Guerre du Kippour en 1973, 1er choc pétrolier. Quid d’octobre 2023 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une usine pétrolière -- Photo d'illustration AFP
Une usine pétrolière -- Photo d'illustration AFP
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

L'histoire se répète-t-elle ?

En 1973, la Guerre du Kippour résultait sur une crise pétrolière sans précédent. On parle, en effet, du premier choc pétrolier. Faut-il craindre une redite après les attentats terroristes du 7 octobre 2023 ?

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Jean-Louis Schilansky

Jean-Louis Schilansky

Jean-Louis Schilansky est Président de l’Union française des industries pétrolières

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Atlantico : Le premier choc pétrolier remonte à 1973. Il résulte d’une diminution nette de la production de pétrole par les pays exportateurs, survenue dans un contexte de guerre au Kippour. Compte tenu de ce que l’on sait de ce précédent épisode de notre histoire, faut-il craindre un nouveau choc pétrolier en octobre 2023, selon vous ?

Loïk Le Floch-Prigent : Le contexte est, bien entendu, très différent ! Il s’agissait, en 1973, d’assécher les pays consommateurs de pétrole avec la volonté d’augmenter les prix et de montrer ainsi la puissance des pays producteurs . Aujourd’hui l’amicale des pays producteurs veut maintenir des prix élevés pour garder un rendement suffisant de leurs richesses pétrolières et gazières , mais il n’y a pas le souhait exprimé de préparer les pays consommateurs à une pénurie .

Toutefois à chaque fois qu’il y a une agitation forte au Moyen-Orient , il y a toujours une crainte de connaître des restrictions et donc une anticipation à la hausse du prix du baril qui conduit effectivement invariablement à une hausse ! Il faut donc s’attendre, après une baisse de la production orchestrée par la Russie et l’Arabie Saoudite, à un prix élevé du baril dans les prochaines semaines tant que la situation au Moyen-Orient sera incertaine .

Jean-Louis Schilansky : Il y a effectivement un risque de choc pétrolier. Plus précisément, il y a même trois niveaux de risque.

Le premier niveau de risque, qui constitue aussi le plus important, se caractérise par une extension du conflit entre Israël et les autres pays arabes. En cas d’embrasement, la perception géopolitique sera telle que le prix du baril de pétrole montera de façon considérable… entre 10 ou 20 dollars de plus par baril, par exemple. Pour l’instant ce n’est pas le cas et heureusement, car c’est un danger qui ne se limite évidemment pas au seul prix du pétrole. On parle ici d’un risque géopolitique majeur avec des ramifications complexes.

Par ordre décroissant, le deuxième risque à prendre compte est politique. On peut tout à fait imaginer que les pays arabes producteurs de pétrole décident, en soutien à la cause palestinienne, de réduire leur offre. Ce serait alors une tentative avérée de punir les économies occidentales, en particulier les Etats-Unis et les nations d’Europe. Il ne faut pas écarter cette possibilité, notamment de la part de l’Arabie Saoudite, du Koweït ou du Qatar. Si cela devait effectivement arriver, l’impact se limiterait essentiellement à la hausse des prix du baril.

Enfin, le troisième risque est, me semble-t-il, physique. On parle, dans ce cas de figure, d’actions terroristes orchestrées contre les puits de productions de pétrole, les transports par mer. C’est déjà arrivé, notamment en Arabie Saoudite, c’est pourquoi nous ne pouvons pas l’écarter. Bien sûr, du fait des lourds dispositifs de sécurité qui viennent verrouiller les puits de production et les transports, le risque est limité. Il n’est pas inexistant pour autant.

Ce qu’il est intéressant de remarquer, en conclusion, c’est que les marchés ne semblent pourtant pas s’affoler de ces risques là pour le moment. Le prix du pétrole est actuellement à 88 dollars, ce qui constitue une hausse de 3 à 4 dollars en quelques jours… soit une progression conséquente, certes, mais pas exorbitante. Il n’y a pour l’instant pas d'affolement des marchés.

Les contextes, entre 1973 et 2023, ne sont pas exactement les mêmes. Dans quelle mesure ces différences pourraient-elles se ressentir ? Peut-on prévoir, par exemple, la différence d’ampleur qui pourrait exister entre ces deux chocs ?

Loïk Le Floch-Prigent : Pour l’instant il n’y a pas volonté de « choc » de la part des producteurs , il n’y a que la volonté de garantir leurs intérêts dans une période d’incertitude , mais leur perméabilité à satisfaire leurs opinions publiques peut changer la donne, tout dépend de ce qui va se passer maintenant !

L’horreur des attaques du Hamas peut déclencher des réactions de la part d’Israël qui peuvent conduire à un embrasement de la rue dans les pays arabes , et on changerait alors de contexte .

Nous sommes aujourd’hui dans un contexte essentiellement économique , il peut en être autrement demain , et le monde pétrolier retient son souffle . Nous devons retenir que l’énergie consommée dans le monde est à 85% du charbon, du gaz et du pétrole et que très peu de pays peuvent imaginer dans un délai court de se passer des énergies fossiles comme on a pu l’observer ces deux dernières années avec la dépendance considérable de l’Allemagne au gaz russe …et à son pétrole .

