François Hollande veut une ligne patriote et sociale pour gagner en 2017 : mais comment construire un véritable discours là-dessus qui permette de se démarquer de Nicolas Sarkozy ou de Marine Le Pen… ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande semble lentement distiller sa stratégie en vue de l'horizon 2017.
François Hollande semble lentement distiller sa stratégie en vue de l'horizon 2017.
©Reuters

Moi, (encore) président ...

François Hollande, qui a déjà les élections de 2017 à l'esprit, s'efforce de renouveler son discours en agitant la fibre nationale et patriotique. Mais à ratisser trop large, le président risque de déstabiliser une partie de ses électeurs.

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Atlantico : Au fil des discours et des conférences, François Hollande semble lentement distiller sa stratégie en vue de l'horizon 2017, évoquant fréquemment des termes tels que "patriote", "social", le tout en rappelant le besoin "d'aimer la France". Faut-il voir dans ces timides déclarations le début d'un glissement idéologique ?

Philippe Braud : Glissement idéologique sur le terrain du national ? Je ne pense pas si, du moins, l’on conserve au mot idéologie son sens originel d’une vision historique fortement cohérente, ce qui signifierait ici axée sur la souveraineté nationale et l’exaltation des valeurs patriotiques. Il vaudrait mieux parler de simples « mots-marqueurs » destinés à élargir la capacité d’attraction de la majorité actuelle. Dans la perspective d’une échéance électorale majeure comme la présidentielle de 2017, le chef de l’État, en bon jardinier de son camp, ne peut se désintéresser du souci de ratisser large.

Puisque l’Europe est devenue un bouc-émissaire commode, il est de bonne guerre de vouloir rassurer les couches sociales les plus menacées par la globalisation, en affichant un vocabulaire plus « national », comme si les solutions des maux engendrés par la crise actuelle passaient par le repli sur la souveraineté française, alors que, dans la pratique, nos dirigeants, aussi bien Nicolas Sarkozy que François Hollande, savent pertinemment qu’elle passent au contraire par une intégration européenne plus poussée (cf. les projets d’Union bancaire et de mutualisation discrète de la dette publique). En revanche, sur le terrain de l’économie, le tournant est clair. Il était déjà inscrit dans les faits depuis longtemps mais encore masqué dans les mots, notamment lors des campagnes électorales. Or depuis la dernière conférence de presse du Président, il est désormais assumé au niveau rhétorique. L’identité idéologique demeure le socialisme, mais, en dehors d’une « sensibilité sociale », son contenu historique s’est à peu près totalement délité.

Le penseur Emmanuel Todd avait théorisé en 2012 l'idée d'un "mitterrandisme inversé" pour le quinquennat Hollande, qui a débuté dans la rigueur économique et s'achèverait par une ligne très sociale. Est-on en train d'assister à ce fameux revirement actuellement ?

Je ne crois pas. En 1981, François Mitterrand et le gouvernement Mauroy s’étaient engagés dans une politique à contre-courant des tendances de la construction européenne, c’est-à-dire : plus d’interventionnisme étatique, plus d’entreprises publiques, alors que tous nos partenaires européens avaient clairement fait le choix inverse du marché et de la libre concurrence, dès la fondation de l’Europe. Cette divergence était à terme insurmontable. Au bout de deux ans, devant la catastrophe financière et économique qui s’annonçait, François Mitterrand a procédé à un changement de pied radical afin d’éviter la marginalisation de la France ou l’implosion de l’Europe. S’il existe une certaine similitude entre 1981 et 2012, c’est dans le fait que les socialistes se sont fait élire avec un programme électoralement gagnant, mais impraticable au pouvoir. La construction européenne étant moins avancée il y a trente ans, la rhétorique a pu être davantage de « rupture », et le fourvoiement dans les actes durer deux ans. Au contraire, la campagne de François Hollande est allée beaucoup moins loin dans l’affichage de promesses incompatibles avec la cohésion européenne ; de même, la politique mise en œuvre à son arrivée au pouvoir est restée très mesurée, en dépit de quelques tensions avec l’Allemagne et la Commission européenne. En d’autres termes, si le revirement sous Mitterrand a été spectaculaire, dans le cas Hollande c’est surtout sa rhétorique récente qui manifeste un infléchissement important. En fait, avec hésitation et timidité, il s’est en gros inscrit, dès les premiers mois de son quinquennat dans la politique d’austérité prônée par l’UE, le FMI et… les marchés.

Cette ligne patriote et sociale devrait toutefois trouver son lot de prétendants, entre un Nicolas Sarkozy qui semble n'avoir pas renié la "stratégie Buisson" et une Marine Le Pen qui a mené au sein de son parti une petite révolution économique gaulliste au détriment de l'ultra libéralisme de son père. Comment la gauche peut-elle investir cette ligne sans risquer de provoquer un "embouteillage idéologique" ?

Si l’embouteillage des mots existe, il peut gêner surtout ceux dont la ligne patriote (donc tendanciellement anti-européenne) est ancrée dans un socle de convictions profondes. Car la rhétorique « nationale » de tous les autres partis tend à brouiller leur message. Ceci étant, les conséquences programmatiques de la ligne vraiment patriote sont tellement irréalistes et ses effets prévisibles tellement menaçants (crise du couple franco-allemand, sortie de l’euro, risque de réveiller le nationalisme outre-Rhin, voire sortie de l’UE, etc…), qu’elles empêcheront aussi bien la gauche au pouvoir que la droite de gouvernement d’aller très loin dans ce sens. Du moins concrètement, ce qui conduira à modérer leur discours.

Au-delà des mots et de la posture politique, quel programme François Hollande peut-il construite afin de coller à l'évolution qui semble se dessiner ? De quelles personnalités pourra t-elle se réclamer : Clémenceau, Jaurès ?

Si j’étais conseiller en communication électorale de François Hollande, je l’approuverais, bien sûr, d’utiliser les mots qui plaisent aux Français (quoique chez les plus jeunes et chez les Français issus de l’immigration, l’écho du vocabulaire « national » soit plutôt  faible). Mais plus sérieusement, je lui suggèrerais de tirer parti de son impopularité actuelle pour entreprendre le grand choc de compétitivité (et le travail d’explication pédagogique de sa nécessité), en promettant dans l’immédiat « des sacrifices et des larmes ». Les Français peuvent entendre ce langage énergique, et même s’il n’en recueillait pas les dividendes dès 2017, il entrerait dans l’Histoire comme celui qui a rompu avec les errements et atermoiements, grands responsables du niveau de chômage, et, au-delà, du déclin programmé de la France.

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