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La guerre des gauches : les dix dossiers qui creusent le fossé entre ceux qui veulent gouverner et ceux qui ne le veulent pas vraiment
©Reuters

L'Edito de Jean-Marc Sylvestre

La guerre entre les candidats de gauche n’a qu’un intérêt : distinguer ceux qui veulent gouverner et ceux qui ne le veulent pas.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pour tous les observateurs, le spectacle des candidats de gauche qui se déchirent à la fois sur le bilan de François Hollande et surtout sur les programmes qu’ils proposent permet de montrer le fossé qui sépare ceux qui veulent véritablement gouverner et ceux qui se drapent dans une posture tellement radicale qu’ils doivent quand même se rendre compte eux-mêmes que la plupart des réformes qu’ils proposent ne sont pas applicables. Donc ils sont dans la course pour y participer, mais ils sont disqualifiés pour la gagner. Ou alors s’ils veulent le pouvoir, ils n’ont pas réalisé qu’il fallait ensuite l’exercer.

La faute de François Hollande a été de faire croire à ses électeurs que le programme qu’il proposait en 2011 était applicable. Lui même devait quand même en douter.

Le grand changement par rapport à 2011, c’est qu‘il y a une majorité de Français qui n’acceptent plus ce double langage. Même ceux qui ont été attirés par les mouvements extrémistes acceptent mal des promesses dont ils savent qu’elles sont utopiques. A cet égard, la victoire de Trump et le désordre que le Brexit provoque en Grande-Bretagne quant à sa gestion sont très pédagogiques pour les autres peuples. La situation est telle qu’une majorité d'Anglais seraient aujourd’hui d’accord pour troquer cette utopie radicale avec des amendements au système d’intégration européenne. Aux Etats-Unis, on voit bien qu’une partie des électeurs de Trump a compris dès aujourd’hui que beaucoup de ses promesses ne seraient pas appliquées.

Le débat de la primaire de gauche permet de repérer des grandes lignes de fractures et de marquer d’un chiffon rouge les promesses qui paraissent irresponsables. Les dix dossiers qui creusent le fossé entre les deux gauches éclairent la vraie nature du débat politique.

1° Le projet d’annuler en partie les dettes publiques pour alléger le fardeau financier ne passe pas. C’était évidemment dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, on l'a retrouvé, un moment, chez Benoît Hamon et même chez Arnaud Montebourg. Ils ont mis tous les deux cette hypothèse en sourdine. Les Français ont compris que l’endettement public était financé en partie par l'épargne des Français (l’assurance vie) et par l'étranger. Menacer d’annuler cette dette, c’est "promettre" aux épargnants de les ruiner. C’est aussi se fermer la porte des financements étrangers. La France a besoin d‘emprunter 250 milliards d’euros par an. La semaine dernière, elle a levé 9,5 milliards d’euros à des conditions de taux très favorables. Annoncer qu’il faut annuler la dette reviendrait à être exclus de tous les marchés financiers. Inimaginable, inapplicable sauf à annoncer aux fonctionnaires et aux retraités qu’on ne versera plus leurs pensions ou leurs rémunérations à compter du 20 de chaque mois.

Il faut donc renoncer à cette promesse utopique et réfléchir à d’autres moyens de réduire la dette ou le poids de la dette. Il y en a bien sûr !!!

Il y a des candidats plus sérieux que d’autres sur la question de la gestion de la dette publique.

2° La banalisation du déficit budgétaire. Dire qu’on peut parfaitement supporter un déficit budgétaire supérieur à 3%, et monter au besoin à 6 ou 8% est un propos politique de plus en plus inaudible. C’est un peu le corolaire de l’annulation de la dette. L’inverse qui consiste a sanctuarisé l’objectif de déficit zéro (un peu comme l’imposent les Allemands) est tout aussi absurde. En revanche, la majorité des Français a parfaitement compris que la politique budgétaire(en gros la gestion du déficit) était un outil important de la régulation conjoncturelle, que cet outil était dans les mains du gouvernement qui devait l’utiliser, non pas pour faire des cadeaux à certaines catégories d’électeurs, mais pour accompagner, ou gérer des aléas de conjoncture.

