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Guerres de “propagande” : après les médias d’influence russe, Breitbart, le porte-avion de la droite alternative américaine débarque
©Reuters

La France, ce champ de bataille

Alors que les réseaux pro-russes sont déjà bien implantés dans le paysage médiatique français, Breitbart, le site américain conservateur pro-Trump a l'intention de s'implanter en France prochainement en vue de couvrir (et d'influencer ?) l'élection présidentielle de 2017. Son fondateur, Steve Banon, voit dans le Front national l'équivalent de l'Alt-right américaine.

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l'ICES (Institut Catholique d'Études Supérieures).

Il enseigne ou a enseigné dans divers autres établissements comme Sciences-Po Paris. Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d'ouvrages scientifiques parmi lesquels Dictionnaire de la politique et de l'administration (PUF, 2011) et Introduction à l'histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2éd., 2011), ou destinés au grand public, dont L'instruction civique pour les nuls (First, 2e éd., 2015). Il est également l'auteur de La guerre à droite aura bien lieu, (Desclée de Brouwer, 2016).

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Atlantico : Le site d'information américain conservateur et pro-Trump Breitbart a l'intention de s'implanter en France au printemps 2017 afin de couvrir l'élection présidentielle. Steve Banon, son fondateur, voit dans le Front national l'équivalent de l'Alternative-Right américaine, communément appelée Alt-Right. Ce rapprochement entre l'Alt-Right américaine et le Front national vous semble-t-il pertinent ? Est-ce le courant politique qui incarne aujourd'hui le mieux en France cette "droite alternative" ? 

Guillaume Bernard : Les convergences idéologiques et programmatiques sont incontestables. C’est en particulier le cas sur la volonté commune de lutter contre l’immigration pour conserver la cohérence culturelle du pays, de mettre en œuvre le protectionnisme pour protéger les entreprises et la main d’œuvre nationale ainsi que leur vision des relations internationales qui se veut réaliste (et non idéaliste). L’élection de Donald Trump, c’est la fin de l’affrontement Est-Ouest (que les néo-conservateurs avaient prolongé malgré l’effondrement de l’Union soviétique) permettant de se focaliser sur un ennemi commun : l’islamisme. A cela s’ajoute que, après le Brexit, au Royaume-Uni, le monde anglo-américain, qui a été le moteur de la globalisation, pourrait devenir le cœur de la dé-mondialisation.

Il y a, cependant, des différences de doctrine et de stratégie. Sous l’angle idéologique (et même psychologique pourrait-on dire), l’Alt-Right s’assume pro-vie et affirme l’identité chrétienne de la société occidentale. Il est notoire que l’actuelle direction du FN est éloignée de cette position. Du point de vue stratégique, deux points doivent être mentionnés.

D’une part, l’Alt-Right s’affiche et s’assume de droite tandis que le FN tente un positionnement "ni droite ni gauche". La pari est risqué parce qu’il ne tient pas compte de la porosité différentielle des électorats et parce ce positionnement s’affiche dès le premier tour en oubliant de rassembler d’abord son camp avant de l’élargir. Il semble toutefois qu’il y ait une récente légère inflexion, dans le symbole du moins, avec le logo de campagne de Marine Le Pen : une rose bleue qui tendrait à dire "et de droite et de gauche". Cela reste cependant un défi car réunir des électeurs en faveur d’une personne ou d’un parti est plus délicat que de rassembler des votes contre pouvant avoir des motivations disparates (comme ce fut le cas, en 2005, lors du référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe).

D’autre part, l’Alt-Right a fait le choix de se focaliser sur le substrat du corps social américain, de parler au peuple majoritaire et non aux communautés (qu’elles soient d’appartenance ou de choix) quitte à les froisser voire les heurter. Le FN de Marine Le Pen et de Florian Philippot, quant à lui, semble vouloir additionner des électorats disparates au risque soit d’avoir à tenir un discours manquant de cohérence (lutte contre l’immigration mais affirmation de la compatibilité de l’islam avec la République), soit à devoir se réduire au plus petit dénominateur commun (souverainisme et exclusion des débats sociétaux jugés trop clivants).

Par ailleurs, Steve Banon a qualifié Marion Maréchal Le Pen d'"étoile montante". Quelles sont les grandes lignes et idées de l'Alt-Right américaine et dans quelle mesure Marion Maréchal peut-elle s'inscrire dans une logique similaire ? Qu'est-ce que cela nous dit des divergences idéologiques et de visions économiques au sein du Front national ? Ces divisions sont-elles similaires à celles que le Grand Old Party a connues à l'apparition des nouveaux Tea Party puis de l'Alt-Right de Trump ?

L’appréhension du FN par les Américains de la droite radicale est sans doute perturbée par l’ambiguïté doctrinale de ce parti. Contrairement aux conservateurs américains, le FN penche vers un certain libéralisme sociétal (acceptation de l’avortement, abrogation de la loi Taubira pour mettre en place un PACS amélioré). Mais comme eux, il n’est pas libéral d’un point de vue économique (ce qui le conduit, parfois, à confondre deux choses pourtant fort différentes : être anti-libéral et adopter des propositions de gauche en matière de protection sociale par exemple). Au final, il est tout de même certain que, malgré ces différences, le FN incarne en partie, dans le spectre politique français, le même type de phénomène que le Tea Party et l’Alt-Right aux États-Unis : ce que j’ai proposé d’appeler le "mouvement dextrogyre" ou "dextrisme", c’est-à-dire à la fois la droitisation de l’électorat et le renouveau des idées classiques (ou mêmes réactionnaires).  

Du point de vue du discours "décomplexé" s’assumant de droite, s’affichant conservateur sur les questions culturelles (affirmation des racines chrétiennes contre le laïcisme exacerbé) et sociétales (défense du combat pro-vie), se déclarant "subsidiariste" (ou, si l’on préfère anti-étatiste) sur les questions économiques (baisse de la fiscalité sur les familles et les entreprises) et sociales (libertés pour les institutions scolaires et universitaires) et, enfin, se revendiquant protectionniste sur les enjeux internationaux (contrôle strict des frontières pour ce qui concerne tant les hommes que les marchandises), c’est la "droite hors les murs" (DHLM) qui ressemble encore plus à la droite alternative américaine que le FN.

Mais il est certain qu’elle est peu visible, surtout depuis les États-Unis. Il est donc logique que les tenants de l’Alt-Right se focalisent, du moins pour l’instant, par pragmatisme, sur le FN et celle qui, dans ses rangs, paraît la plus proche (et d’ailleurs la plus compatible avec la DHLM) : Marion Maréchal.

L'Alt-Right peut-elle être un créneau politique aussi porteur en France qu'aux États-Unis ? Quels sont les facteurs (sociologie électorale, culture politique, religion, thématiques racialistes…) qui portent cette Alt-right aux États-Unis et qui n'existent pas en France ?

Les ressorts du vote populiste en France et aux États-Unis se ressemblent : il y a un double aspect patrimonial portant sur le niveau de vie (insécurité matérielle) mais surtout sur le mode de vie (insécurité culturelle). Avec des caractéristiques propres à chaque pays, le populisme c’est la valorisation de ce qui vient du peuple (angle ethnique) et de ce que fait le peuple (angle démocratique). Il y a donc une convergence entre les deux rives de l’Atlantique : c’est la réaction du peuple contre les élites intellectuelles et médiatiques, c’est la révolte des classes populaires oubliées et des classes moyennes qui se paupérisent (la "France périphérique" ou l’ "Amérique du milieu") contre les métropoles mondialisées (tant d’un point de vue financier que culturel). Le populisme français ou américain, c’est l’anti-syndrome de Stockholm.

Toutefois, le contexte politico-juridique distingue les deux mouvements. Quatre points méritent d’être relevés.

1. Le discours transgressif de Donald Trump a pu être tenu en raison du 1er amendement à la constitution fédérale. En France, les conditions d’exercice de la liberté d’expression sont nettement plus restrictives, d’aucuns diraient liberticides.

2. Le nouveau président des États-Unis va pouvoir s’appuyer sur le réseau d’élus du parti républicain. Certes, il existe une tendance à l’indiscipline partisane, en particulier au Congrès, mais le régime dit de séparation stricte des pouvoirs (pas de responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement), minimise l’importance de la majorité parlementaire par rapport au régime français. Or, au-delà même de l’hypothétique (mais possible) victoire à la présidentielle, le FN est aussi et surtout confronté à la très grande difficulté d’obtenir une majorité aux législatives avec un mode de scrutin majoritaire à deux tours.

3. Le système essentiellement bipartisan des États-Unis a favorisé le rassemblement des différents courants du parti républicain en faveur de Donald Trump. Tous n’ont pas joué le jeu ; il y eut même un certain nombre de défections. Mais, l’éparpillement était limité tandis que le FN a révélé son incapacité (pas uniquement mais aussi en raison de son absence de volonté) de rassembler au-delà de ses propres rangs.

4. Donald Trump a obtenu l’investiture du parti républicain, mais il n’en est pas membre. Avec l’appui de la base, il a renversé une partie de l’ "establishment". Cela lui a permis de libérer sa stratégie électorale des contingences partisanes et de radicaliser son discours. Or, en France, la vie politique est encore sclérosée par les partis politiques qui défendent leurs intérêts particuliers au détriment de ceux de leurs électeurs. La recomposition du spectre politique est en marche mais elle est freinée par l’esprit sectaire et mortifère des partis. 

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