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Les grands patrons français effarés par la politique américaine de sanctions mais indifférents (ou presque) aux menaces de protectionnisme
©BERTRAND GUAY / AFP

Atlantico Business

Alors que l‘Europe peine à réagir aux menaces que Donald Trump fait peser sur le commerce mondial, les chefs d’entreprise assument.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les chefs d’entreprise sont beaucoup plus inquiets de la politique américaine de l’extraterritorialité que des menaces de protectionnisme. 

L’extraterritorialité permet à la Maison Blanche d’interdire à n’importe qui de faire du commerce n’importe où et notamment en Iran aujourd’hui. Pour tous les européens notamment, c’est gravissime. Alors, ça n’est pas Trump qui a inventé cette procédure unilatérale, Bush et Obama en ont usé avant lui, mais ça ne change rien à son impact ravageur. 

Paradoxalement, les chefs d’entreprise observent les menaces de protectionnisme avec beaucoup plus de pragmatisme. 

En gros, ils n’y croient pas. D’ailleurs, Bruxelles n’y croit pas davantage. 

L ‘Union européenne a établi hier la liste des produits d’origine américaine qui seront taxés à l’entrée de l’Union en réaction aux décisions de Donald Trump. Cette liste est longue, détaillée, mais elle porte sur des produits plus symboliques que réellement impactant pour l’économie US. 

Seraient surtaxés à l’entrée de l’Union certains aciers laminés, les barres en acier inoxydable, les tubes sans soudure, les fils en acier, des portes, des fenêtres, etc.

En agriculture et alimentation, on touchera aux haricots, aux maïs et le riz (transformés ou non), aux airelles, au jus d'orange de Floride, au beurre de cacahuètes, le Bourbon donc, les cigares, les cigarettes, le tabac pour pipes, à rouler, à chiquer ou à priser… Très important, bien sur !

Au rayon habillement, des tee-shirts et maillots de corps en coton, laine ou matière synthétique, des pantalons en jean ou en coton, des shorts, le linge de lit en coton et certaines chaussures en cuir. 

Dans l’automobile, on sanctionnera les motos d'une cylindrée supérieure à 500 cm3 dont des Harley, les bateaux à voile, de plaisance ou de sport, avec ou sans moteur, les bateaux à rames et les canoës. 

Ajoutons le maquillage pour les yeux, le vernis à ongles, le fond de teint et les cartes à jouer.

Cette liste doit encore repasser par la Commission européenne, mais les mesures de rétorsion devraient être appliquées en juillet. Les autorités américaines en ont eu connaissance dès le mois de mai.

Ce qui est intéressant, c’est que les produits visés sont tous fabriqués sur le territoire américain et non pas vendus par les marques américaines - sinon ils seraient susceptibles d'être fabriqués partout dans le monde. Et L'UE a fait preuve d’intelligence, elle a ciblé les États américains, souvent agricoles, qui ont voté pour Donald Trump en 2016. Et ça, c’est un point-clef pour l’entourage de Trump

En bref, l’Union européenne, qui a porté plainte en parallèle, a été assez habile, mais pas méchante. 

Les chefs d’entreprises européennes n’ont jamais réclamé des mesures de rétorsions très sévères, pour une raison très simple, ils ne croient pas au risque protectionniste. Ils craignent des escalades verbales, ils craignent des dérapages accidentels, mais ils ne croient pas à un renversement de l’évolution du commerce mondial dont le monde entier profite. 

Soyons clair, le monde des affaires n’imagine pas que Donald Trump puisse croire un seul instant qu’on puisse revenir à des appareils industriels nationaux. Pour trois raisons très pragmatiques. 

Un, le libre échange a été un formidable moyen de progrès pour les pays émergents d’une part et pour l’amélioration du pouvoir d’achat des Occidentaux, et le marché des consommateurs demandera toujours des produits qui lui offrent le meilleur rapport qualité-prix. Dans tous les secteurs. Et la spécialisation internationale, ça existe depuis la nuit de temps. 

Deux, les mécanismes d’échanges sont devenus affreusement compliqués. Les chaines de valeur qui composent les produits sont fragmentées. Une voiture américaine n'est qu’à moitié américaine. Une voiture européenne contient 40 % d’électronique d’origine US et 30 % de composant d’origine asiatique.

Les chaines de valeur sont donc  éclatées. Une BMW fabriquée aux USA en Caroline du Nord se compose à 60 % de valeur importée, ça vient du Canada, du Mexique et de l’Allemagne.

Trois, on ne peut pas compter sur le protectionnisme pour espérer restaurer 200 000 emplois détruits par les délocalisations au risque de bouleverser l’industrie mondiale.

Il y a d’autres solutions moins chères. La formation, l’adaptation, la mobilité. 

Alors, Donald Trump peut faire croire à ses électeurs qu’il détient la recette miracle, mais sa promesse n’engage que ceux qui l‘écoutent. 

Par conséquent, la majorité des chefs d’entreprise en Europe, y compris les constructeurs automobiles allemands, ont choisi de rester très pragmatiques et calmes. 

En revanche, le monde des affaires panique face au système des sanctions américaines. 

L’extraterritorialité de la loi américaine permet aux Etats-Unis de s’arroger le droit de sanctionner n'importe qui, n’importe où, qui ne respecterait pas une décision de Washington. On le voit en Iran, Donald Trump veut faire pression sur le gouvernement de Téhéran, il interdit à toute entreprise de travailler avec l’Iran avec sanctions financières à la clef.

Cette menace est incontournable pour les entreprises parce qu‘elles risquent des amendes sévères, elles risquent surtout de ne plus pouvoir travailler aux USA.

Qui est visé du côté français ? Total, Psa, Accor, le Crédit Agricole, ADP, la SNCF, Airbus. Des tours opérateurs, Air France

On retrouve là, en gros, le même programme que celui qui a été établi à l'encontre des entreprises qui veulent travailler avec la Russie, sauf que l’Union européenne avait réussi à négocier beaucoup d’exemptions. 

Face à la menace de sanction, les entreprises sont paralysées d’autant que la menace s’étend à toutes les opérations libellées en dollars. Comme le dollar est la seule monnaie de transaction mondiale (60 % du commerce mondiale), l’Amérique a un droit de vie ou de mort sur toutes les entreprises. 

Face à une telle menace, les chefs d’entreprise ne peuvent que s’en remettre à leur gouvernement pour obtenir un certain nombre d’assurance et de garantie mais ces derniers sont assez peu courageux. Ils ont surtout peu de moyens pour proposer une alternative. La seule solution ne pourrait être qu‘européenne, donc politique et juridique. 

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