Gratuité des transports : voilà pourquoi il s’agit d’une fausse bonne idée pour les usagers <!-- --> | Atlantico.fr
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gratuité des transports en commun RATP métro bus
gratuité des transports en commun RATP métro bus
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Solution idéale ?

Audrey Pulvar, adjointe de la maire PS de Paris Anne Hidalgo, préconise dans les colonnes du JDD la gratuité des transports collectifs en Ile-de-France. Dunkerque, Gap et Châteauroux ont déjà franchi le cap de la gratuité totale. Les usagers sont-ils gagnants ?

Jean  Sivardière

Jean Sivardière

Jean Sivardière est le président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports

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Atlantico.fr : La gratuité des transports gagne du terrain. Dunkerque, Gap et Châteauroux ont déjà franchi le cap de la gratuité totale, quand Montpellier, Nancy et Rouen l'instaurent le week-end. Les usagers sont-ils gagnants ?

Jean Sivardière : A court terme, l’usager est gagnant. L’usage des transports publics est simplifié, les montées/descentes dans les véhicules sont plus rapides, les conflits avec les contrôleurs et les litiges avec l’exploitant disparaissent. 

Cependant il arrive que les véhicules soient saturés en raison de la hausse de la fréquentation : l’exploitant ou la collectivité doit alors renforcer leur capacité, ce qui a un coût important. Cette hausse ne doit d’ailleurs pas faire illusion car la fréquentation n’est plus mesurée mais « estimée » (donc souvent sur-estimée, on l’a vu à Tallinn) ; et la fréquentation initiale est en général très faible en raison de la médiocrité de l’offre.

La gratuité est séduisante, elle garantit le droit au transport des usagers captifs et accroît leur pouvoir d’achat. C’est à plus long terme que ses effets pervers apparaissent.

Les tenants de la gratuité parient sur un centre-ville apaisé, moins congestionné par la circulation. Est-ce la solution pour réduire la place de la voiture dans nos villes ?

L’expérience montre que l’automobiliste est très peu sensible à la tarification du transport public. Il dépense en effet bien davantage lorsqu’il se déplace en voiture (environ 35 centimes/km). La gratuité n’est donc pas suffisante pour convaincre massivement les automobilistes, elle attire surtout les piétons et les cyclistes : le choc psychologique espéré ne fonctionne pas, 1 % des automobilistes sont attirés. Seule l’amélioration de l’offre de transport public et les mesures de restriction du trafic individuel peuvent les inciter à laisser leur voiture au garage.

Lyon détient un double record : les tarifs les plus élevés et la fréquentation la plus élevée de France (hors Ile-de-France) : 320 voyages par an et par habitant. Inversement, à Aubagne et à Niort, des villes « gratuites », la fréquentation (environ 55 voyages) reste inférieure à la moyenne (environ 70 voyages) observée dans les agglomérations de populations comparables (à Angoulême, Arras, Bourges, villes « payantes », ce nombre est même d’environ 90 voyages).

A Lyon, Strasbourg et Grenoble, on a investi massivement pour le métro et/ou le tramway, et moins de la moitié des déplacements s’effectuent dorénavant en voiture.

Certaines villes, comme Bologne ou Seattle, ont essayé la gratuité des transports avant de l'abandonner. Pourquoi ?

Les partisans de la gratuité ne citent jamais les villes où la gratuité a été abandonnée. C’est en raison de son coût excessif que des grandes villes (Bologne en Italie, Castellon de la Plana en Espagne, Hasselt en Belgique, Sheffield et Rotherham en Angleterre, Seattle aux USA) et des villes plus petites (de 10 000 à 25 000 habitants, en Allemagne, en République tchèque, en Suède) ont fini par abandonner la gratuité, après avoir dû limiter l’amélioration de l’offre et les investissements, et constaté une stagnation de la fréquentation. 

A Dunkerque, le tramway a été envisagé mais finalement jugé trop coûteux ; à Niort, un projet de bus en site propre a été abandonné. Bologne au contraire dispose aujourd’hui (mais aujourd’hui seulement) d’un remarquable réseau de transport public, après avoir reconstitué sa capacité d’investissement.

Quelle politique tarifaire est-elle souhaitable ?

Une tarification solidaire bien conçue suffit à garantir la justice sociale. Chacun paie alors en fonction de ses revenus, au quotient familial : le transport peut même être gratuit pour ceux qui n’ont aucune ressource. Mais pourquoi priver le transport public de la contribution de ceux qui peuvent payer ? La gratuité entraîne inévitablement sa paupérisation (selon les élus, elle coûterait plus de 60 millions d’euros par an à Grenoble et 130 millions à Lille), c’est une fausse bonne idée.

La gratuité est surtout une proposition idéologique qui ne correspond pas à la demande sociale. Le slogan des élus d’Aubagne était : «  liberté, égalité, gratuité ». La gratuité peut d’ailleurs provoquer une double fracture. 

D’une part, en introduisant la gratuité sur les petits réseaux urbains et en n’assurant qu’un service médiocre, on renforce la fracture territoriale entre les petites agglomérations où le rôle de la voiture reste prédominant, et les métropoles où les habitants peuvent disposer d’un niveau élevé de service et où le transport public arrive à grignoter peu à peu la part de marché de la voiture. D’autre part, une autre fracture peut apparaître entre les zones périurbaines où le transport reste payant et les zones urbaines où il devient gratuit.

En définitive, la gratuité est une démarche injuste : elle exonère de toute contribution financière les usagers solvables, en particulier les plus riches d’entre eux, pour lesquels la dépense de transport est une part faible, voire marginale, de leur budget. Quand le transport est payant, les riches paient pour les pauvres : quand il est gratuit, le système de transport se paupérise, et les habitants pauvres ne peuvent plus bénéficier des avantages collectifs d’un usage accru du transport public.

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