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Génération leaders risque-tout : le monde face au risque d’une nouvelle guerre mondiale ?
©MANDEL NGAN / AFP

Ces dingues qui nous gouvernent

Suite aux déclarations de Mike Pompeo sur l'Iran ou au regard des conseils de Donald Trump sur les injections de désinfectant pour traiter le coronavirus, doit-on être inquiet de ceux qui nous gouvernent ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Il est notamment l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), « Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). Son dernier livre : Kamala Harris, L'Amérique du futur, aux éditions Nouveau monde (septembre 2021).

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Atlantico.fr :  Au vu des propos de Mike Pompeo sur l'Iran, du gouverneur de Californie qui veut en faire un Etat-nation ou de Donald Trump qui donne des conseils à base d'injections d'eau de javel afin de se prémunir du coronavirus, doit-on être inquiet des gens qui nous gouvernent ? Qu'est-ce que cela dit de notre société ? 

Emmanuel Lincot : Cyniquement, je vous dirais que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. N’en déplaise à ses détracteurs, Donald Trump a été élu démocratiquement. « Tyrannie de la majorité » rétorquerait un Tocqueville mais élu tout de même. Que Mike Pompeo se dise prêt à faire la guerre à l’Iran relève d’une rhétoriques américaine assez classique, avec un passage à l’acte parfois. L’élimination du général Soleimani est l’un d’eux. Il a permis de tenir en respect les dirigeants de Téhéran, lesquels sont des criminels patentés. Quant à Xi Jinping, que cela soit intentionnel ou pas, le Covid19 qui s’est exporté depuis la Chine a les effets aussi dévastateurs qu’une arme bactériologique. Dans sa première phase, elle a mis à genoux les États-Unis. Xi Jinping sort grandi de cette épreuve, tout au moins à l’international. En Chine même, cette crise a provoqué des remous importants même s’il est encore trop tôt pour dire si elle aura un impact politique. Concernant la Corée du Nord, des rumeurs à l’heure où je vous réponds laissent entendre une disparition de son dirigeant. Si cela est avéré, nous ne le regretterons pas. C’est l’un des tyrans les plus sanguinaires de notre siècle. L’histoire est tragique. Les relations internationales sont profondément anarchiques. Nous le réapprenons. Bienvenu dans le monde du réel !

Jean-Eric Branaa : Les propos sont vraiment de nature très différente et ne nous disent pas forcément la même chose de notre société, ou de la société américaine –puisque tel est le cas ici. 

La prise de position de Mike Pompeo est une continuité avec la volonté des néoconservateurs qui veulent mettre une pression maximale sur l’Iran. On se souvient qu’au début de l’été 2019, c’est John Bolton qui faisait de telles déclaration –d’ailleurs à peu près dans le même contexte de tensions maritimes. Mike Pompeo avait alors prudemment pris ses distances, alors que Donald Trump désavouait John Bolton, avant de l’écarter de son entourage. Mais cela reste dans la limite du raisonnable : juste quelques cris pour effrayer, rien de plus. Car l’Amérique –pas plus que l’Iran– n’est pas en situation de mener une guerre en ce moment.

S’agissant de Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, on a aussi affaire à une manifestation de mauvaise humeur au début de cette crise et qui met en cause sa gestion par le chef de l’État fédéral. Manifestement cette déclaration a été faite dans le but d’obliger Donald Trump à réagir. Bien sûr, ce qui se jouait alors était déjà une autre dimension, comme on peut l’imaginer en année électorale : la tenue du scrutin de novembre donnera lieu à un bras-de-fer intense entre les gouverneurs et le président des États-Unis, à l’image de celui auquel on a assisté à propos des responsabilités des uns et des autres dans la gestion de la pandémie. Mais, là encore, le point commun est que Newsom n’avait pas intérêt à se fâcher avec l’autorité fédérale, qui lui procurait une logistique plus que nécessaire.

Les conseils donnés par Donald Trump à base d’injections d’eau de javel sont d’une autre nature, à ranger au chapitre des provocations. On ne sait jamais d’ailleurs s’il dit ces choses avec sérieux, en ayant en tête un élément qu’il nous manque pour décoder le tableau général, ou s’il n’a aucune conscience de la portée de ses paroles.  

Généralement, on ne retient de ces épisodes que le trouble intense qu’il a créé : qui peut ainsi dire aujourd’hui quel était l’événement majeur lorsque, par exemple, Donald Trump a déclaré vouloir acheter le Groenland fin août l’année dernière, après avoir évoqué le manque de loyauté des juifs américain la veille, et la possibilité d’utiliser des bombes nucléaires contre les tempêtes, le lendemain ? Où placer sa déclaration durant la même semaine affirmant qu’il est « l’élu de Dieu » ? Et quelle importance y accorder alors qu’il y avait, la même semaine, un G7 de la plus haute importance ? Pour que le tableau soit complet, il faudrait rajouter –toujours la même semaine–, ses déclarations sur son désir de vouloir favoriser le Royaume Uni, de taxer les Européens, de renforcer la pression contre les Iraniens, d’ordonner aux entreprises de ne plus commercer avec les Chinois ou ses interventions dans un débat sur les armes qui déchirait l’Amérique… Trump nous a habitué à être étourdissant, si bien qu’à la fin on ne suit plus rien…

Cela fait plus de trois ans que l’on se demande où tout cela nous mène, que l’on tente de hiérarchiser les informations, de donner un sens à toutes les déclarations, même les plus surprenantes. Mais faut-il vraiment le faire ?

