French Touch : petit portrait de la France du 21eme siècle à travers nos meilleurs succès à l’export<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Daft Punk arrivent sur le tapis rouge des 56e Grammy Awards au Staples Center de Los Angeles. Les deux artistes ont annoncé leur séparation. French touch
Les Daft Punk arrivent sur le tapis rouge des 56e Grammy Awards au Staples Center de Los Angeles. Les deux artistes ont annoncé leur séparation. French touch
©ROBYN BECK / AFP

Daft Punk, c’est comme Capri

L'annonce de la fin de la collaboration artistique entre les deux DJ du groupe Daft Punk a suscité beaucoup de réactions à travers la planète. La culture française est-elle toujours aussi présente et influente à travers le monde ?

Alexandre Michelin

Alexandre Michelin

Alexandre Michelin est un entrepreneur et un homme de média engagé.

Il a exercé ses talents comme directeur général de l'antenne de PARIS PREMIERE, directeur des programmes et des services du groupe CANAL+, directeur de l'antenne et des programmes de FRANCE5, directeur général de MICROSOFT Europe, Afrique et Moyen-Orient, candidat à la présidence de FRANCE TELEVISION en 2015, et comme directeur général de SPICEE, plateforme de diffusion de documentaires et grands reportages.

Citoyen engagé, il est successivement Président du Fonds Image de la Diversité du CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) et du Commissariat Général à l’Égalité des Territoires de 2006 à 2015, puis devient de 2016 à 2018, Membre du Collège de la Diversité auprès du Ministère de la Culture & de la Communication.  

 

En parallèle de ses fonctions, il dirige de 2010 à 2015 un cycle de conférences à l'Institut d'Études Politiques de Paris dans le cadre de l’école de la communication, et enseigne depuis 2010 en Master 2 Pro « Digital Média Cinéma » (à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne).

Agent de la transformation numérique, il participe à la révolution des médias immersifs et fonde en 2018 NOV-e (Fonds d’investissements et acteur engagé de la transformation des industries culturelles et créatives).

Il est depuis juin 2020, Président de la commission Cinéma de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie).

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Atlantico : La séparation de Daft Punk a fait réagir le monde entier, est-ce le signe d'une influence et d'une résonance toujours présente de la culture française dans le monde ? Comment se traduit-elle en termes d'exportations culturelles ?

Alexandre Michelin : Daft Punk a été créé par deux français qui avait une quinzaine d’années lorsqu’ils se sont rencontrés et aujourd’hui qui sont proches de la cinquantaine. C’est un succès de longévité et qui est devenu un succès mondial. On le voit Daft Punk ce sont deux individus, bien insérés dans le monde de la musique en termes de créativité mais aussi en termes de business (d’ailleurs Thomas Bangalter un des membres des Daft Punk est le fils d’un grand professionnel de la musique, il y a baigné durant toute son enfance).

C’est une mondialisation réussie à partir du succès de la musique électro française auquel les Daft Punk ont véritablement participé, ce que l’on a appelé après la French Touch qui a porté des DJ célèbres comme David Guetta. Et tant d’autres…Un succès qui ne l’oublions pas, a été précédé par le succès de Jean-Michel Jarre.

Les Daft Punk ont la particularité d’avoir produit un mix très personnel et se sont très vite affranchis des règles de la musique française… Ils ne chantaient pas en français, ils n’ont d’ailleurs pas bénéficié des quotas de diffusion de la musique française. On peut même affirmer qu’ils se sont développés en sortant même du périmètre de la musique française.

Ils ont d’ailleurs été très longtemps en conflit avec la SACEM et sont partis vivre à l’étranger, en étant enregistrés sur une société de droit anglais.

Les règles du jeu français ont été bouleversées par la transformation de toute l’industrie de la musique et les Daft Punk incarnent quelque chose d’unique dans la qualité et la créativité. Ce savoir-faire est déjà très différent des standards américains et anglais, même si c’est l’Angleterre qui a d’abord reconnu en premier le style et fait le succès des Daft Punk dans le monde anglo-saxon.

Ce n’est donc pas le fruit d’une influence de la culture française mais plutôt le résultat de l’influence européenne des DJ anglais et de l'électro allemande héritière de Kraftwerk et du disco européen avec Giorgio Moroder.

Quels sont les domaines dans lesquels la France exporte le plus de produits culturels et dans quelles destinations se dirigent-ils ? Que disent-ils de notre image à l'étranger ?

Il y a évidemment, les produits culturels "nobles" auxquels on pense de suite, les livres, la musique ou bien l’image que génèrent le tourisme, l’art de vivre, la mode française que l’on pourrait identifier au "soft power français".  Il est un indéniable qu’à travers le groupe LVMH ou Kerring  qui incarnent le luxe à la française, qui a une composante culturelle, la France rayonne dans le monde

Mais il existe également un autre domaine qui n’est pas forcement considéré comme culturel qui connait un véritable succès à mondial, c’est le jeu vidéo.

Il ne faut pas oublier que la première industrie du divertissement dans le monde, loin devant le cinéma, la musique, c’est le jeu vidéo : 160 milliards de dollars de CA en 2020 et là les français brillent. Si, le marché français est de l’ordre de 5 milliards, il y a de grands acteurs comme français, comme Ubisoft ou Gameloft (Vivendi) qui sont à la fois des producteurs et des éditeurs. Aujourd’hui, ils fabriquent parmi les plus grands jeux vidéo au monde, les licences les plus populaires comme par exemple "Assassin's Creed".

Sur ce marché, il y a vraie originalité française. Ces entreprises françaises souffrent souvent des mêmes maux que le reste de notre économie : insuffisance de fonds propres et problèmes de financement de la croissance, Mais, elles restent fortes à l’export sont reconnues dans la culture populaire et jeune mondiale l’international.

Notamment une "licorne" française qui s’appelle Voodoo qui est fabrique du jeu pour téléphone mobile et qui a dépassé la valeur du milliard d’euros à 1,2 milliards d’euros de valorisation.  Elle a dans son capital Goldmann Sachs et le chinois Tencent.

L’autre domaine dans lequel la France est extrêmement puissante et exportatrice, c’est l’animation en audiovisuel et en cinéma. C’est un secteur qui s'est développé puissamment à l’international grâce à des coproductions. Une des grandes originalités de la France dans ce domaine, c’est d’avoir eu non seulement des grands créateurs comme les studios « Illuminations Mac Guff»  autour par exemple des "Minions," une coproduction internationale avec Universal Pictures qui est devenue une marque internationale à travers la série de films les Minions

La France exporte grâce à son écosystème autours du festival international d’Annecy, 1ère plateforme mondiale de l’industrie l’animation où se retrouvent l’ensemble de la chaine de création de valeur. Au festival d’animation d’Annecy, on croise les plus grandes sociétés d’animation de la planète. Elles sont présentes ainsi que leurs prestataires techniques, mais aussi l’environnement financier. Les studios américains viennent de plus recruter les créateurs français qui ont fait de grandes écoles créatives et techniques, reconnues mondialement comme les Gobelins ou Louis Lumière.

Grâce au secteur de l'animation, nous avons en France une production culturelle qui fait le tour du monde et qui est reconnue mondialement.  Nous sommes reconnus pour notre capacité à créer des produits sophistiqués, des produits d’exceptions, des produits qui ont nécessité la formation de créateurs, de graphistes de très haut niveau… La France est réputée aussi pour ces créateurs exceptionnels là.

On le voit bien, il y a des grandes réussites mais pas nécessairement dans les domaines de la culture classique.

En termes d’exportation, c’est vraiment la culture populaire, les jeux vidéo, l’animation qui dominent loin devant tous les autres secteurs de la culture, le cinéma, le livre, la musique parce qu'économiquement ce qui résonne dans le monde, c’est la puissance et les engouements de la jeunesse avec le jeu vidéo et l’animation.