Les pays qui ont retardé ou annulé leurs investissements dans l’énergie nucléaire risquent de le regretter !

Jean-Louis Schilansky : Je ne pense pas que le choc qui nous attend puisse être d’ampleur comparable à celui de 1973. Le choc de 1973 a eu un impact énorme sur le prix du pétrole, a engendré d’importants embargos… C’est, à bien des égards, le cas numéro 1. Il a fallu faire face à un embrasement généralisé, aux réactions très fortes des pays producteurs… Je ne pense pas que cela soit au programme cette fois-ci.

A certains égards, le choc attendu en 2023 apparaît être un choc d’anticipation, en réponse à l’incertitude. Cependant, il faut aussi rappeler que le contexte est particulier : des tensions sur la production de pétrole prédataient clairement les premiers assauts du Hamas, lancés le 7 octobre sur Israël. Dès septembre, l’Arabie Saoudite réduisait sa production. Comment faut-il l'interpréter ? 

Loïk Le Floch-Prigent : Il est difficile de rapprocher les deux évènements, Israël se rapprochait de l’Arabie Saoudite , tandis que pour des raisons financières la Russie et l’Arabie Saoudite s’alliaient pour garder une certaine hauteur au prix du baril . Ce sont les « accords d’Abraham » qui ont peut-être déclenché cette réaction du Hamas pour susciter une prise de conscience des pays arabes, mais il n’y avait pas de volonté des pays arabes pétroliers de préparer cette action. Il s’agissait simplement de prévenir les pays consommateurs que malgré leurs rodomontades anti-fossiles ils étaient toujours très dépendants et pour bien des années encore des énergies fossiles ! Entre la volonté affichée d’en sortir et la réalité , il y a un fossé , et les pays producteurs l’ont fait remarquer et ce n’est pas fini ! Nous sommes les seuls à nous bercer d’illusions sur l’efficacité des énergies intermittentes pour nous assurer une prospérité .  

Jean-Louis Schilansky : Il faut faire attention à ne pas confondre ces deux situations : la baisse de la production initiée par l’Arabie Saoudite, en septembre dernier, ne résulte pas du tout de la même logique que celle dont nous avons parlé jusqu’à présent. Cela fait près d’un an, maintenant, que le pays a réduit sa production de pétrole de façon continue. En tout et pour tout, c’est près de 2 millions de barils qui n’ont finalement pas été produits, sans compter ceux de la Russie qui a décidé de suivre le mouvement.

Le raisonnement de l’Arabie Saoudite, jusqu’à présent, était purement économique. Il ne faisait pas l’objet de considérations politiques. Les Saoudiens surveillent l’économie mondiale et prévoyaient, du fait de la hausse des taux d’intérêts, un ralentissement généralisé de cette dernière. Pour maintenir les cours, ils ont décidé de réduire leur offre, ce qui a plutôt bien marché, compte tenu des prix observés. 

De telles tensions préexistantes peuvent-elles aggraver le choc ?

Loïk Le Floch-Prigent : Ce sont les actions à venir qui peuvent aggraver le choc et personne ne les connaît . Nous savons simplement que les opinions publiques occidentales sont perméables à l’horreur de l’action du Hamas , et que ce n’est pas le cas dans un grand nombre de pays producteurs de pétrole !

Jean-Louis Schilansky : Evidemment. Nous faisons face à une situation déjà relativement tendue, du fait des réductions de l’offre précédemment évoquées. Toute complication de nature politique aurait des répercussions sur le prix du pétrole. Celles-ci seraient cependant différentes en fonction du degré de la réponse, ainsi que nous les avons discutées en première question.

Quelle attitude avoir, en tant qu’Etat par exemple, pour se préserver autant que faire se peut des effets du choc pétrolier ?

Loïk Le Floch-Prigent : Nous revenons à notre action en 1973 , une accélération des programmes nucléaires, un renforcement des programmes hydroélectriques, le recours aux fossiles de proximité. En 1973 nous avions investi lourdement en Mer du nord dans le gaz, dans le pétrole et avons eu des performances remarquables dans tous les pays en dehors du Moyen-Orient . Il suffit de reprendre les données de base de la souveraineté et de l'indépendance . La France dispose de « gaz de schiste » , nous ne voulons pas l’exploiter, mais nous allons avoir besoin de gaz pour passer les pics de consommation électrique. A nous de savoir si nous voulons rester dans l’idéologie ou si nous redevenons pragmatiques pour préserver la prospérité de nos populations . Nous avons besoin de l’abondance énergétique et nous pouvons rapidement la rebâtir. Retrouvons une volonté politique de ne pas céder aux apôtres de la décroissance .

Nous devons être solidaires des peuples qui n’acceptent pas les horreurs du Hamas, cela aura un coût, et nous avons les moyens d’atténuer ce cout pour notre population.

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