Alors que tirer de ces constatations ? Peut-être l’idée que le monde politicien est réellement décalé de la vie réelle, qu’il y a des masques portés par les uns et des pitreries réalisées par d’autres, en déconnection totale des attentes et des espoirs. C’est assez curieux. On le remarque d’autant plus qu’on a eu une pause de trois ou quatre semaines, alors que la peur du coronavirus avait tout emporté et que le monde politicien ne parvenait plus à s’imposer. Mais on ne peut pas rester enfermé dans la peur et tout reprend vite sa place. Cela a été assez étonnant de voir ressurgir les querelles des uns et des autres. Mais on oubliera vite qu’il y a eu une pause, pendant quelques jours.

Ces personnalités risque-tout sont-elles - au contraire - en train de gagner en assurance et en adhésion dans le monde post-confinement ? Si oui, de quelles façons ? Les discours nationalistes et tournés vers l'extérieur de Donald Trump sont-ils un cache-misère de ce qu'il se passe à l'intérieur du pays ?

Emmanuel Lincot : L’homme d’Etat, ce n’est pas seulement la rencontre d’un individu et d’une histoire, c’est d’abord et avant tout le produit d’une société et d’un certain état de la technique. Deux exemples historiques, quoique diamétralement opposés par le caractère de ces personnalités: De Gaulle et l’Ayattolah Khomeini. L’un comme l’autre naissent à la politique en rencontrant pour le premier un micro et pour le second un enregistreur de cassettes. Leur prise respective  du pouvoir se fait d’abord par la conquête des ondes. Les dirigeants d’aujourd’hui sont les produits d’un autre système: la cybercratie. Communiquer par les réseaux sociaux, les utiliser, les instrumentaliser revient 
à contrôler les opinions. Mais le principe demeure toujours le même. Celui qui a le pouvoir est celui qui maîtrise la psychologie des foules

Jean-Eric Branaa : Je ne pense pas que la crise a changé quoi que soit dans les rapports de force ou dans les attitudes. 

Au plus fort de la crise, on a pu observer un désir de concorde générale : c’est le moment où on a parlé de ralliement au drapeau », de patriotisme, d’esprit civique, ou d’envie d’amour ou de bienveillance, comme on souhaitera l’exprimer suivant le ressenti de chacun. Cela s’est manifesté par la reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui sont en première ligne, avec des applaudissements tous les soirs, par des partages très divers sur les réseaux sociaux, des initiatives plus généreuses les unes que les autres et bien d’autres choses encore… 

Mais tout cela s’évanouit déjà, alors que le déconfinement commence à peine dans certains États, et qu’il n’est toujours pas à l’ordre du jour dans d’autres.

Dès les premiers échanges politiciens entre Trump et Biden, il y a eu une sorte de signal, qui a libéré des énergies plus profondes : le souvenir qu’on est en année électorale a bondi à la surface et les groupes les plus engagés se sont très vite remis en action. 

Les manifestations anti-confinement en sont une traduction, visible et brutale, parce que des groupes organisés ou plus spontanés ont fait parler d’eux dans tout le pays. Mais il y en a beaucoup d’autres, avec la reprise des oppositions désormais traditionnelles entre les deux camps, chacun cherchant à faire avancer sa cause tout en dénigrant le discours de l’opposant. 

Cette situation de retour rapide à une « normalité » ne laisse pas de place à un discours nouveau de la part de Donald Trump, qui poursuit sur la même lancée. Son discours n’est pas plus nationaliste qu’avant, et les aspects nationalistes n’ont pas pour fonction de cacher quoi que ce soit : ils ont toujours la même vocation d’être un ciment pour son électorat mais ils servent aussi toujours autant de repoussoir puissant pour les démocrates. Ce n’est pas forcément la chose la plus maligne à faire, électoralement parlant, pour le président sortant, car il doit maintenant élargir sa base. Mais c’était nécessaire, parce qu’un effritement était indéniablement présent, et accompagnait un début de remise en cause de sa gestion de la crise, au sein même de son propre camp. 

Il a réussi à surmonter ce premier écueil et à remettre à peu près tout le monde sur les mêmes rails. Il a aussi compris en même temps que la sortie de confinement sera la véritable épreuve qu’il lui faudra affronter et qu’il sera en première ligne face aux mécontents, aux malheureux et à celles et ceux qui souffriront : sa volte-face dans son soutien au gouverneur de la Georgie qui a déconfiné dès vendredi dernier en est l’illustration : Trump commence à ouvrir son parapluie.

Comment palier cette crise des gouvernants ? Qu'en est-il en Europe ? Sommes-nous mieux lotis ?

Emmanuel Lincot : Vos questions sont à la fois très actuelles est très anciennes. Carl Schmitt déjà en son temps se posait la plus importante de ces questions sur un mode différent : « qui contrôle les élites ? » Elle n’a jamais trouvé de réponse définitive. En revanche, je peux vous assurer pour avoir vécu longtemps en Chine ou pour avoir été maintes fois en Iran que nous sommes en tant qu’Européens infiniment mieux lotis. C’est dans l’écart que l’on comprend mieux ce que l’on est. Et lorsque nous serons sortis de cette crise de Covid19,  nous n’apprécierons que mieux notre différence en tant qu’Européens.

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