendance à se ressembler. Murs décrépis, sol défoncé, bâtiments vides… les plus pauvres peuplent ces quartiers. Il en est un que tout le monde, ou presque, a oublié. Au détour d’une impasse, une étoile de David et en cherchant un peu, des écritures hébraïques. Bienvenue à Haret al-Yahoud, c'est-à-dire "le quartier juif." C'est dans ce lieu, quasi-mythique que se déroule le nouveau feuilleton égyptien à la mode, qui porte le même nom que cet endroit. Si aujourd'hui, il reste quelques synagogues en ruine bien cachées et à peine quelques dizaines de Juifs au Caire, ça n'a pas tout le temps été le cas. Dans les années 1940, on compte encore environ 100 000 Juifs dans la capitale égyptienne. La création d'Israël et les guerres successives vont changer la donne. Des dizaines de milliers d'entre eux quittent le pays pour l'Europe puis en direction de l'Etat hébreux, gardant le souvenir impérissable de Haret al-Yahoud, où les communautés se mélangeaient sans se faire la guerre

.

C'est sur ce fantasme historique que repose le feuilleton : un récit shakespearien, un amour impossible entre une jeune femme juive et un militaire musulman que tout oppose lors de la guerre de 1948 entre le tout jeune état d'Israël et la puissante Egypte. Des Juifs à la télévision égyptienne ou palestinienne, ce n'est pas une première. La différence, c'est qu'ils ont cette fois le rôle des "gentils."

En 2004, la chaîne iranienne Sahar 1 diffuse ainsi "Les yeux bleus de Zahra," une série où les Israéliens tentent de voler les yeux de jeunes palestiniens, en Cisjordanie. Ce genre d'histoires à la télévision a fleuri dans le contexte de guerre larvée au Proche-Orient. Cette fois, Haret al-Yahoud bouge les lignes de front et montre la vie des juifs des années 50, non pas comme des ennemis de l'Islam mais tout simplement comme des Egyptiens comme les autres. "C'est vraiment nouveau pour nous" explique au Washington Post un Palestinien qui assiste au programme. "Regardez-les ! Regardez cette dignité" clame-t-il alors que, sur l'écran, un patriarche juif enseigne la patience.




Malgré une prise de risque évidente, c'est un carton. En Cisjordanie, les audiences explosent avec 40% d'audimat. Pendant le mois de Ramadan, la série a réalisé ses meilleurs scores en Egypte et en Syrie. Et si certains y voient une tentative de propagande organisée par Israël, le feuilleton est bien un produit arabe. "La série ne traite pas seulement des Juifs, mais d’un quartier égyptien connu comme le quartier juif, où les musulmans, les chrétiens et les juifs ont vécu ensemble " explique son réalisateur Medhat el-Adl au quotidien égyptien Al-Masry Al-Youm. "On n’a jamais dit ‘celui-ci est un chrétien ou un musulman ou un juif’ ; ils étaient tous Égyptiens. Par conséquent, on ne devrait pas appeler les juifs autrement qu’Égyptiens." Les créateurs ne s'en cachent pas, il s'agissait d'envoyer un message international mais aussi local. Car dans Haret al-Yahoud, les "méchants" sont les Frères Musulmans, ceux qui ont pris le pouvoir en Egypte avant d'être chassés, emprisonnés ou exécutés sous l'impulsion du nouveau président du pays, le général Sissi, le "sauveur" de la Révolution.



Mais les succès d'audience n'empêchent pas la polémique et beaucoup de détracteurs pestent contre cette "héroïsation" du peuple juif. Selon Jeune Afrique, les chaines du Qatar ont déjà annoncées qu'elles ne diffuseraient pas le soap opera et l'actrice principale a même dû se justifier de son rôle : "le but de la série n’est pas d’embellir la face d’Israël, ce n’est en aucun cas un hommage à Israël mais un retour sur une période de notre histoire" a-t-elle affirmé. Côté Israël, le feuilleton est très bien accueilli par la critique mais plusieurs voix de la communauté juive d'Egypte soulignent des erreurs. Loin de l'image idyllique représentée, Haret al-Yahoud n'a finalement pas beaucoup changé, selon Albert Arie, interrogé par Reporters.dz. "C'était un ramassis de ruelles, comme des coupe-gorges, avec des maisons qui s’écroulaient." Mais derrière toute histoire nationale, il y a un subtil mélange de vérité et de fantasmes. De cette façon, Haret al-Yahoud réussit tout de même à capter les esprits et peut-être à les réconcilier. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !