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Grève sans fin : si les Gilets jaunes ont ébranlé la République, le conflit autour des retraites ébranle la majorité
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Nouvelle page du quinquennat

Après la crise des Gilets jaunes et après le bras de fer avec les syndicats sur la réforme des retraites, la loyauté de la majorité LREM est-elle en train de fissurer ?

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico.fr : L'année dernière, les Gilets jaunes ont ébranlé la République, cette année le conflit autour des retraites ébranle la majorité. Même en au sein de LaREM  des désaccords se font sentir autour de l'épineuse réforme. Jusqu'alors La République en Marche était extrêmement loyale au Président, cette loyauté est-elle en train de se fissurer ?

Maxime Tandonnet : On n’est pas dans la même configuration idéologique que la crise des Gilets Jaunes. La révolte des ronds-points et les violences sur les Champs Elysées ont été interprétés par la sphère politico-médiatique comme une forme de populisme. Aujourd’hui c’est très différent, la révolte sociale touche tout autant le cœur de l’idéologique progressiste et de l’électorat de gauche, à l’image du personnel de France Inter. Il est impossible de la réduire à une réaction populiste, même au prix des pires manipulations et de la pire mauvaise foi.

Dès lors, les troupes de LREM qui viennent largement de la gauche socialiste – on l’oublie trop souvent – sont beaucoup plus troublées. Elles sont désemparées en ce moment, déchirées entre la fidélité au président Macron, auquel elles doivent tout, et de profonds états d’âme face à la crise sociale. Les signes encore discrets du désarroi se multiplient notamment de la part d’élus qui ne savent plus où ils en sont et se sentent emportés vers l’abîme. Au fur et à mesure de la perte d’autorité et de prestige de l’occupant de l’Elysée, cette fissure risque de se transformer en faille béante. 

Edouard Husson : La crise des Gilets Jaunes a surpris par son ampleur; et elle sortait des cadres classiques d’analyse. Elle aurait pu se produire de la même manière avec un François Fillon président de la République. Les Gilets Jaunes, c’était un mouvement en partie insaisissable. Et les classes moyennes supérieures ont finalement toléré ou même adhéré à la manipulation du pouvoir consistant à jeter de l’huile sur le feu, provoquer les manifestants au point d’en faire entrer un certain nombre dans une logique de violence sur laquelle les caméras de télévision ont été opportunément braquées. Avec la réforme des retraites, on est dans un cas différent: il s’agit d’un conflit social classique. Les syndicats sont au coeur du dialogue - ou plutôt de l’absence de dialogue -  avec le gouvernement. 

Le scénario aurait dû ressembler à ce qu’ont connu les trois présidents précédents lorsqu’ils ont commencé à réformer le système: annonce d’un projet, refus partiel des syndicats, manifestations, négociations, scissions entre syndicats réformistes et plus radicaux. En l’occurrence, le gouvernement n’a respecté aucune des étapes du scénario: il a organisé une concertation en trompe-l’-oeil depuis deux ans; le projet n’a pas été présenté dans son intégralité aux partenaires sociaux ni à l’opinion; on mélange réforme structurelle et aménagements financiers. Petit à petit s’installe une impression d’incompétence poussée. Et, loin de resserrer les boulons en interne, le Président prend des aires détachés; il dit, lui qui aime tout contrôler, qu’il attend de son Premier ministre qu’il fasse le job; et, pour finir, on laisse la police taper comme une sourde sur des manifestants parfaitement encadrés par des syndicats qui ont empêché la contamination des cortèges par une extrême gauche provocatrice. On comprend donc que des doutes soient ouvertement formulés, par exemple dans les conversations de couloir à l’Assemblée, par des membres de la majorité.

La grogne sociale ne désemplie pas, la déception de l'électorat de Macron face à son bilan actuel s'accentue et à droite le désaveu est de plus en plus important. Si Edouard Philippe semblait être jusqu'alors le fusible désigné, sans remplacer et donc sans fusible comment stopper l'hémorragie ? 

Maxime Tandonnet : Ce qui est très compliqué c’est que le pouvoir politique, l’Elysée, Matignon, comme les ministres, ne semble pas avoir pris la mesure de la gravité de la crise politique et sociale. Il donne le sentiment d’atteindre le paroxysme dans la déconnexion. Il paraît comme aveuglé par la vanité, l’autosatisfaction et dans l’incapacité radicale de percevoir ce qui est en train de se passer en ce moment dans les profondeurs de la société. Il s’en tient au dogme du nouveau monde et de la supposée transformation de la France sans réaliser à quel point le pays est en train de sombrer dans le chaos. Rien n’est possible sans cette prise de conscience.

Nous subissons le syndrome du bunker quand les dirigeants, à l’abri de leurs protections institutionnelles, donnent le sentiment de regarder le monde s’effondrer autour d’eux dans l’aveuglement. Pour sortir de cette crise, sans doute le Premier ministre servira-t-il tôt ou tard de fusible. Mais surtout, face à un pays entré en révolte depuis plus d’un an – avec la crise des Gilets jaunes, suivie de la crise sociale – l’unique solution raisonnable et démocratique pour en sortir devrait être un retour devant les urnes, par des législatives anticipées ou un référendum. Mais là aussi, la déconnexion, la peur du peuple, rend cette issue peu probable. 

Edouard Husson : Jusqu’à récemment, Emmanuel Macron avait perdu de l’électorat sur sa gauche mais il avait consolidé un électorat de centre-droit, sensible par exemple, lors de la crise des Gilets Jaunes, au rétablissement de l’ordre. Cet électorat, qui a voté LREM récemment, vient en fait plutôt de LR. Ce sont des orphelins de François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Et vous remarquerez que les ministres qui sont montés au créneau pour défendre la réforme, sont les transfuges de LR: Jean-Michel Blanquer, Gérard Darmanin, Bruno Le Maire. Celui qui est le plus exposé, c’est le Premier ministre, lui aussi un transfuge de la droite. 

Or le Président, lors de son allocution des voeux 2020, a placé son Premier ministre en position de « fusible ». Mais imaginons qu’il aille jusqu’au bout: je veux dire que, devant la grogne sociale ne baissant pas, il remplace Edouard Philippe. Qui voudra aller prendre la place? Cela fait plus d’un an que des figures majeures du PS rallié comme Gérard Collomb sont parties. Et il est peu probable que Macron réussisse à débaucher Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse à ce moment critique du quinquennat. Le Président risque de voir fondre son soutien au centre-droit comme il a perdu du soutien au centre-gauche et à gauche. Il sera donc enclin à garder Edouard Philippe malgré tout. Mais ce sera un Premier ministre affaibli par l’incompétence qu’il aura lui-même révélée durant le conflit social. Ça sent la fin de ,règne prématurée. Vous remarquerez d’ailleurs comment Gérard Larcher ou Christian Jacob se laissent aller à critiquer un Président qu’ils ménageaient jusque-là: non pas qu’ils soient devenus de vrais opposants. Mais ils se disent qu’il devient possible d’être Macron à la place du Macron. 

Le Président de la République s'exprime relativement peu au sujet de la réforme des retraites, il semble même vouloir détourner l'attention en ne changeant pas la date de la Convention citoyenne sur le climat par exemple. Peut-il vraiment parvenir à détourner l'attention des Français ? Le désaveu n'est-il pas trop profond ?  

Maxime Tandonnet : « Je ne suis que l’émanation du goût des Français pour le romanesque » a déclaré un jour le président Macron. Cette phrase clé explique beaucoup de la situation présente. La vie politique nationale, médiatisée, est largement vécue comme un spectacle légendaire composé d’un héros de ses fidèles et d’ennemis. Elle n’est plus ressentie par les dirigeants, à titre essentiel, comme un mode d’action concret en faveur du bien commun.

Dès lors, le but essentiel est de sauver, aux yeux des spectateurs, l’image du héros providentiel. La tenue des la convention citoyenne est une manière de se situer au-dessus des troubles actuels. Le chaos, dans cette optique, doit être relativisé. D’ailleurs, à l’image de la crise des Gilets Jaunes, suivie, du « Grand Débat », ce chaos peut fournir l’occasion de briller en sauveur providentiel et de s’attirer ainsi les faveurs de l’électorat bourgeois. Toute cette stratégie repose sur le principe, largement admis dans les milieux dirigeants, de la naïveté et de la stupidité d’un peuple indéfiniment manipulable par la communication.

Le mépris est au cœur de leur idéologie. Et c’est là que se situe l’erreur fondamentale. Le peuple sans être infaillible, est beaucoup plus lucide qu’ils ne le pensent. Il l’est sans doute bien plus qu’eux-mêmes ne le sont. Il a parfois une mémoire d’éléphant et peut se révéler rancunier. Aujourd’hui, les Français sont dans la souffrance et dans l’humiliation. Ils n’oublieront pas de sitôt une épreuve dont ils tiendront leurs dirigeants politiques actuels pour uniques responsables.  

Edouard Husson : La crise des Gilets Jaunes avait impliqué une mise en cause directe du Président. Le conflit des retraites a eu l’air de mettre en cause le gouvernement plutôt que le Président. Et ce dernier essaie d’en profiter; il use même de la ficelle au point d’en devenir encore moins crédible. Alors qu’Emmanuel Macron avait réussi à stabiliser sa cote de popularité à un tiers d’opinion favorable, il recommence à décrocher, à descendre vers un quart de l’opinion continuant à le soutenir. Le discours des voeux était destiné à rassurer l’électorat de centre-droit. Une crise des retraites qui dure met à mal sa stratégie. Et ceci d’autant plus que le compromis mal taillé qui sortirait des négociations éventuelles coûterait finalement beaucoup plus cher que le système actuel. 

Lorsque la France connaît le plus fort nombre de voitures brûlées lors d’un réveillon de la Saint-Sylvestre, cela renforce Marine Le Pen. Mais lorsque le président apparaît comme un Gribouille, qui prétend faire faire des économies au pays et met en place un système qui va coûter beaucoup plus cher tout en vidant les poches des futurs retraités, c’est un électorat beaucoup plus large qui est touché. Beaucoup de militants du syndicalisme classique avaient pu se dire, l’année dernière, que les Gilets Jaunes ce n’était pas eux; or ils se font matraquer et sont des cibles de LBD à bout portant exactement comme les Gilets Jaunes. Le Président ne pourra pas continuer longtemps à faire comme s’il n’était pas concerné par le fond de la crise politique actuelle.

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