François Mitterrand : le cynisme triomphant<!-- --> | Atlantico.fr
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Homme de droite, il a porté le Parti socialiste à un niveau de pouvoir jamais atteint.
Homme de droite, il a porté le Parti socialiste à un niveau de pouvoir jamais atteint.
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30ème anniversaire du 10 mai 1981

Alors que le 30ème anniversaire de l'élection de François Mitterrand est célébré ce mardi 10 mai, l'historien Christophe Prochasson, socialiste, livre un hommage acerbe sur le seul président de gauche de la Ve République.

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson est historien et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Derniers ouvrages parus : L’empire des émotions. Les historiens dans la mêlée (Demopolis, 2008), 14-18. Retours d’ expérience  (Tallandier, 2008) et La gauche est-elle morale ? (Flammarion, 2010).

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Jean Jaurès et Léon Blum, d’un côté, Guy Mollet et François Mitterrand de l’autre ? Ce regroupement grinçant a de quoi faire réfléchir sur l’histoire ambivalente du socialisme à la française : son désir d’incarnation dans des personnalités, sa relation complexe au pouvoir, son goût pour les hommes de culture et les professeurs. 

Mitterrand illustre au plus net cet héritage qu’il a su si bien cultiver. Homme de droite, ayant porté le Parti socialiste à un niveau de pouvoir jamais atteint et pour une durée exceptionnelle, il demeure pour beaucoup de socialistes un exemple à suivre. Comment ne pas les comprendre ? Son habileté tactique et son talent personnel ont conduit à l’échec tous les « droits d’inventaire » réclamés par quelques successeurs, comme si la fascination exercée par le personnage épuisait tout jugement politique un tant soit peu lucide. N’était-il pas facile aussi d’opposer la réussite de Mitterrand ayant conduit la gauche au pouvoir quand d’autres l’enfonçaient dans l’impuissance de l’opposition ? Cette incapacité à assumer la critique du mitterrandisme a contribué à engourdir les socialistes dans la nostalgie de leurs vieux souvenirs. On préfère souvent célébrer le passé qu’y réfléchir. Les socialistes auraient pourtant intérêt à regarder bien en face le bilan des deux septennats, au-delà de quelques réussites peu contestables, et à abandonner à quelques vieux barons qui font aujourd’hui le déshonneur de la famille le charme du romanesque mitterrandien.

Quels furent les trois grands maux du mitterrandisme qui encombrent aujourd’hui la gauche française en en brouillant l’identité ?

François Mitterrand a fait du cynisme une politique et du revirement non avoué un art de gouvernement. Après avoir dénoncé les institutions de la Ve République, non seulement le nouveau Président s’y conforma avec une application de bon élève mais travailla sans relâche à la personnification d’un pouvoir adossé au « coup d’Etat permanent » qu’il avait jadis lui-même fustigé avec verve.

Sa pratique corruptrice du pouvoir nourrit toutes sortes de liens de dépendance personnelle, clientélismes et acquiescements serviles au fait du prince quand le « peuple de gauche » était en droit d’attendre, dans la fidélité à la formule d’affiches de campagnes exposées en 1981, que le nouveau souverain ne s’emparât du pouvoir que « pour le rendre ». Elu sur un programme de « rupture avec le capitalisme », ou, pour les moins disant, avec la volonté de le transformer en instillant plus de justice, François Mitterrand rompit avec la rupture pour engager la France dès 1983 dans la voie d’un libéralisme bientôt aussi mal tempéré que la politique de nationalisations l’avait été quelques mois auparavant. Ce changement de ligne, avancé comme une « parenthèse », une NEP en dégradé qui n’osait dire son nom, ne fut ni assumé ni pensé. La gauche manqua ainsi son aggiornamento idéologique alors qu’elle fit ses preuves comme force de gouvernement.

François Mitterrand enfin ne donna pas non plus à la gauche la politique extérieure qu’il lui devait. Sa politique africaine demeura dans les ornières de la « Françafrique». Pour solde de tout compte, son européanisme fut timide, limité par une conception datée de la nation comme l’attestèrent ses réactions à contretemps face à la fin de l’Union soviétique ou devant la réunification de l’Allemagne. Il échoua à faire de l’Europe la grande cause d’un socialisme modernisé. 

Karl Marx disait des Français qu’ils souffraient du ressassement des « vieux souvenirs » auxquels ils vouaient, ajoutait-il, un « culte réactionnaire ». Mitterrand, héros du verbe, a entretenu les socialistes dans leurs mythes, comme De Gaulle, son principal adversaire devant l’Histoire, l’avait fait pour l’ensemble des Français. L’un et l’autre ont maintenu artificiellement vivantes des histoires entrées en agonie, la révolution socialiste pour le premier, la Grande Nation pour le second. De l’épique, les deux hommes, pénétrés par un sentiment national d’un autre temps, firent une politique, quand les drapeaux que chacun agitait ne célébraient plus que deux astres morts.

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