3° Le protectionnisme n’a plus le caractère de remède miracle que certains hommes politiques veulent lui faire jouer. Se protéger de la concurrence étrangère, c’est évidemment dans beaucoup de secteurs prendre le risque de perdre du pouvoir d’achat et même de priver la consommation de beaucoup d’opportunités. Il y a aujourd hui beaucoup de produits de grande consommation et d’équipement que nous ne saurions plus fabriquer à un prix acceptable.

Ajoutons à cela que tout le monde a compris aussi, que d’élever des barrières douanières tarifaires ou pas, nous faisait prendre le risque de ne plus rien vendre à l’étranger.

Alors l’économie moderne est une économie d’échange, mais à condition de ne pas tomber dans l’angélisme. La France n'est pas obligée de tout accepter, elle pourrait se forcer à négocier des accords de coordination et d’harmonisation, de réciprocité, ce qu’elle ne fait pas assez.

4°La relance de la demande, en voie de désacralisation. Relancer la demande par injection de pouvoir d’achat est au cœur du programme de la gauche, de Mélenchon à Hamon en passant par Montebourg. On comprend pourquoi. Relancer la demande par une distribution de pouvoir d’achat, c’est répondre de façon immédiate et facilement à une demande de la majorité des électeurs qui ont du mal à boucler leur fin de mois, mais pas seulement eux. Personne ne refusera 200 ou 500 euros à dépenser de plus par mois. On est dans la pure tradition d’un keynésianisme qui n’aurait pas compris que les économies étaient ouvertes. En France et compte tenu de notre déficit du commerce extérieur, relancer massivement la demande de consommation, c’est relancer les cadences de production des usines de Shanghai là où sont fabriqués les produits que nous achetons dans les magasins français. Et à ceux qui nous expliquent que cette demande incitera des productions françaises à se développer, ils se trompent. Une fois de plus, l’appareil industriel français pourrait éventuellement présenter une offre de qualité mais jamais au même prix. Trêve d’hypocrisie, le pouvoir d’achat des Français est aussi fabriqué grâce aux bas salaires pratiqués dans les pays émergents. Les Français de plus en plus nombreux le savent de plus en plus  

5° Une réforme fiscale qui reviendrait à fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG pour en faire un impôt non plus proportionnel mais progressif va à l’encontre des analyses de cohérence les plus élémentaires, parce qu‘à terme cette fusion dénature et vide l’impôt direct de son contenu et de son rendement. Mieux vaut évidemment un impôt modéré avec une assiette très large, plutôt qu’un impôt lourd concentré sur les plus riches qui n’auront qu’une obsession : y échapper par tous les moyens; et ils ont du talent pour cela.

6° La sortie de l’euro. Hormis le Front national et quelques groupes écologistes partisans de la croissance zéro et encore, très peu d’hommes politiques aujourd’hui n’inscrivent à leur menu la sortie de l’euro. La grande majorité des Français ont compris que l’opération était impossible à gérer avec plus d’inconvénients que d’avantages. Plus important, la majorité des Français reconnaissent que l'adossement à l‘Allemagne était un avantage. Peu le diront, peu en parleront. Mais tous ont conscience que l’euro tenait par le mariage entre l’économie allemande et l’économie française.

Alors dans ce débat, les hommes politiques proposent des aménagements à la marge, ils se replient sur des discours convenus où l’Europe est surtout utilisée comme bouc émissaire. La Banque centrale elle même n’est plus critiquée sérieusement dans son fonctionnement que par quelques souverainistes nostalgiques.

En revanche, ce qui est très grave, c’est que peu d’hommes politiques en tirent les leçons pour proposer une réforme de la gouvernance de l’union. Pourquoi cette timidité ? Parce que toute réforme responsable passe par plus de fédéralisme et la majorité des hommes politiques n ‘osent pas proposer à leurs électeurs des abandons de souveraineté. Ils pensent (sans doute à tort) que ces abandons de souveraineté ne seraient pas compris et acceptés.

