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Gilets jaunes :  pourquoi certains Français ont nettement plus de raisons que d’autres de se plaindre de l’évolution de leur pouvoir d’achat
©REMY GABALDA / AFP

Vérité des chiffres

Alors que le mouvement des gilets jaunes est attendu pour ce 17 novembre, il est régulièrement rappelé que les prix à la pompe ont déjà été plus élevés dans le passé. Les statistiques de l'INSEE mettent cependant en évidence une baisse du niveau de vie depuis 10 ans pour les 4 premiers déciles de la population, et une hausse symbolique pour les autres.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico: L'absence de prise en compte du niveau de vie pour déterminer l'impact du prix du carburant ne met-il pas en évidence une forme de méconnaissance de la situation ?

Philippe Crevel : L’analyse du pouvoir d’achat à partir d’un seul produit ou service n’a que peu d’intérêt. En effet, ce qui compte, c’est le pouvoir d’achat global. En outre, les comparaisons dans le temps n’ont qu’une valeur très relative En 1970, les impôts étaient moins élevés et il n’y avait pas Internet. Ce qui est certain, c’est que depuis le début de la crise de 2008, le pouvoir d’achat des ménages est en berne. Le chômage élevé, la hausse des prélèvements obligatoires n’y est pas pour rien. Les Français les plus modestes ont été les plus touchés tout à la fois par les taxes que par la faible revalorisation des revenus professionnels.

Pour les classes moyennes et les classes aisées, les gains ont été également faibles. Par ailleurs, il est certain que les habitants en zone rurale sont touchés par la hausse des taxes quand ceux des villes le sont par le relèvement des prix des transports publics. Les retraités ont eu à subir depuis 10 ans des hausses répétées de leurs prélèvements quand dans le même temps leurs pensions sont gelées. Les jeunes sont confrontés à des problèmes d’insertion, réduisant leur pouvoir d’achat.

Il est notamment rappelé que les prix à la pompe étaient plus élevés dans le courant des années 70. La part de dépenses contraintes (immobilier par exemple) entre aujourd’hui et les années 70, pour les ménages français n'est-elle pas sous évaluée dans cette approche ?

Les ménages français ont du, depuis les années 70, faire face à l’augmentation des dépenses dites pré-engagées, c’est-à-dire des dépenses sur lesquelles ils n’ont pas réellement la main. Figurent notamment les dépenses de logements, les abonnements aux réseaux, les assurances, etc. Il faudrait ajouter les impôts et taxes. Ces dépenses absorbent plus de 30 % du budget des ménages. Le poids du logement a explosé ces vingt dernières années surtout pour les jeunes locataires. Le pouvoir d’achat hors dépenses pré-engagées a diminué drastiquement.

Certes, il faut néanmoins relativiser cette affirmation car certains postes de dépenses ont diminué ces 30 dernières années. Le poste habillement et transport collectif est en baisse. Pour le premier, ce sont les importations en provenance des pays d’Asie qui expliquent cette évolution quand pour le second, c’est l’accroissement de la concurrence qui a fait baisser les prix. Les produits agricoles ont eu tendance à baisser des années 80 aux années 2010 mais depuis plusieurs années, ils augmentent en raison de la consommation accrue des produits bios. Il n’en demeure pas moins que le ressenti joue en défaveur de l’amélioration de la situation. Le problème numéro un est, en France, le logement qui est cher et cela malgré plus de 37 milliards d’euros d’aide.

Au delà de telles comparaisons, le mécontentement actuel n'est-il pas simplement le résultat de la stagnation ou de la baisse des niveaux de vie depuis 10 ans, alors que les périodes précédentes avaient pu permettre une croissance de ces niveaux de vie ? 

La France a perdu une décennie. Nous avons mis dix ans à effacer les stigmates de la crise de 2008. Le PIB par habitant vient juste de retrouver son niveau d’avant crise. Cette stagnation est une source évidente de frustration. Certes, les inégalités n’ont pas augmenté dans notre pays comme au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou en Allemagne. Certes, le taux de pauvreté est resté stable autour de 14 %. Cette situation a été obtenue au prix d’une augmentation des dépenses sociales qui absorbent un tiers de notre PIB. Elle s’est accompagnée d’une forte progression de l’endettement. Nous avons acheté de la croissance à crédit, nous avons acheté du pouvoir d’achat fictif qu’il faudra rembourser. Face à la progression des dépenses publiques qui ont atteint 56 % du PIB, les pouvoirs publics sont contraints d’augmenter les prélèvements obligatoires.

La France, avec un taux de plus de 45 % du PIB, détient le record d’Europe. La croissance française est faible et sous contrainte. Elle génère peu d’augmentation de pouvoir d’achat car notre économie est centrée sur la production de gamme moyenne à la différence de notre partenaire allemand. Nous avons fait fausse route. En multipliant les dispositifs en faveur des bas salaires, nous avons généré une économie de bas salaires. Il y a une erreur de positionnement dont la preuve est la persistance du déficit commercial. La conséquence est l’absence de progression du niveau de vie ; l’écart avec l’Allemagne devient conséquent, plus de 20 points. 

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