Géopolitique du Covid-19 : les conséquences de l’impact économique de la crise sanitaire à l’échelle planétaire <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo d'illustration montre un flacon du vaccin contre la Covid-19, une seringue et un globe terrestre.
Une photo d'illustration montre un flacon du vaccin contre la Covid-19, une seringue et un globe terrestre.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Jacques Soppelsa et Alexandre del Valle publient « La mondialisation dangereuse : vers le déclassement de l’Occident ? » aux éditions de L’Artilleur. Après l’effondrement du système bipolaire consécutif à la fin de l’URSS et à l’abandon de logique des blocs, le monde est entré dans une ère de grande incertitude. Aggravation du fossé entre les pays du Nord et ceux du Sud, essor des conflits inter-étatiques, terrorisme international, autant de troubles qui se cumulent et viennent compliquer les tendances « lourdes » que sont les évolutions de la donne énergétique et les aléas du contexte climatique. Extrait 2/2.

Jacques Soppelsa

Jacques Soppelsa

Jacques Soppelsa est normalien, agrégé, docteur d’Etat, ancien président de l’université Paris I – Sorbonne où il a détenu l’unique chaire officielle de géopolitique en France. Il fut conseiller culturel, scientifique et de coopération auprès des ambassades de France aux Etats-Unis et en Argentine. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il a présidé l’Académie internationale de géopolitique.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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D’après les estimations actuelles, le monde traverse la crise économique la plus lourde de l’Histoire. Le PIB mondial a ainsi baissé de 3,2 % en 2020. Les hausses de chômage sont massives dans certains pays : près de 25 % d’augmentation en France, ce qui a propulsé le taux de chômage à plus de 11 %. À la fin de l’année 2020, il y avait près de 600 000 emplois salariés de moins qu’à la fin de l’année précédente. La flambée a été de 50 % au Portugal, le taux de chômage y passant de 6 à 9 %. Le taux de chômage mondial a certes fortement baissé au deuxième trimestre. Mais avec la fin du confinement et la reprise d’un comportement habituel de recherche d’emploi, il a augmenté de 1,9 point au troisième trimestre, passant ainsi à 9 %. Et les phénomènes de « quatrième vague » ou de nouveaux « variants » – brésilien (Gamma), sud-africain (Bêta), britannique (Alpha), indien (Delta), ou encore Lambda, Epsilon –, couplés avec la lenteur de la vaccination de masse au niveau mondial et les incertitudes sur son efficacité, rendent l’avenir moins prometteur que ce que l’on a pensé en juin 2020 lorsque certains, notamment le Pr Raoult, affirmaient que le virus était en train de disparaître… D’autant que les vaccins, par ailleurs pas aussi fiables que prévus face aux variants, ne sont devenus massifs que dans les pays développés, ce qui permet au virus de progresser et muter indéfiniment ailleurs.

La Covid a provoqué une nouvelle poussée de la pauvreté, comme en Inde, où elle a explosé dans les zones rurales. L’économie indienne, déjà en ralentissement depuis 2017, a été très sévèrement touchée, de sorte que son retard vis-à-vis de son rival et ennemi chinois s’est accentué. La crise sanitaire a mis au chômage 120 millions de personnes et a jeté sur les routes la moitié des 40 millions de travailleurs migrants internes qui ont quitté les centres urbains et ont ainsi contribué à répandre le virus dans les campagnes. Selon les Nations unies, 260 millions d’Indiens pourraient retomber dans la pauvreté (soit quasiment autant que les 271 millions qui en étaient sortis entre 2006 et 2016). Ce retour en arrière pose au pays des défis considérables, en particulier au niveau de la malnutrition.

Depuis longtemps, la recherche académique a tenté de quantifier les liens qui existent entre crise économique et conséquences sanitaires. Une étude publiée en 2016 dans la revue Current Epidemiology Reports expliquait que la crise de 2008 avait eu de nombreuses conséquences sanitaires en Europe : augmentation des suicides, baisse de la santé générale perçue, hausse de la mortalité, baisse de la fertilité… D’autres études ont démontré le lien entre la pauvreté (et sa hausse en cas de crise) et les risques de développer un cancer. Une étude publiée dans The Lancet a stipulé que la crise économique de 2008, en fragilisant les systèmes de santé, avait augmenté à près de 260 000 le nombre de morts du cancer dans le monde. Et les conséquences indirectes de la crise sanitaire liée à la Covid pourraient être encore plus douloureuses. Indicateur significatif : le Secours populaire a enregistré une hausse de 45 % de sa fréquentation en 2020. Dès le 23 mars 2020, Santé publique France a lancé l’enquête CoviPrev auprès de 2 000 personnes, afin de suivre leur état psychologique et l’évolution de leurs comportements dans un contexte inédit. Après une semaine de confinement, l’anxiété touchait 26,7 % des personnes interrogées, contre 13,5 % en 2017. Au 1er avril, la prévalence de la dépression atteignait 19,9 %, soit le double d’une moyenne de près de 10 %. Et jeudi 19 novembre, le ministre de la Santé a révélé que le numéro d’aide mis en place sur ces questions (le 08 00 13 00 00), géré par des associations, recevait « près de 20 000 appels par jour ».

Au niveau mondial, l’ONU s’attend à ce que 71 millions de personnes rechutent dans l’extrême pauvreté en 2021, soit la première augmentation dans le monde depuis 1998. Le Dr Andreea Stoian Karadeli, chercheur à l’université de South Wales et au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), a fait valoir que le manque de confiance et la peur causés par le coronavirus sont pires que le virus lui-même. Cette conscience des effets de la peur est chère aux groupes djihadistes comme l’EI qui ont théorisé l’idée que l’ennemi devait être frappé sur le terrain psychologique en faisant tout pour « jeter l’effroi dans le cœur des mécréants ». Les grandes catégories d’extrémistes – djihadistes, sectes, extrême droite et extrême gauche – ont d’ailleurs tenté de profiter de ce moment pour réactiver les vieilles théories conspirationnistes qui ont prospéré sur les réseaux sociaux au-delà même des sphères « extrémistes » (« démocratisation des thèses complotistes »). Daesh, Al-Qaïda et maintes sectes fanatiques ont présenté le virus comme « une punition de Dieu contre les infidèles ». Des groupes radicaux ont ciblé les Asiatiques, accusés d’être la cause du virus, ainsi que les juifs, qui sont toujours une cible. Les milieux révolutionnaires d’extrême gauche ou anarchistes ont blâmé le système capitaliste et affirmé que le confinement serait le fruit d’un complot gouvernemental visant à priver les gens de leurs libertés, appelant ainsi à attaquer les symboles capitalistes.

Géopolitique de la Covid-19

L’échelle de cette crise est si importante que les vaccins sont devenus des facteurs géopolitiques qui définissent les rapports de force entre pays et qui permettent de projeter la puissance souveraine à l’international. Le meilleur exemple a été offert par la Russie de Poutine qui a su instrumentaliser des livraisons de Spoutnik un peu partout dans les pays du Sud et même dans certains d’Europe, dans le but d’améliorer son image (soft power) auprès des élites et des populations. Moscou a privilégié cette action d’influence à l’international à la livraison massive de vaccins à ses citoyens, le but étant de renforcer son soft power dans sa sphère d’influence (Kazakhstan, Kirghizistan, Caucase) et de l’élargir en Amérique latine et au Moyen-Orient. La Chine a adopté une stratégie similaire en exportant ses vaccins (laboratoires Sinovac et Sinopharm, fondés sur une méthode classique à virus désactivé) dans des dizaines de pays, notamment africains – jusqu’à les offrir parfois – mais aussi au Moyen-Orient, particulièrement aux Émirats arabes unis, qui produisent directement sur leur territoire le vaccin chinois Sinopharm. L’Union européenne s’est quant à elle résolument opposée au vaccin russe Spoutnik, privilégiant les fabricants américains ou européens, bien que certains pays européens aient plaidé pour l’introduction rapide des vaccins russes, comme l’Italie ou l’Allemagne. Imitant les responsables de l’UE, l’Ukraine a rejeté le vaccin russe par pur choix idéologique et stratégique, préférant ceux américains ou européens, au détriment des prix plus bas et des intérêts des citoyens/malades eux-mêmes.

Toutes les économies et les gouvernements du monde ont été touchés par la crise sanitaire, et ces derniers y ont presque tous répondu par un important soutien budgétaire. En raison des divers plans de relance et de sauvetage des entreprises, la récession provoquée par la pandémie a propulsé la dette mondiale en pourcentage du PIB à un nouveau record de 355 % début 2021, contre 320 % fin 2019. À la suite de l’introduction de mesures de confinement dans le monde depuis mars 2020, le PIB dans la zone OCDE a diminué brutalement de 9,8 % fin 2020, la plus forte baisse jamais enregistrée, nettement supérieure au 2,3 % du premier trimestre 2009, en pleine crise financière. Au Royaume-Uni, le PIB a chuté de 9,8 % sur l’année 2020, tandis qu’en France, la chute a atteint 8,3 %.

Les campagnes de vaccination, les politiques de santé et le soutien financier des gouvernements étaient censées, fin 2020, faire augmenter le PIB mondial de 4,2 % en 2021, après une baisse de 4,2 %. La reprise aurait été plus forte si les vaccins avaient déployé rapidement. Les retards dans le déploiement de la vaccination, les difficultés à contrôler les nouveaux foyers du virus, les deuxième, troisième vagues, et autres « nouvelles » mutations du virus ont vite affaibli les perspectives. Le rebond s’est certes confirmé en 2021, mais il a été bien plus fort dans les pays asiatiques qui ont mieux maîtrisé le virus. Quant à la Chine, elle « a mis en œuvre des mesures efficaces lui permettant de connaître un rebond important et surtout durable, le pays aura été le seul à connaître une croissance positive dès 2020 ».

En ce qui concerne l’Afrique, dans la première phase, elle a été peu touchée par la pandémie. Certains pays africains, comme le Sénégal, l’Afrique du Sud et le Kenya, seront probablement en mesure de faire face à la grave urgence sanitaire. Mais d’autres, comme la Tanzanie, le Mozambique, l’Ouganda, la République démocratique du Congo ou l’Éthiopie, sont particulièrement à risque, tandis que certains États comme la République centrafricaine, la Somalie ou le Soudan du Sud n’ont aucune chance de réagir à une propagation généralisée du virus. Au Maghreb, dix ans après les printemps arabes, les espoirs de transition démocratique portés sur le pays de la révolution du Jasmin, la Tunisie, seul pays arabe qui avait réussi une réelle transition démocratique, risquent d’être balayés par la crise sanitaire. Le pays est sur le point de faire faillite, comme le Liban, et la récession de –8,5 %, couplée au chômage sidéral, à l’opposition entre islamistes et nationalistes, à la faillite du système de santé et à la ruine des finances publiques, risquent de plonger le pays dans le chaos.

Les pays producteurs de pétrole ont également été touchés car affectés par la volatilité des prix et variations des marchés. Une économie hydrocarburière comme l’Algérie, pénalisée depuis des années par un prix du baril de pétrole très bas, et qui importe massivement, risque de fortes pénuries. Les monarchies du Golfe et les pays pétroliers d’Afrique ont à leur tour investi très peu dans le secteur de la santé. Dans de nombreux cas – Libye (bombe à retardement compte tenu de la porosité de ses frontières), Syrie (militaires infectés d’Iran et du Pakistan), Yémen (déjà à genoux en raison de la pire catastrophe humanitaire de la planète), on constate un chevauchement géopolitique entre les situations préexistantes (conflits et crises de diverses natures), les effets du virus, les conflits armés en cours et l’urgence virale.

L’Inde a quant à elle été touchée d’une manière particulièrement préoccupante en mai 2021 avec 412 000 nouveaux cas en vingt-quatre heures (moyenne de 350 000 à 400 000) et près de 4 000 décès journaliers. À l’opposé de la Chine confucéo-maoïste, l’Inde démocratique, fédérale et ouverte a été incapable de maîtriser la situation par manque de moyens (soins intensifs, oxygène…), et surtout faute d’être dotée d’un système politique suffisamment autoritaire et centralisé pour contrôler la société et une population de 1,4 milliard d’habitants.

En Europe, l’Espagne et l’Italie, par exemple, qui sont plus dépendantes du tourisme de masse, ont été plus touchées par la crise que les pays d’Europe du Nord. D’une manière générale, la crise due à la Covid-19 a provoqué une chute spectaculaire des investissements directs à l’étranger (IDE). D’après les chiffres de l’ONU, les investissements directs étrangers dans le monde ont chuté de 42 % en 2020 et sont par conséquent passés sous la barre des 1 000 milliards de dollars (environ 850 milliards) pour la première fois depuis 2005. La baisse s’est concentrée dans les pays développés, où les IDE ont chuté de près de 70 % pour s’établir à environ 229 milliards de dollars.

La situation est encore plus préoccupante pour les pays en développement, la pandémie ayant entraîné une prudence accentuée des investisseurs. Les pays dépendants de ces investissements ont donc subi une forte baisse des entrées de capitaux. En Afrique, les IDE sont passés de 46 à 38 milliards de dollars, et la baisse des projets sur site vierge dans les pays en développement atteint 46 % et 63 % pour les pays africains. Ces régions sont plus vulnérables parce qu’elles dépendent davantage des investissements et qu’elles ne peuvent pas mettre en place les mêmes mesures de soutien économique que les pays développés. En revanche, les pays asiatiques sont ceux qui ont le mieux résisté, avec une baisse des IDE de seulement 4 %.

Au niveau global, l’économie mondiale a reculé de 3,3 % en 202013 avec plus de 10 000 milliards de dollars de pertes, selon les estimations du Fonds monétaire international, en raison du confinement et des mesures de restrictions sanitaires dues à la pandémie. Le ralentissement causé par la pandémie n’a fait qu’accentuer un mouvement de croissance négative ou nul initié depuis des années et il a donc aggravé une tendance baissière déjà ancienne. Les flux mondiaux d’IDE vont rester assez faibles en 2021, et les Nations unies prévoient une nouvelle baisse de 5 à 10 % par rapport à l’année écoulée, annonçant la vraie reprise pour seulement 2022, sous l’effet de la restructuration des chaînes de valeur mondiales en faveur d’une plus grande résilience, de la reconstitution du stock de capital et du redressement de l’économie mondiale. Mais tout dépendra de la résolution définitive de la crise sanitaire…

En ce qui concerne la croissance du PIB, les dernières estimations du FMI confirment là aussi des inégalités avec, sans surprise, la Chine en tête, cette dernière ayant déjà retrouvé une croissance fin 2020 de 8 %, suivie par les États-Unis (6,4 %, soit une révision à la hausse de 1,3 point par rapport à janvier 2020 due aux plans de relance de Joe Biden), et de la zone euro qui pourrait connaître un rebond de 5,8 %, estimation elle aussi revue à la hausse en raison des retombées bénéfiques pour la zone UE du plan de relance américain. Mais rien de cela n’est certain.

A lire aussi : Assistons-nous à une démondialisation ou à une désoccidentalisation de la mondialisation ?

Extrait du livre de Jacques Soppelsa et Alexandre del Valle, « La mondialisation dangereuse : vers le déclassement de l’Occident ? », publié aux éditions de L’Artilleur

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