En matière de fiscalité, l'État poursuit des objectifs incompatibles<!-- --> | Atlantico.fr
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Une centaine de milliards d'euros seront nécessaires pour rééquilibrer le budget français.
Une centaine de milliards d'euros seront nécessaires pour rééquilibrer le budget français.
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Schizophrénie

Entre tentations égalitaristes, mécanismes d’incitation économique et efficacité économique, les gouvernants ne choisissent pas quand ils déterminent les impôts. Et si la morale était mauvaise conseillère en matière de fiscalité ?

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Parvenu au pied du mur, le gouvernement sait qu’il lui faudra trouver, grosso modo, une centaine de milliards d’euros pour rééquilibrer réellement son budget et stopper l’emballement de la dette publique. Chaque euro économisé est désormais précieux. Mais cette nouvelle discipline budgétaire fait apparaître plus que jamais la très étonnante incapacité de l’État à adopter une politique fiscale cohérente, autrement dit à arbitrer entre l’utilisation de la fiscalité comme outil d’incitation intelligente et sa mobilisation comme symbole politique.

Il est apparemment très difficile de faire comprendre à nos hauts fonctionnaires que maximiser le taux d’une taxe n’est pas nécessairement — et même jamais — maximiser son produit. Trop d’impôt tue l’impôt comme l’on sait, alors qu’un bon niveau du curseur des taxes peut en revanche avoir, par le développement économique qu’il permet, un effet positif sur les recettes engrangées.

On a pu voir une telle incompréhension tout récemment lors de l’âpre discussion qui a opposé les fonctionnaires de Bercy et le Parlement concernant le jeu en ligne. L’analyse économique montre que le taux et l’assiette actuelle sur les mises menacent la survie des nouveaux opérateurs placés en situation de faiblesse structurelle face aux monopoles que sont le PMU et la Française des Jeux. Bercy a catégoriquement refusé de faire évoluer ce taux, arguant qu’il fallait préserver le niveau de recettes fiscales. Souci qui les honore, mais raisonnement fautif en l’occurrence : un taux et une assiette plus économiquement rationnels permettraient précisément d’augmenter les recettes de l’Etat, alors que tous les observateurs s’accordent pour constater qu’un marché illégal non négligeable perdure, se soustrayant ainsi à l’impôt.

Peut-on vraiment croire que nos hauts fonctionnaires ne comprennent pas cela ? Evidemment non. La réalité est que la taxe, en France, est surtout conçue comme un signal symbolique. On attend d’elle qu’elle corresponde à une exigence morale, qu’elle soit immédiatement lisible comme instrument de justice. Sans égard à ses effets indirects, on exigera de la taxe, pour qu’elle soit politiquement défendable, qu’elle porte ses bonnes intentions en bandoulière, et tant pis si l’enfer en est pavé. Du coup, l’État hésite constamment et balance entre des objectifs différents : efficacité économique ou force symbolique.

Toucher à la taxe sur les jeux, c’est « encourager le vice ». Donc pas question. Même si cela anéantit l’objet même de la loi, à savoir le développement d’un marché concurrentiel dynamique asséchant le jeu illégal et contrôlant les phénomènes d’addiction.

La discussion de la « taxe soda » a illustré le même balancement entre plusieurs modes de légitimation de l’action. Annoncée comme mécanisme de désincitation à but prophylactique, il a vite été évident que la taxe n’allait pas avoir d’effet sur les ventes de sodas. Qu’à cela ne tienne, on a alors gardé comme seul objectif la recette fiscale ainsi générée, faisant d’un effet secondaire le nouveau but. Un nouveau but qui est en contradiction avec l’objectif initial, puisqu’une désincitation réussie aurait fait baisser les ventes et donc le produit de la taxe !

On pourrait multiplier les exemples, mais citons-en seulement un dernier : la taxe sur le tabac. On a observé depuis longtemps que les petites hausses de prix n’avaient pas l’effet escompté sur le tabagisme. Pourquoi maintenir cette méthode des « petits pas », alors que l’on sait que seule une augmentation massive aurait un effet ? Parce que le gouvernement veut à la fois se donner les gants de l’effort anti-tabac — sans y croire lui-même — et ne pas mécontenter les buralistes qui craignent pour leur chiffre d’affaires. De façon parfaitement schizophrénique, l’Etat cherche ainsi simultanément à faire moins fumer tout en maintenant les ventes de cigarettes.

Il serait temps que l’État cesse de vouloir utiliser la fiscalité à la fois comme mécanisme d’incitation économique et comme levier de communication politique jouant sur la corde démagogique. Ce sont là des mobiles qui souvent se contredisent. Choisir clairement l’incitation économique, c’est assumer par avance les critiques de tous ceux qui, pour des raisons d’intérêts particuliers ou par dogmatisme, voudront soumettre la fiscalité à d’autres logiques.

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