La France n’a pas construit de géant de l'édition comme l’on fait les américains ou les asiatiques, à l’exception du très grand éditeur Ubisoft. Elle est même en recul sur de nombreuses industries car elle ne mobilise pas les capacités financières suffisantes pour accompagner au développement des programmes couteux ou des contenus. Il semble que la stratégie de Vivendi en Europe du sud se soit heurtée a des résistances profondes par exemple en Italie 

Fait remarquable, l’industrie du Cinéma français est en progression à l’exportation (avec 45 millions d’entrées à l’international en 2019 et 373 millions d'euro de recettes d’exportation (source CNC), grâce notamment à des succès de co-production) mais ne dispose pas de la puissance économique du jeu vidéo. On le voit à l’export en France, il existe une véritable distorsion entre la perception que l’on a de l’influence de ces arts et ces médias et la réalité économique qui est mesurée années après années.

Quelles sont selon vous les perspectives d'avenir en termes de production culturelle française pour sa diffusion et son exportation dans le monde ?

Les perspectives sont paradoxales. Il y a par exemple, le groupe Banijay qui par sa stratégie d'acquisitions a la capacité d’exporter des formats télé dans le monde entier. Et bien sûr le conglomérat Vivendi à travers la musique, à travers sa filiale Vivendi Musique qui vient d’être mise en bourse et qui a été valorisée 77 milliards de dollars là encore avec le chinois Tencent .

Et puis, il y a un avenir pour ces nouvelles industries créatives et culturelles qui constitueront la filière Immersive, liée à la création d’images en réalité augmentée, en réalité virtuelle, grâce à la convergence puissante de l’Intelligence Artificielle, du cloud computing et de la 5G. C’est un marché, sur lequel la France a pris de l’avance et tout l’enjeu de cela va être de savoir si nous est capable de créer de l'activité avec un écosystème ouvert à l'international à l’instar de celui du jeu vidéo ou de l’animation.

Un éco système dans lequel on retrouve de la capacité de création, de la capacité de production et peut-être 1 ou 2 éditeurs français de taille mondiale qui vont savoir exploiter la qualité du contenu ainsi que la qualité des expériences pour pouvoir les exporter. Comme l'ont montré Culture Espace avec l'Atelier des lumières qui s'exporte dans le monde notamment en Corée ou la nouvelle filiale "Grand Palais Immersif" que lancent avec le soutien du Plan Investissements d'Avenir de la Caisse des dépôts et de Vinci Immobilier, la Réunion de Musées Nationaux.  

Il faut donc accepter l’idée que tout en étant un acteur important la France, notre industrie culturelle fait figure de puissance économique moyenne.

Il y a une leçon à tirer du succès des Daft Punk ; c’est qu’il est possible pour des entrepreneurs créatifs français, de s’imposer, mais il va falloir une forte adaptation au marché mondial.

Le meilleur symbole de cette adaptation au marché mondial, est aussi celui d’une entreprise "historique" : Gaumont qui est la plus ancienne société d production et de distribution de cinéma et qui sous la direction de Sidonie Dumas est en train de réussir cette transformation, car derrière le succès de la série "Lupin" deuxième série la plus visionnée sur Netflix 70 millions d'abonnés, il y a Gaumont Télévision

Les 70 millions de téléspectateurs de Lupin (Gaumont) sur Netflix qui ont découvert Omar Sy, ou encore le Bureau des Légendes (Fédération Entertainment Les oligarques restent de brillantes exceptions ! Ces succès témoignent pour l’industrie culturelle française qu’il est possible avec de l’audace, de l’imagination de s’exporter, d’avoir une réussite économique et culturelle importante.

En modernisant et en revisitant des classiques et en les mettant au goût du jour de la mondialisation il est possible de réussir. Voilà l'héritage que nous laisse Daft Punk.

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