7° L’organisation du travail offre un clivage à gauche très net entre ceux qui veulent abroger la loi El Khomri et ceux qui l’acceptent, y compris pour aller plus loin. C’est très important: la loi El Khomri, voulue par Manuel Valls et François Hollande a été sans doute mal écrite, mal présentée, mais elle imprimait une réforme profonde de l’organisation du travail. Elle entamait le principe d’une organisation du travail centralisée et décidée au sommet de l’Etat par la loi, pour transférer cette organisation au niveau de l’entreprise. C’était une loi qui introduisait donc plus de souplesse et de flexibilité, et redonnait du pouvoir aux salariés à la base de l’entreprise. Cette loi El Khomri a été massacrée par le débat parlementaire et l’opposition frontale de la CGT. Elle a été massacrée parce qu’elle allait à l’encontre des promesses démagogiques du candidat Hollande en 2011 et surtout parce qu’elle changeait la hiérarchie des pouvoirs dans l’entreprise. Moins de pouvoir pour l’Etat et pour les centrales syndicales, plus de pouvoirs aux délégués et aux personnels de terrain. Cette logique, plus  libérale, était un début d’adaptation à la modernité et cette loi a cassé véritablement la gauche en deux. Cette cassure, on la retrouve, dans le débat des primaires.

8° Le rôle de l’entreprise, de l’Etat, du marché autant de questions sur lesquelles la gauche est très désunie: là encore, nous avons deux gauches. Une gauche ouverte, libérale, qui assume les mutations de la modernité et une gauche plus repliée sur sa tradition et sa culture historique. Une gauche qui prône la relance par la demande. Une gauche qui a compris que le problème français était un problème de compétitivité et d’offre de produits à haute valeur ajoutée.  L’urgence n’est pas de gonfler la dépense de consommation, l'urgence, c’est de gonfler l’investissement industriel et l'innovation.

9° La position des 5 millions de fonctionnaires va être déterminante. Traditionnellement, les fonctionnaires, et notamment les enseignants, ont été au cœur de l'électorat socialiste. Et faut dire que les partis de gauche ne se sont pas privés de caresser la fonction publique dans le sens du poil, les effectifs, l’investissement, les protections, les statuts, les retraites. etc.

En dépit de cette politique très pro-fonctionnaires, les sondages viennent de montrer que dans cette population acquise à la gauche, Marine Le Pen arrivait en tête des personnalités politiques avec ou pas la candidature de François Bayrou, et que ce soit face à Manuel Valls ou à Arnaud Montebourg. Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote devant même François Fillon, dans l’électorat des fonctionnaires.

Elément encore plus surprenant, le projet de François Fillon de supprimer 500 000 emplois publics au cours de son quinquennat, un projet qui avait suscité des flots de critiques parmi les cadres de gauche et aussi à droite où on avait taxé le programme Fillon de trop violent, trop brutal ... ce projet là ne semble pas avoir effarouché les fonctionnaires. Ils comprennent, ils admettent et ils assument.

En fait -et les candidats de gauche n’ont semble-t il pas compris une évolution importante dans la fonction publique - ils ont cru que la demande était de créer des emplois publics supplémentaires, d’accroitre les effectifs, de multiplier les postes de fonctionnaires alors qu’en réalité, la demande véritable de l’administration n’est pas dans un accroissement des effectifs.

La demande des fonctionnaires se situe au niveau de l’organisation de la fonction publique, de l’autorité exercée, de la légitimité de cette autorité, de l’expertise, de l’efficacité et de la compétitivité du service public.

C’est net dans l’enseignement où trop d’enseignants n’exercent pas leur métier et sont en fait détachés; c’est clair dans l’hôpital où les personnels auraient besoin d’organisation plus efficace et d’heures supplémentaires (défiscalisées); C’est clair dans les organismes sociaux; c’est clair dans toutes les administrations qui participent à la vie économique, Pôle emploi par exemple où les fonctionnaires reconnaissent qu'on leur demande plus d’accompagner les ayants droits sans travail, plutôt que de tout faire pour fluidifier le marché et trouver des emplois.

Les candidats de la gauche sont partis dans une logique historique de protection des populations déshéritées, dans une course à l‘assistance avec promesses de distribuer des revenus, de redistribution RSA, revenu universel ... alors que la demande qui commence à s’exprimer chez les électeurs de gauche est plutôt une demande d’efficacité et de responsabilisation.

Les candidats de la primaire de gauche se partagent donc en deux groupes. D’un côté le groupe de ceux qui se retrouvent dans la défense des valeurs traditionnelles de la gauche, (l’Etat, la fonction publique, la population ouvrière) même si les ouvriers sont en voie de disparition sur la carte sociale, la défense des militants les plus en difficulté, les retraites, les chômeurs, etc. il paraît évident que parmi les candidats à la primaire, Benoît Hamon est celui qui semble le plus représentatif. C’est aussi celui dont les propositions sont le moins applicables dans une action gouvernementale. Arnaud Montebourg est aussi sur ce marché au niveau du diagnostic, mais comme il a l’ambition de gouverner, il est plus prudent (ou moins radical) dans ses promesses. Il a aussi moins de succès que ce que beaucoup pouvait penser.

D’un autre côté, Vincent Peillon et Manuel Valls s’inscrivent délibérément dans une gauche plus réaliste et plus opérationnelle avec des propositions applicables et sans doute compatibles avec les mutations modernes. Restent que Manuel Valls comme Vincent Peillon doivent rendre compte du passé. Ils sont comptables du bilan désastreux du quinquennat dont ils ont été acteurs l’un et l’autre. Par ailleurs, ils doivent aussi ménager la gauche de la gauche parce que dans la perspective d’un deuxième tour, il leur faudra rassembler les électeurs de Benoît Hamon et d’Arnaud Montebourg.

10° Ce qui rend leur tâche compliquée, voire impossible, c’est qu’une fois la primaire passée, le vainqueur va se retrouver devant deux autres candidats au premier tour, deux candidats qui reflètent exactement la bipolarisation du Parti socialiste avec, là encore, deux candidats qui ont fait leur chemin en dehors du système.

Le premier est Jean-Luc Mélenchon, qui espère bien retrouver tous ceux qui sont militants d’une gauche pure et dure, radicale et par conséquent qui sera d’autant plus radical qu’il n’aspire pas au pouvoir. L’ambition de Jean-Luc Mélenchon est d’être un champion du contrepouvoir.

L’autre candidat c’est évidemment Emmanuel MacronC’est pour tout le monde politique,  le plus dangereux, le plus sérieux. Il peut se dire d’origine de gauche. Les cadres de la gauche, et non des moindres, l’ont parrainé. Mais il a délibérément choisi une ligne politique qui tient compte de la réalité. La mondialisation, l’Europe, l’Euro, la révolution digitale, l’entreprise, la concurrence etc. Tous ces facteurs qui sont pour beaucoup des facteurs anxiogènes sont considères par Macron comme des opportunités de progrès.

Emmanuel Macron ne répond ni aux chapelles du Parti socialiste, ni au bilan de François Hollande; il se veut efficace avec une conscience de gauche. De ce côté, il réinvente un courant de pensée qui tient compte de la modernité.

Curieusement, François Fillon fait la même démarche, mais partant de la droite, il a réinventé un courant de pensée de droite qui tient compte de la modernité. Il assume ses positions et du même coup récupère une partie des électeurs qui étaient partis au Front national.

La caractéristique la plus forte de cette élection présidentielle est que pour la première fois deux candidats auront mis au cœur de leur programme, l'entreprise, l’industrialisation et la place de la France dans la concurrence mondiale. L’un est de droite, l’autre est de gauche. Et chacun des deux a un parcours gentiment transgressif par rapport aux partis traditionnels. Chacun de leur côté, ils ont fait reculer les tentations extrémistes et populistes. 

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