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Le génocide ne doit pas être
une arme politique
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De l'Algérie à l'Arménie

En réponse au vote d'une loi condamnant toute négation d'un génocide, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, accuse la France de génocide en Algérie. Ou comment la mémoire historique est manipulée par un inquiétant jeu politique.

Rony Brauman

Rony Brauman

Médecin de formation, ancien président de Médecins sans Frontières.

Auteur de plusieurs ouvrages sur la médecine, l'humanitaire et les grands conflits.

 

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Atlantico : Heurté par la nouvelle loi condamnant les négations de génocides, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, accuse la France de génocide en Algérie. Cette accusation est-elle fondée ?

Rony Brauman : Si nous nous penchons sur les écrits de Toqueville ou d’un certain nombre d’observateurs de la colonisation et de l’Algérie, nous constatons que des récoltes et des puits étaient méthodiquement détruits, des villages massacrés, des populations déplacées. On pourrait donc affirmer que les éléments constitutifs d’un crime de génocide sont rassemblés sur l’ensemble de la période coloniale française. [NDLR : voir plus bas la définition précise du terme "génocide"]

Mais c’est précisément ce surgissement de concurrences mémorielles instrumentales qui pose problème. Les Turcs nous renvoient les crimes commis contre les Algériens pendant que nous reconnaissons un crime dans lequel nous ne sommes pas impliqués. Les Turcs sont bien fondés à nous rappeler que nous aussi, nous avons commis des crimes que nous ne sommes d’ailleurs pas pressés de reconnaître. Le nœud conflictuel de cette affaire est insensé. Comment la France peut reconnaître un crime dans lequel elle n’a aucune partie prenante ? Je pense que le Parlement est là pour interdire, obliger, permettre, dans le cadre de son rôle législatif. Pas pour reconnaitre. En particulier dans le cadre d’un cas historique.

Toutes les lois mémorielles devraient être abrogées. Ca clarifierait le sujet. Cette concurrence entre les crimes, entre les stratégies victimaires, pose le problème sous un angle qui permet de comprendre la réaction turque. Je serais bien en peine, à titre personnel, de dire s’il y a eu oui ou non un génocide en Arménie. Le massacre des Arméniens est parfaitement reconnu. La qualification juridico-morale que l’on peut porter sur ce fait tient à bien d’autres considérations que le fait lui-même.

Comment faire pour sortir de cet échange tendu ? Peut-on désamorcer les tensions liées à ces débats ?

En France, personne ne conteste ces massacres. Que se passerait-il si, demain, le Parlement français reconnaissait que les Etats-Unis se sont construits sur le génocide des Indiens et l’esclavage des noirs ? Apporterions-nous quelque chose au débat, si ce n’est une espèce de rappel insultant sur leur histoire ? Une histoire parfaitement établie par ailleurs. Ce n’est pas le Parlement qui doit se mêler du passé. On a commencé avec la loi Gayssot qui a été approuvée par beaucoup de gens, pour des raisons compréhensibles, même si je ne les rejoins pas. A partir de là, nous avons enclenché un processus au sein duquel chacun veut avoir un génocide dans son histoire pour que les atrocités subies soient reconnues.

La place de la reconnaissance, de l’analyse, de l’étude voir pourquoi pas de la repentance, est dans des colloques d’universitaires, dans la rue en manifestant, dans les livres ou dans la presse. Elle n’est pas à l’Assemblée nationale.

La France peut-elle regarder sans haine, sans rancune, son passé algérien ?

Il reste des malaises des deux côtés. Pour moi, la seule manière d’avancer sur ce sujet réside dans le débat public. C’est valable pour le dossier turco-arménien mais aussi pour la question franco-algérienne. En terme d’enjeux, notre rôle en Algérie est beaucoup plus crucial que l’Arménie car nous avons une histoire commune extrêmement rude. L’histoire de la guerre d’Algérie est en partie écrite. Des historiens comme Benjamin Stora ou Mohammed Harbi, aussi bien français qu’algérien, travaillent ensemble sur le sujet. Ils arrivent à le faire de manière efficace, apaisante, même si ce n’est pas facile. Il y a également des échanges universitaires entre la France et l’Algérie.

Le mot génocide a-t-il encore un sens ?

Il a un sens. Lorsque l’on parle du génocide perpétré au Rwanda en 1994, on désigne un événement politique, historique, qualifié à juste titre de cette façon. Ce n’est pas un mot dont on peut se débarrasser si facilement.

Mais lorsque l’on voit à quel point cette notion juridique qui désigne le Crime avec un grand C est instrumentalisée, comme elle est flexible et se moule dans toutes sortes de situations, on peut se poser des questions. Le mot génocide est utilisé pour les massacres, depuis le Cambodge des Khmers rouges à Srebrenica. Un crime de guerre particulièrement atroce se retrouve transformé en génocide. Au Darfour, la Cours pénale internationale a également évoqué ce terme.

Le mot génocide relève d’un cadre juridico-moral. A ma connaissance, aucune terminologie juridique n’est employée dans des circonstances aussi éloignées les unes des autres. Il tend à nous couper des réalités politiques et historiques des violences et des massacres que l’on doit aussi chercher à comprendre. Il ne faut pas simplement juger du haut de notre position rétrospective en contemplant une histoire déjà déroulée avec "l’insolence de la postérité".

Propos recueillis par Romain Mielcarek



[i] L’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies, le 9décembre1948, affirme :

« Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
1) Meurtre de membres du groupe ;
2) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
3) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
4) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
5) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.  »

(extrait Wikipedia)

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