François Hollande, un an après (et à la veille d’un tournant ?) : le bilan de sa politique économique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
François Hollande reçoit ce lundi les représentants des groupes de travail des Assises de l'entrepreneuriat.
François Hollande reçoit ce lundi les représentants des groupes de travail des Assises de l'entrepreneuriat.
©Reuters

Anniversaire

François Hollande, au pouvoir depuis près d'un an, reçoit ce lundi les représentants des groupes de travail des Assises de l'entrepreneuriat. Il fait face à une forte défiance vis-à-vis de sa politique économique, tant au niveau des entreprises qu'au niveau de l'Etat.

Éric Verhaeghe et Alain Fabre

Éric Verhaeghe et Alain Fabre

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr. Il est diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I.

Alain Fabre est à la tête d’une société indépendante de conseil financier aux entreprises. Il a commencé sa carrière comme économiste à la Banque de France avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et Consignations, puis la Cie Financière Edmond de Rothschild.

 

Voir la bio »

Atlantico : Alors que le gouvernement approche de son premier anniversaire au pouvoir, François Hollande reçoit ce lundi les représentants des groupes de travail des Assises de l'entrepreneuriat. Quel bilan pouvons-nous tirer de son action économique aux plans macro et microéconomique ?

Eric Verhaeghe : Celui d'une grande incertitude, et je ne surprendrai personne en disant cela. L'action de François Hollande vis-à-vis de l'entreprise est d'abord velléitaire et ensuite tournée vers la grande entreprise.

Velléitaire parce que le gouvernement oscille entre une augmentation des impôts et des réductions fiscales, entre un soutien à l'industrie et une relance du libre-échange, une politique de l'offre et une politique de la demande, une réduction budgétaire et une étrange nonchalance sur la réforme de l'Etat, qui devrait permettre de baisser les dépenses publiques. Ce magma insécurise les acteurs économiques qui sont aujourd'hui incapable d'anticiper le sens de l'action publique.

Tournée vers la grande entreprise ensuite, parce que le gouvernement méconnaît profondément le nouveau modèle de croissance porté par les start-up, et ne connaît que les grands machins où espèrent se faire recruter les conseillers de cabinet ministériel. Le CICE par exemple est une mesure compliquée et technocratique, calibrée pour les grandes entreprises fortement staffées, mais totalement opaque pour les PME et les TPE.

Alain Fabre : Le bilan économique de François Hollande au bout d’un an de mandat est un échec total et cinglant, qui n’est à imputer qu’à la politique suivie depuis son élection. Pas un domaine n’échappe au blâme le plus sévère. Ce qui traumatise les Français, entrepreneurs ou non, ce n’est pas que le pays soit confronté à une crise grave, c’est que le gouvernement refuse de se donner les moyens de la résoudre. Le diagnostic de la crise est entièrement faux : les socialistes continuent à penser que la crise provient d’une insuffisance de la demande globale selon l’approche néo-keynésienne traditionnelle. Ravis de pouvoir faire coïncider stratégie économique et clientélisme électoral, ils on réactivé, dans des proportions moindres qu’en 1981 il est vrai, la relance de la consommation par la dépense publique : hausse des allocations de rentrée, retour à la retraite à 60 ans pour une partie des salariés, recrutement de fonctionnaires à l’Education nationale.

Au total, comme l’a souligné Jacques Attali lui-même, la rigueur dont on voudrait se défaire est une plaisanterie puisque les dépenses ont augmenté et qu’elles continuent à progresser. Les exigences de la « rigueur » ont donné aux socialistes le prétexte idéal pour frapper durement les « riches », ce qui est censé financer la consommation des « défavorisés » réputés, dans la vulgate néo-keynésienne, avoir une propension à consommer supérieure aux « riches ».

En fait, les socialistes ont frappé tout le monde, notamment avec la suppression de la détaxation des heures supplémentaires. Le matraquage fiscal met à genoux les entreprises alors que la crise les a déjà beaucoup affaiblies depuis 2009. La profitabilité des entreprises est au plus bas depuis trente ans ; elles n’ont quasiment plus les moyens d’innover et d’investir. Le processus de contraction du système productif s’est amplifié avec des faillites record, notamment des grosses PME qui sont la clé de la croissance. Le résultat est un désastre économique et social comme la France n’en a pas connu depuis la guerre. L’économie s’écroule et le chômage de masse explose.

Quand on compare la politique française, non seulement à celle de l’Allemagne mais aussi à celle l’Espagne où les entreprises ont rétabli leur profitabilité, l’échec total de François Hollande n’est que plus manifeste. Non seulement il n’a pas réduit les défauts du modèle français qui ne sont pas apparus sous son quinquennat, mais il les a amplifiés. En prime, la politique française met désormais en danger la zone euro dans son ensemble, car les avancées fédérales reposent sur la solidarité financière de la France et de l’Allemagne qui détiennent la moitié du capital de la BCE et des fonds de secours. L’Allemagne ne peut pas assumer seule l’équilibre de l’ensemble; la France pénalise également les efforts extraordinaires de nos voisins pour redresser leurs comptes et leur économie par l’effet dépressif de sa politique sur l’ensemble de la zone euro. La France se soustrait à ses responsabilités européennes en suivant la politique Hollande. Il n’est donc pas surprenant que l’Allemagne se tourne vers le Royaume-Uni ou la Pologne pour assurer l’équilibre européen. Si la zone euro disparaissait, ce serait probablement autour de relations fortes anglo-allemandes ou/et germano-polonaises que l’Europe se reconstruirait.

Quelle est la meilleure décision économique prise par le gouvernement ? A contrario, quelle est la plus mauvaise décision selon vous ?

Eric Verhaeghe : La pire décision est probablement la suppression du prélèvement libératoire sur les dividendes. Décision technique mais capitale pour les entrepreneurs. En apparence, c'est une mesure juste : le capital est taxé de la même façon que le travail. De fait, pour ceux qui héritent un portefeuille d'actions sans travailler, cette mesure ne me choque pas. En revanche, c'est une mesure cataclysmique pour les entrepreneurs qui sacrifient la rémunération de leur travail pour vivre de leurs dividendes. En modifiant brutalement l'équilibre qui s'était instauré depuis plusieurs années, notamment dans la nouvelle économie productrice de croissance, le gouvernement a dissuadé beaucoup d'innovateurs de développer leur activité en France: les marges fiscales y sont maintenant si réduites qu'il n'est plus rentable d'investir sur des activités risquées.  

Je cherche la meilleure décision économique prise par le gouvernement. Si elle existe, elle a été très mal expliquée.

Alain Fabre : C’est indiscutablement le soutien du gouvernement à l’accord signé par les partenaires sociaux en janvier 2013. Au fond, la France a repris la méthode allemande : on laisse les partenaires sociaux définir les règles du travail. C’est une méthode que les Italiens ont repris également avec un accord semblable signé en novembre 2012 sous l’impulsion de Mario Monti. En principe, la flexibilité permise par l’accord entre partenaires sociaux et la loi emploi, devraient favoriser le fonctionnement des entreprises. En revanche le matraquage fiscal stérilisera certainement ses avantages. Une politique, c’est un ensemble. Une bonne mesure peut se révéler inefficace parce que l’ensemble dans laquelle elle prend place est incohérent ou contre-productif.

Je voudrais dire un mot également du crédit d’impôt entreprises (CICE). Il pourrait relever d’une prise de conscience salutaire et le mot compétitivité pourrait ne plus être tabou au PS. Mais on est dans ce que les Américains appellent un « lip service ». On accepte le mot mais pas la chose. Selon la méthode Hollande parfaitement décrite par Alain Minc, le sujet est abordé comme une concession accordée à un lobby ! Outre son caractère très complexe, le CICE n’est pas une mesure d’allégement du coût du travail mais une mesure de subventions des emplois. Une entreprise en sureffectifs sera davantage aidée qu’une entreprise soucieuse de tenir ses effectifs au plus juste. On est donc loin de la réduction du coût du travail qu’il aurait fallu engager.

Alors que la lutte contre le chômage reste la priorité pour les Français, il vient de battre le triste record de 1997 en nombre absolu avec 3.224.600 demandeurs d'emploi. Le gouvernement se distingue-t-il de ses prédécesseurs sur ce thème ou en recopie-t-il les erreurs ?

Eric Verhaeghe : Le gouvernement reprend à son compte les grands éléments de la politique de l'emploi menée continûment par la droite et la gauche depuis 20 ans : indemnisation et emplois aidés du côté des stratégies passives, baisse des charges du côté des stratégies actives. Il modifie un peu la position du curseur par rapport aux politiques de droite en favorisant les emplois aidés, mais la différence de politique est menue.

A mon sens, on vient surtout le moment de faire un deuil : celui du plein emploi au sens des Trente Glorieuses. L'idée d'une vie professionnelle tout entière passée dans un CDI à temps plein n'a plus de sens aujourd'hui, et ne correspond d'ailleurs plus aux attentes des générations qui arrivent. Se mobiliser pour faire revivre ce mythe est probablement une perte de temps et d'argent. Mieux vaut consolider des évolutions en profondeur sur le marché du travail, où l'intérim, le contrat de mission, le polyemploi, et probablement le revenu universel ont tout leur sens.

Alain Fabre : Tout le chômage en France n’est pas à imputer au gouvernement socialiste ! Mais la dérive des six derniers mois, oui. Outre le fait que le gouvernement a renforcé la charge de la crise sur les entreprises et non sur les ménages comme ailleurs en Europe, il persiste dans une politique d’emplois aidés et un ciblage de l’effort sur les bas salaires. Cette politique a jusqu’ici fait recette aussi à droite. Mais elle est un contre-sens. La rigidité du marché du travail en France atteint désormais des sommets et sa combinaison avec la fragilité accrue des entreprises est à l’origine de l’explosion du chômage. Quand un marché ne s’ajuste pas par les prix, il le fait par les quantités.

Dans une société rongée par la crainte du déclassement, la politique Hollande a durci la dualité du marché du travail. D’un côté les fonctionnaires qui voient leurs garanties renforcées par des mesures comme la suppression du jour de carence, et la protection de leur pouvoir d’achat; et de l’autre, les ouvriers du secteur productif que le gouvernement abandonne délibérément. Les coups de menton d’Arnaud Montebourg n’ont pas résisté à la réalité et les ouvriers de PSA et surtout de Florange – lesquels ont été véritablement trompés par le gouvernement – ou encore ceux de Petroplus, ont été abandonnés à leur sort. Le PS vit dans l’idée d’une société post-industrielle comme le rappelle cruellement la sanctuarisation des 35 heures. La base socio-électorale du PS lui dicte ses choix : les fonctionnaires bobos au lieu des métallos. La cassure entre les deux gauches se situe exactement là.

Le gouvernement semble s'être mis les entrepreneurs à dos, certains s'étant soulevés par le biais du mouvement des "Pigeons". Quelles sont les causes à l'origine de cette rupture ?

Eric Verhaeghe : Les petits marquis au pouvoir ne comprennent rien à l'entreprise et ont le plus profond mépris pour ceux qui la font. L'idée de partir de rien et de bâtir son affaire, lentement, patiemment, à force d'astuce et d'audace est le modèle que déteste l'aristocrate moyen qui peuple les allées ministérielles. L'aristocrate aime la sécurité et l'entre-soi de décisions collectives prises sur les pseudo-vérités entendues dans les salons. La prise de risque, la prise d'initiative est une aberration pour lui. Les Pigeons, c'est la cavalerie légère, le régiment des beaux sabreurs : ils sont le cauchemar vivant des petits marquis qui font les états-majors.

Alain Fabre : Il y a un paradoxe dans cette situation. Mitterrand est arrivé au pouvoir en 1981 sur un projet de rupture avec le capitalisme libéral, pas avec les entreprises. En 1983, après l’abandon des illusions keynésiennes, puis en 1984, après la rupture avec le Parti communiste, la gauche a beaucoup fait pour raviver sa relation avec les entreprises laquelle a connu son apogée sous le second septennat. Pierre Bérégovoy, Jacques Delors ou beaucoup d’autres ont su créer un climat propice avec les entreprises. En 2012, on aurait pu aisément « capitaliser » sur cet héritage. Les « riches » et les « patrons » étaient d’accord pour faire un effort fiscal pour redresser le pays mais pas pour perpétuer le toujours plus de dépenses. D’où la situation actuelle : un véritable divorce. C’est la conversion à la pensée bobo qui me paraît fournir l’explication : le poids électoral des écologistes dans la majorité – une différence importante avec 1981 – et le renforcement du centre de gravité électoral du PS vers des couches sociales assez étrangères au monde de l’entreprise.

En fait le PS s’est progressivement converti à la pensée écolo. Le PS n’a jamais eu de ligne idéologique propre. Dans les années 1970 comme le rappelle le Congrès d’Epinay en 1971, le discours politique était emprunté au PC ; maintenant ce sont les Verts qui construisent le discours du PS, du nucléaire au mariage homo. Cette base électorale a un tel poids dans la construction d’une majorité PS qu’elle dicte au gouvernement sa ligne : décroissance, aversion pour le risque entrepreneurial avec une vraie inversion de la charge de la preuve, comme en matière énergétique (nucléaire, gaz de schiste, etc.). Je crois que le fait politique majeur pour le PS, perceptible depuis au moins dix ans avec l’élimination de Lionel Jospin du second tour présidentiel, c’est la rupture avec le monde ouvrier, c’est-à-dire celui de la production. La pensée économique socialiste est devenue une pensée de la consommation post-industrielle ; elle n’est plus dans la production. On aurait envie d’exhorter le PS à relire Marx – la croissance vient de l’accumulation de capital - au lieu de « Keynes pour les Nuls » : toujours plus de dépenses publiques pour toujours plus de consommation.

Le gouvernement peut-il encore inverser la tendance ? Rétablir la confiance et remettre l'économie réelle au cœur de son programme ? Par quelles mesures fortes ?

Eric Verhaeghe : Il faudrait plus qu'une inversion, mais une révolution, non seulement dans les décisions et les pensées, mais aussi dans le recrutement. Je ne fais pas partie de ceux qui croient que le retour à la prospérité viendra d'une politique économique. Je pense que la prospérité reviendra lorsque l'Etat laissera les entrepreneurs travailler. Déclarons un moratoire sur la réglementation : plus de loi ni de décret pendant 3 ans (sauf les lois de finances bien entendu), et tout ira déjà beaucoup mieux. Mais que l'Etat fasse son travail : que les infrastructures nécessaires à la prospérité soient construites : le très haut débit, la fibre optique partout en France. Un professeur dans chaque classe tout au long de l'année. Des enseignants à l'université qui prennent leur métier au sérieux et qui décident de former leurs étudiants. Que chacun prenne sa part et les vaches seront bien gardées.

Alain Fabre : Le ressort est brisé. La confiance a disparu. Pas un jour où les entreprises ne soient montrées du doigt par le gouvernement. Najat Vallaud-Belkacem a encore trouvé le moyen la semaine dernière de stigmatiser les entreprises sur le terrain de la parité. Le CICE a été l’occasion pour Michel Sapin de mettre en garde les patrons tentés de l’utiliser pour s’acheter une Jaguar ! Ce qu’on peut dire pour prolonger ce qui l’a été déjà, c’est que la crise a mis fin aux politiques keynésiennes qui permettaient au PS d’avoir sous la main un discours rationnel justifiant la sanctuarisation du secteur protégé, cœur de sa base électorale. La vraie cohérence dans l’action du gouvernement c’est la sanctuarisation du secteur protégé dont le statut et les revenus viennent des rentes que le gouvernement distribue ou garantit. Ça rappelle une réflexion que Tocqueville faisait au début de ses Souvenirs : « la vérité est, vérité déplorable, que le goût des fonctions publiques et le désir de vivre de l’impôt n’est point chez nous une maladie particulière à un parti, c’est la grande et permanente infirmité de la nation elle-même ; c’est le produit combiné de la constitution démocratique de notre société civile et de la centralisation excessive de notre gouvernement ; c’est le mal secret qui a rongé les anciens pouvoirs et qui rongera de même tous les nouveaux. » Tocqueville décrivait la situation à la fin du règne de Louis-Philippe : on mesure les ravages de cette « maladie » au temps de l’Etat providence généralisé et à 57% de dépenses publiques en proportion du PIB.

La crise et notamment le succès de la stratégie allemande de croissance qui fait des entreprises le cœur de son système économique et social, placent la gauche française en porte-à-faux. D’où les attaques outrancières mais stériles, à l’égard d’Angela Merkel que les Allemands vont probablement reconduire pour un troisième mandat. La crise a renforcé le caractère binaire de l’arbitrage : ou l’on sanctuarise le secteur abrité, et le risque d’effondrement économique et financier s’accroît fortement ; ou l’on donne la priorité à la croissance économique, bref aux entreprises, et le PS devra entrer en conflit avec les rentes de sa clientèle électorale. Jusqu’à présent François Hollande a choisi de ne pas choisir. Je fais partie de ceux qui voient poindre une crise européenne majeure en relation avec la politique française, d’ici la fin de l’année. Ça peut prendre différentes formes, par exemple un ultimatum – discret mais un ultimatum tout de même – après les élections en Allemagne en septembre. Ça peut venir de la Commission ou de la BCE : on se souvient de l’ultimatum adressé à Silvio Berlusconi en août 2011 par Jean-Claude Trichet. François Hollande attend-il d’avoir la troïka – BCE, Commission, FMI – dans son bureau pour retrouver le sens du réel ?  On ne peut que souhaiter qu’il suive l’exemple de François Mitterrand en 1983. Entre l’Europe et le PS, Hollande ne pourra plus très longtemps, choisir de ne pas choisir.

François Hollande avait déclaré en janvier 2012, dans son discours du Bourget : "mon véritable adversaire, c'est la finance". Alors que le crédit aux entreprises peine à reprendre, François Hollande a-t-il vraiment remis la finance au service de l'économie réelle ?

Eric Verhaeghe : Entendons-nous sur le mot "finances". Toutes les entreprises ont besoin de financement. Le problème aujourd'hui tient à l'extrême industrialisation et concentration de ce métier. Quelques banques, quelques institutions trustent le marché de l'intermédiation financière, de telle sorte qu'un entrepreneur qui a besoin d'investir est obligé de s'adresser à elles pour développer son activité. Parce que le marché de la finance est très concentré et peu concurrentiel, le prix du capital est très élevé. En moyenne, quand vous empruntez 100, vous devez 15% d'intérêt par an. C'est exorbitant. Ce hold-up des intermédiaires financiers tue la prospérité. François Hollande avait une superbe occasion d'y mettre fin en légalisant le crowdfunding, qui permet la désintermédiation financière, à l'occasion de la loi de séparation bancaire. Occasion manquée.

Alain Fabre : On pourrait mettre la formule choc du discours du Bourget sur le compte d’un propos de campagne. Une fois au pouvoir, on pouvait imaginer le retour au réalisme, à la lucidité. Un gouvernement qui déteste tant les financiers, que ne met-il ses comptes en ordre pour échapper à leur emprise ! Les taux sont à des niveaux historiquement bas. Mais avec un pays qui devient le plus gros emprunteur sur les marchés financiers, mieux vaut éviter de flétrir ceux qui paient les traitements des fonctionnaires français. La politique française de non-réduction des dépenses place la France à la merci d’un renversement des anticipations des marchés. L’Italie paie du 4% aux investisseurs financiers contre 1,75% pour la France alors que Rome gère mieux ses finances que Paris. La vulnérabilité financière de la France s’est donc accrue depuis un an. Il faut éviter de tout miser sur une anomalie de marché qui peut disparaître soudainement.

Quant au financement de l’économie, il faut se dire que des entreprises fragilisées par la hausse des prélèvements et un coût du travail meurtrier ne rendent pas aisée la tâche des banques ou des investisseurs financiers, y compris de la BPI qui n’est que la mise en scène de ce qui existait déjà. Je crois que l’ensemble de la politique est à revoir : crédit veut dire confiance. On en est loin.

Avec la hausse généralisée des impôts et l'impératif de "sérieux budgétaire" comme cap politique, François Hollande et Jean-Marc Ayrault incarnent t-ils encore, un an après leur arrivée au pouvoir, une vraie "politique de gauche" ?

Eric Verhaeghe : Je ne sais pas ce qu'est une "vraie politique de gauche". Je crois, soit dit en passant, qu'aucun Français ne s'occupe de ce qu'est une vraie politique de gauche ou de droite. Ce que veulent les Français, ce ne sont pas des politiques, mais des solutions. Et la solution: "augmentation des impôts" leur est familière, à défaut d'être populaire. Chacun a bien compris qu'elle est à peu près la seule solution sûre pour rembourser la dette. Le sérieux budgétaire relève quant à lui de la prière à la Vierge un jour de communion : l'Etat en France n'est ni gérable ni géré, et vingt ans de politisation continue des nominations a transformé la chaîne de commandement des administrations en galerie de bénit-oui-oui incapable de réformer leurs services.

Alain Fabre : Notre pays court droit vers une crise sociale et politique, voire de régime si le gouvernement poursuit sa politique telle qu’elle est menée actuellement. Même ceux qui semblent les soutenir parce que bénéficiaires du système de distribution de rentes, peuvent finir par prendre conscience que la faillite se profile et donc lâcher ceux qui les lui garantissent. Un régime politique repose sur une base sociale ; si elle disparaît, le régime – et pas seulement le gouvernement – tombe. Le Président et le Premier Ministre sont discrédités à des degrés jamais vus depuis 1958. Ils ne parviennent plus à tenir ni leurs ministres ni leur majorité. Pour autant, le gouvernement pourrait changer de pied sans se sentir obligé d’abandonner une politique de gauche. De même que seul le Général de Gaulle pouvait conduire l’indépendance de l’Algérie, de même, il est probable que la gauche serait en bonne place pour faire accepter la priorité redonnée aux entreprises et à la baisse des dépenses publiques. En Allemagne, le SPD est à l’origine de réformes majeures du marché du travail. En Italie, le PD, classé à gauche, incarne une ligne « libérale » et européenne. Et que dire des travaillistes anglais ? Les Français ont parfaitement compris – c’était d’ailleurs le cas déjà en 2007 après l’élection de Nicolas Sarkozy – l’urgence et la nécessité des réformes même s’ils ont tendance à penser que les bonnes réformes, ce sont celles qui concernent les autres. Il y faudrait un art politique et une pédagogie dont on peut craindre hélas que le gouvernement ne soit dépourvu.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !