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Gilles Berrut : "Le problème n’est pas le vieillissement de la population, mais notre schéma de société fondé sur la production, la consommation, la performance"
©GERARD JULIEN / AFP

Papy boom

Non, le vieillissement n’est pas nécessairement un déclin et oui, la société a besoin de ses seniors, assure Gilles Berrut dans son nouveau livre, "Les papys qui font boom".

Gilles Berrut

Gilles Berrut

Le Pr Gilles Berrut est Chef du Pôle Hospitalo Universitaire de Gérontologie Clinique du CHU de Nantes et Président du Gérontopôle Autonomie et Longévité des Pays de la Loire.

"Les papys qui font boom" Professeur Gilles Berrut

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Atlantico : Avec l'arrivée prochaine d'une génération de papy boomer – les enfants du baby boom devenus vieux - vous tenez à défendre l'arrivée d'une génération de personnes âgées pour qui le vieillissement n'est ni un déclin ni une fatalité. Qu'est ce qui, dans leur approche de la vieillesse, les rend si confiants face à l'avenir ? L'optimisme s'apprend-il avec l'âge ?

Gilles Berrut : Non, ce n’est pas ce qui est en jeu. Il y a une vieillesse incontournable, le déclin qu’on connait à la fin de notre vie et qui autrefois était le seul visage de la vieillesse. On partait à la retraite à 60 ans et on mourrait à 62, 63 ans. Aujourd’hui, on a une autre réalité qui s’est surajoutée et qui devient majoritaire. A côté de cette vieillesse-là, de cette maladie qui existe toujours, la majorité des personnes âgées vivent un temps de 20-25 ans après l’arrêt du travail, et plutôt en bonne santé dans leur majorité. Je dis cela parce qu’en France, seuls 17% des personnes de plus de 80 ans sont dépendantes. Ne parler que des autres, c’est donc oublier 83% des gens. On parle beaucoup des Ehpad, des problèmes de retraites, etc. Mais on omet ce qui est la réalité de la majorité, qui est un vieillissement plutôt réussi. 

Quels sont les grands enjeux médicaux pour cette nouvelle génération de papys ?

En fait, on se rend compte que les enjeux ne sont pas médicaux, mais bien sociétaux. Il faut repenser les transports, la ville, le vivre-ensemble. Nous sommes invités à avoir un nouveau regard sur l’ensemble de la société. C’est ça qui est intéressant : on sort du champ médical dans lequel on a trop confiné la vieillesse. 

La transition démographique qui doit advenir bientôt, avec le passage à la retraite de millions de personnes, pourrait avoir un impact très important sur notre économie et sur notre société. Il y a quelques mois, le Royaume-Uni a inventé un ministère de la Solitude pour répondre aux problèmes que rencontrent principalement les personnes âgées, isolées et souvent abandonnées par la société. Économiquement, le poids des retraites, entre autres coûts, sur les nouvelles générations, inquiète certains. Pourquoi selon vous ne faut-il pas s'inquiéter de ce bouleversement dans notre équilibre ?

Parce qu’en fait c’est une chance. Si vous voulez, on insiste sur la solitude qui est une réalité, mais qui est plus le problème d’une société qui n’arrive pas à être inclusive vis-à-vis des fragilités quelles qu’elles soient, plutôt qu’un problème de vieillissement. C’est-à-dire que si demain vous êtes chômeur, que vous avez une maladie respiratoire et que vous avez du mal à marcher, vous allez vous sentir seul. Nous sommes dans une société où il faut être performant.

Le problème n’est pas le vieillissement, le problème est un schéma de société fondé sur la production, la consommation, la performance. Quand 35% de la population aura plus de 60 ans, ces paradigmes vont devoir tomber. On aura une société qui sera automatiquement plus accueillante, ce qui va être une chance. La relation "un actif pour un retraité" qu’on attend pour 2030 est une réalité. Il va falloir certainement des répartitions pour les plus faibles salaires, et pour les autres des régimes mixtes. Mais là encore, ce n’est pas forcément un défaut, car on est aujourd’hui dans une situation de non-distribution de l’argent entre les générations. Les plus jeunes ont tout à gagner à ce que le vieillissement ne soit pas uniquement le lieu de l’aide mais aussi celui des services. Enormément de métiers et d’emplois vont être créés pour cette génération. Et ce au-delà de l’aide à domicile. Je pense par exemple au marché de la construction automobile qui repose essentiellement sur cette génération. Je pense aussi au marché des artisans à domicile pour les restaurations qui touche principalement ces générations-là.

Ne pourrait-on pas considérer que cette génération, majoritaire, a été structurante lors d’un demi-siècle : c’est elle qui a fait 68, c’est elle qui a porté et bénéficié grandement du tournant ultralibéral des années 80, mais qui n’en paye pas le prix aujourd’hui et demande aux générations suivantes de lui financer ses retraites ? N’est-elle pas au fond un peu casse-pied, cette génération de personnes âgées ?

Oui, je vous comprends, c’est une génération très importante d’un point de vue intellectuel, c’est elle qui a construit notre inconscient collectif. Votre remarque est vraie. Mais au lieu de le voir comme un empêchement et une gêne, je pense qu’on a intérêt à le voir comme une chance. Il ne faut pas oublier qu’il y a 924 milliards d’euros dans le bas de laine de cette génération. Soit on en fait rien, soit on en fait quelque chose qui fait fonctionner l’économie et qui les intéresse. Soit on ne les voit qu’en termes de solidarité et de dépenses, et ça coûte très cher. Soit ils jouent leur rôle dans l’économie. Vous me direz que c’est les deux à la fois. Je pense qu’on doit parier sur le bien-être de cette génération. On y gagne de la qualité de vie et de l’emploi pour les plus jeunes. C’est un gagnant-gagnant. 

Un débat anime de plus en plus la société actuelle, celui du transhumanisme, de l'homme qui s'augmente pour pouvoir affronter les limites de sa condition humaine. N'est-ce pas le signe d'une génération qui refuse de vieillir ?

C’est un paysage contrasté. La très grande majorité des personnes âgées participent à la vie commune, font fonctionner les associations, conditions sine qua non de notre système social à un point qu’on imagine peu. Ce sont elles qui donnent, pas l’Etat. Ils sont essentiels pour la sauvegarde des territoires, particulièrement en milieux rural et semi-rural. Ils aident financièrement et pratiquement les jeunes générations selon leurs possibilités. Ils participent bénévolement à la culture. Ces services bénévoles sont évalués entre 17 et 24 milliards d’euros par an. Qu’on aurait à dépenser s’ils ne le faisaient pas. 

Et ils ont un rôle très structurel dans les familles, dans les cas de divorce, etc. Si on les supprimait du jour au lendemain, on serait dans une grande difficulté.

D’un autre côté, il est vrai qu’il y a une minorité de penseurs, des personnes avec des moyens économiques très importants qui s’accrochent à leur pouvoir et refusent le vieillissement. Ils ont une relation aux autres assez détestable. De ceux-là, on parle beaucoup plus, alors qu’il y a un million de personnes âgées qui font des choses positives. C’est un effet loupe.

Après, le transhumanisme, cela dépend de quoi on parle. D’une certaine façon, il a déjà commencé, on vieillit beaucoup mieux que ce qu’on devrait. Quand j’ai une cataracte, je suis opéré, je ne deviens pas aveugle. Si j’entends mal, j’ai une audio prothèse. Si j’ai une arthrose de la hanche, on me met une prothèse. Cela, ça existe déjà. Après, on peut dire qu’on va mettre une puce génétique qui va nous maintenir jeune. C’est une réflexion intéressante, qui pose des questions éthiques. Mais qui ne correspondent pas aux enjeux qu’on va connaître dans les prochaines années. Mon livre tente justement de comprendre les choses pour le bien être du côté de la vie et de la réalité. Et plein de choses très positives se déroulent sous nos yeux, et on ne sait pas les voir. C’est cela que je veux montrer !

Du coup, quel rôle va être celui de ces nouveaux papysdans notre société ? Et quelle société vont-ils nous laisser en héritage ?

Ils vont avoir un rôle essentiel du fait du poids démographique. C’est-à-dire qu’environ 35% de la population, cela sera important. Evidemment que les questions économiques vont se poser, mais on devra aussi faire une société plus accueillante à la fragilité. Par exemple une ville où on a le droit de marcher lentement. Beaucoup d’architectes au Japon et aux Etats-Unis notamment se penchent sur la création d’une ville qui ne soit plus le lieu de la concentration et de la vitesse - ce qui a été à l’origine de sa création au XIVe siècle - mais une métropole plus lente, un lieu de vie. Nous sommes tous fragiles à un moment de notre vie. Penser des quartiers où on entretient un lien social, où peut être lentement ensemble, on en sortira tous gagnants. C’est une chance de créer pour demain une société inclusive, et plus uniquement et obligatoirement performante. 

"Les papys qui font boom" de Gilles Berrut, publié aux Editions Solar 

"Les papys qui font boom" de Gilles Berrut

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