Gérald Darmanin veut reconquérir les électeurs du RN ou de LFI. Mais à quel prix ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Gérald Darmanin ministre de l'intérieur LREM Rassemblement national La France insoumise macronisme électorat citoyens 2022
Gérald Darmanin ministre de l'intérieur LREM Rassemblement national La France insoumise macronisme électorat citoyens 2022
©Thomas SAMSON / POOL / AFP

Cible électorale

Emmanuel Macron et En Marche ont bénéficié de l’effet « attrape-tout » en 2017. A supposer que rééditer l’exploit soit envisageable, le ministre de l’Intérieur mesure-t-il le danger politique de (re)construire un majorité en trompe-l’œil tiraillée par des aspirations irréconciliables ?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

Voir la bio »

Atlantico.fr : La tendance de Gérald Darmanin, et à travers lui de la majorité présidentielle, à chercher à la fois à satisfaire les électeurs du Rassemblement National de Marine Le Pen (comme le dernier débat relatif au projet de loi sur les séparatismes auquel tous deux ont participé a pu le montrer) et une certaine frange de la gauche (qui réclamait la dissolution de Génération Identitaire notamment), vous semble-t-elle représentative d'une volonté du macronisme de renouer avec son identité de parti "attrape-tout" comme avait pu alors le qualifier la politologue Virginie Martin ?

Arnaud Benedetti : Le macronisme est bien plus un transformisme qu’une force de transformation. Il entend donner des gages à tout le monde, ou presque, pour s’efforcer de couvrir l’ensemble du spectre des sensibilités. Le problème c’est qu’autant il est potentiellement possible de trianguler simultanément à droite et à gauche, et encore dans un scope relatif, sur des enjeux économiques et sociaux, autant l’exercice sur des fractures politico-culturelles l’exercice est impossible. A vouloir contenter sa gauche et sa droite, on mécontente l’une et l’autre, au risque de s’infliger une autre peine, celle d’apparaître excessivement opportuniste. La réalité c’est que la volonté de dissoudre "Génération identitaire" obéit à deux objectifs : le premier est conjoncturel après la faute tactique de Gérald Darmanin qui lors de son débat face à Marine Le Pen a légitimé cette dernière en lui décernant un brevet de modération et en générant l’image, mutadis mutandis, d’une majorité débordant sur sa droite le RN ; la seconde est structurelle qui vise surtout à rassurer l’aile gauche du macronisme, bien plus que la gauche exogène à cette majorité. 

Une coalition aussi artificielle est-elle tenable sur la durée et réalisable pour 2022 ? Cette volonté d'unité d'opposés irréconciliables est-elle potentiellement un danger pour l’équilibre et le débat politique ? Pour En Marche ?

Elle participe de la confusion générale, de cette idée que la problématique politique ne serait plus une question de valeurs ou de convictions mais de choix de marketing. Tout ceci confirme que le moteur du macronisme est d’abord et peut-être exclusivement d’essence communicante. Il s’agit d’envoyer des signaux en fonction des différents enjeux "saillants" qui caractérisent une conjoncture donnée. La lutte contre l’islamisme, qui loin de constituer l’un des fondamentaux des marcheurs qui en déniaient plutôt l’urgence lors de leur genèse, s’installe nécessairement comme une priorité de l’opinion. Or celle-ci, comme l’on disait au XIXème siècle, est "la reine du monde". D’où sa saisie par une majorité qui ne peut plus en occulter la menace et qui doit l’inscrire avec force désormais dans son agenda. D’autant plus que cette réalité là valide l’objection de ceux qui à droite ou au RN critiquaient et dénonçaient la fragilité, voire la naïveté d’Emmanuel Macron sur le front régalien. D’où la volonté de marquer fortement les esprits  par un texte de loi contre le séparatisme dont le but est de rattraper d’une part le retard pris par l’exécutif dans le traitement de ce sujet et d’autre part d’arrimer les segments électoraux qui à droite sont les plus susceptibles d’être happés par la force d’attractivité du macronisme. Mais confronté à la nécessité de conserver un volant à gauche pour maintenir son équation originelle alors qu’il est sous le feu des critiques d’une partie de celle-ci lui reprochant notamment de braconner sur les terres du RN, Emmanuel Macron et son ministre de l’intérieur offrent ainsi  le "scalp" de "Génération Identitaire" sur l’autel de la bien-pensance pour esquiver le soupçon de dérive droitière. 

Est-il vraiment pertinent de vouloir incarner tout le spectre de la vie politique ? La démocratie, n’est-ce pas aussi assumer une part de clivage pour former une majorité sur un projet politique cohérent (ce qui suppose d’y travailler sur le fond et pas juste par des effets de manche marketing ou des habiletés tactiques) ?

Le macronisme entend décliver, c’est sa marque de fabrique, en démonétisant le clivage droite / gauche. Il n’en demeure pas moins que les catégories demeurent, et je n’en veux que pour preuve que sa politique est très souvent perçue comme une politique de droite. Les représentations structurantes de l’espace politique n’ont pas disparu, ce sont les offres de gouvernement LR d’un côté, PS de l’autre qui peinent d’abord à retrouver un projet et à l’incarner. Macron a une vision monopolistique de la politique. Il veut en sculpter les contours en imposant une forme centrale qui viderait de sa substance concurrentielle le champ des confrontations partisanes, en désignant principalement un seul adversaire : le populisme et sa représentante en France, Marine Le Pen. Cette lecture il l’a imposé en 2017, certes ; il s’efforce de la dupliquer pour 2022 en comptant reproduire l’affrontement qu’il lui a si bien réussi voici presque 5 ans. Sauf qu’entre temps les circonstances ont évolué : Macron d’abord est lui-même un objet clivant, ensuite il se doit d’assumer un bilan bien moins réformiste qu’il ne l’espérait et bien plus marqué par l’immobilisme qu’il ne le prétend, enfin le récit du "barrage républicain" a perdu de son efficience et en est réduit à un artefact auquel une grande partie de la gauche ne se ralliera pas car Emmanuel Macron n’apparaît plus le vecteur légitime de cette idée-refuge. Le macronisme est l’expression de la surmobilisation des CSP plus ,du haut des classes moyennes et de la désaffection électorale des classes populaires et d’une grande partie des classes moyennes. Ce découragement, sorte de "cens" de la résignation, constitue la condition de sa survie. De ce point de vue la marque macroniste est le produit d’un désenchantement, bien plus que d’un espoir, qui incarnerait (c’est une hypothèse) mécaniquement le monopole de l’engagement électoral sur fond de retrait citoyen et de démobilisation civique de segments entiers issus des classes populaires et moyennes. L’atonie citoyenne est le meilleur allié d’Emmanuel Macron. Rien ne prouve qu’elle perdurera tant le chef de l’Etat, loin de l’illusion précaire entretenue par quelques sondages qu’il convient d’examiner avec les plus grandes des réserves, a accumulé de poches de rejets dans nombre de secteurs de l’opinion.  Valery Giscard d’Estaing à un an de la présidentielle bénéficiât aussi d’un matelas confortable de soutien qui masquait une réalité socio-politique nettement plus contrastée. La démocratie n’est pas un produit de synthèse.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !