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Fraude fiscale : l'Etat en est-il le premier complice ?
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Magouilles au sommet

L'affaire Cahuzac met en lumière l'hypocrisie qui peut exister dans les plus hautes sphères de l'Etat. C'est maintenant au tour du trésorier de campagne de François Hollande d'être dans le collimateur médiatique et judiciaire.

Roger  Lenglet

Roger Lenglet

Roger Lenglet est un philosophe français et journaliste d'investigation. Il a écrit plusieurs livre sur les lobbies. En 2012, il publie avec Olivier Vilain Un pouvoir sous influence - Quand les think tanks confisquent la démocratie chez Armand-Colin. Il est également l'auteur de Lobbying et santé - Comment certains industriels font pression contre l'intérêt général (2009) et profession corrupteur - La France de la corruption, éditions Jean-Claude Gawsewitch (2007).

Son dernier livre est "24 heures sous influences - Comment on nous tue jour après jour" (François Bourin Editeur, avril 2013)

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Atlantico : L’affaire Cahuzac met en lumière l’hypocrisie qui peut être à l’œuvre dans les plus hautes sphères de l’État. A-t-il réellement à cœur de prendre en main la question de la fraude fiscale, ou bien se contente-t-il d’effets d’annonces visant seulement à ménager l’opinion publique ?

Roger Lenglet : Les trésoriers de campagne, qu’il s’agisse de celui de François Hollande, de celui de Nicolas Sarkozy ou des trésoriers qu’utilisent les autres grandes formations politiques sont toujours ceux qui apportent l’argent. Il est grand temps d’avouer que la loi sur le financement des campagnes est contournée depuis qu’elle a vu le jour il y a vingt ans, à l’occasion de l’amnistie des élus ayant détourné de l’argent. L’hypocrisie touche plus largement la question du financement de la vie politique au-delà des élections. C’est seulement par la résolution de ce problème, avec une loi élargie et un contrôle draconien, que les élus pourront enfin sortir de leurs contorsions embarrassées et s’attaquer à la fraude fiscale sans être juges et parties. De même, tant que les conflits d’intérêts et les corrupteurs ne seront pas traqués, les réactions politiques ne seront que des rodomontades cachant les circuits financiers.

Quand on voit le degré de sophistication des fraudes et la complaisance de certaines places financières, on peut se demander si l’État a seulement la capacité de s’attaquer véritablement à la fraude fiscale. L’affaire Cahuzac est-elle l’aveu d'une réelle impuissance publique ou la preuve que quand cela l'arrange, l'administration fiscale préfère regarder ailleurs ? Peut-on aller jusqu'à imaginer que certaines consignes pourraient être passées en ce sens ?

L’État possède la capacité de s’attaquer à la fraude, c’est le décideur politique qui manque de volonté. À nous de le pousser dans le bon sens, par exemple en nous intéressant plus à cet aspect dans les différents programmes politiques. Cette affaire apporte, bien sûr, l’illustration que l’administration fiscale porte d’étranges lunettes qui la font souffrir d’une myopie sélective, mais on peut l’obliger à en changer, notamment en mettant un terme définitif à la nomination de ministres de tutelle ayant des conflits d’intérêt. Nous n’y parviendra qu’avec des sanctions vraiment dissuasives contre les fausses déclarations d’intérêts et contre les corrupteurs (toujours trop peu inquiétés dans ces affaires). Nous réussirons ainsi à mettre un terme à leurs injonctions inavouables sur les fonctionnaires du fisc, à condition de veiller également à briser certains réseaux d’influence et de rendre plus étanche la limite entre ce ministère public et les grands acteurs privés.

Dans ce contexte, l'annonce de Pierre Moscovici sur la mise en place d’un système "d’échange d’informations automatique" au niveau européen peut-elle être crédible ? Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt et pourquoi cela serait-il appliqué ?

Que les décideurs politiques ne l’aient pas  fait plus tôt s’explique très bien : sur le sujet, ils n’avancent qu’à reculons, lorsqu’ils sont obligés de la faire sous la pression de l’opinion publique. C’est d’ailleurs aussi l’opinion publique que décidera de la suite si elle ne relâche pas son attention et maintient son indignation. Nous traversons une occasion historique de changer les choses en matière de corruption, de fraude et d’évasion fiscale, il ne faut pas l’opinion se contentent de demi mesures ni d’une gestion de crise qui se limiterait à des effets d’annonce.

Le système qu’annonce Pierre Moscovici devrait élargir le principe d’un échange d’information qui existe déjà depuis le 1er janvier 2010 et l’adoption par la Suisse en 2009 des standards de l’OCDE contre la fraude fiscale. Une disposition prévoit même que toute personne apportant de l’aide à un particulier pour frauder l’impôt soit tenu pour un délinquant passible de sanctions. La justice devra s’appliquer contre ceux qui ont aidé Jérôme Cahuzac et dont nous connaissons certains noms.

Quelles pourraient être les conséquences de ce climat de suspicion à l'égard de l'administration fiscale ? Comment inverser la tendance ?

Ce climat de suspicion n’est pas nouveau mais il s’est dramatiquement aggravé. La défiance qui en découle vis-à-vis de l’État entraîne les pires confusions et peut finir par décrédibiliser le principe même de la régulation et du contrôle fiscal. Il est impératif de réformer Bercy pour que ses services de contrôle disposent de plus d’indépendance pour aller au fond des dossiers et que le public puisse juger en toute transparence des décisions que leur impose le ministre pour orienter leur travail, fixer des priorités, etc. Hier Eric Woerth et aujourd’hui Jérôme Cahuzac ont manifestement veillé à ce que certaines investigations ne soient pas menées, au-delà même des soutiens qu’ils se sont mutuellement apportés. Je sais aussi que certains douaniers se sont plaint en interne de pratiques de corruption au sein de leur service et qu’ils ont été neutralisés, réprimés ou mutés, avec l’aval de ces ministres alors qu’ils auraient du être honorés. Je pense en particulier aux dérives dénoncées par l’agent principal des douanes Jean-Paul Viretto-Cit, que ces ministres ont accablés jusqu’à aujourd’hui. On a l’impression que ces ministres se sont plus souciés de calmer les douanes que de les écouter. On verra si Bernard Caseneuve, le remplaçant de Jérôme Cahuzac, se montre plus attentif.

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