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Fiction : ce groupe de terroristes fantômes qui posait des bombes sur les rails de la SNCF
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Bonnes feuilles

Inspiré librement d’un événement qui ébranla le sommet de l’Etat, ce roman plonge au cœur d’une affaire à ce jour encore non résolue. Entre les mois de décembre 2003 et Mars 2004, une bombe est retrouvée sur les rails de la SNCF dans le centre de la France. Le groupe AZF réclame alors 4 millions d’euros. Extrait de "AZF, une affaire au sommet de l'Etat" (2/2).

Arnaud Ardoin

Arnaud Ardoin

Journaliste reporter de télévision sur la Chaîne Parlementaire Assemblée Nationale (LCP-AN), Arnaud Ardoin anime et coordonne l’émission quotidienne « Ça vous regarde » traitant de tous les sujets de société. Après être passé par France 2, France 3, M6, il a aussi réalisé plusieurs documentaires et magazines TV.

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« Il faut faire le point », avait dit Muzillac à Serge Blayau en le convoquant à Toulouse. Comme prévu, les rentrées publicitaires avaient baissé. Mais plus grave, malgré le chahut médiatique, l’information ne passait plus. Les contacts de Serge étaient aux abonnés absents et il s’était fait renvoyer sans ménagement lorsqu’il avait demandé une interview au ministre de l’Intérieur. Il n’en avait pas été surpris. Il devait figurer sur sa liste noire en bonne place, comme traître ayant le premier annoncé la menace d’AZF.

Serge arriva en retard à la gare, jeta son Piaggo à la va-vite et manqua le train de Toulouse . Il avait deux heures à perdre avant le suivant. Il s’installa au buffet remâchant son agacement en buvant une bière. Il leva la tête machinalement vers la télévision. En bas de l’écran, un bandeau rouge barrait l’écran sur lequel était inscrit : « Urgent : attentat à la gare d’Atocha, plusieurs morts et des centaines de blessés. »

Serge associait toujours cette information à l’Afghanistan ou à l’Irak. Mais où se trouvait Atocha ? Il pensa d’abord à l’Italie, avant qu’apparaisse dans le champ, un micro de la télévision espagnole. Il s’agissait de Madrid. La gorge sèche, il avala une gorgée de bière tout en gardant les yeux rivés sur l’écran, se redressa sur son fauteuil pour mieux voir l’inimaginable.

Les premières images arrivaient de l’enfer : corps meurtris, mouvements tremblants de la caméra peinant à filmer l’insoutenable, montage haché dévoilant des scènes de guerre. Le wagon que suivait le cameraman, dans un travelling maladroit, était éventré, découpé comme une boîte de conserve, débris de verre, morceaux de corps dans un désordre indescriptible. Au-delà du train toujours debout, on apercevait au loin plusieurs voitures, pliées sous la puissance du choc.

Après l’effarement, la seconde réaction de Serge le ramena égoïstement à son métier : il aurait aimé être sur place, comme tout journaliste, Pour vivre cet instant et suivre l’événement nuit et jour et partager cette fièvre morbide.

Les commentaires se bornaient à la description du chaos, et le bilan approximatif donnait 100 morts puis 300, pour osciller entre 150 et 200 morts. Plusieurs gares avaient été touchées. Pour l’heure, il était impossible de connaître le nombre d’explosions avec exactitude. Qui avait commis ce crime ? Le commentateur évoquait l’ETA ou peut-être Al-Qaida. Serge ne tenait plus en place. Il se leva, fit quelques pas : bombes, train, AZF et si les maîtres-chanteurs d’AZF étaient les auteurs de l’attentat d’Atocha ?

Il regarda son téléphone, énumérant la liste des policiers susceptibles de l’informer : Interpol, commissaire à l’anti-terrorisme en charge des échanges avec l’Espagne, Guy Verchave, un spécialiste de l’ETA et de l’IRA. Il hésitait : annuler son voyage à Toulouse ? Partir à Madrid ? Rester ici et creuser l’affaire depuis Paris ?

Sur l’écran apparut un homme vêtu d’une veste en lainage, plutôt un haillon recouvert de sang, le sien sûrement. Un sexagénaire voûté, sourcils gris broussailleux en bataille, le visage écorché et le crâne entaillé face à la caméra. Le regard fixe, il marchait sur les rails comme un robot, symbole vivant de l’injustice de cet attentat.

« Pourquoi, se demanda Serge, les autorités choisissaient-elles de se lancer sur la piste de l’ETA ? Pour servir quels intérêts ? » Voilà des mois que ce mouvement terroriste n’avait pas fait parler de lui. Le coup de filet de San-Sebastián et de Saint-Jean-de-Luz avait, paraît-il, décapité le mouvement. Il pensait plutôt à Al-Qaida, à leurs menaces envoyées à plusieurs pays européens dont la France.

Son téléphone vibra, c’était le directeur de la rédaction, Gérard David. Il n’entretenait pas de mauvais rapports avec lui, mais les deux hommes se tenaient à bonne distance :

– Salut Serge, t’es dans le train ?

– Non, je pars dans une heure un peu moins maintenant…

– Bon, on fait la une, le titre, on hésite encore, on penche pour « Madrid frappée au coeur ». On a une superbe photo prise en plan large où l’on voit le désastre avec une profusion de détails.

– Pas mal, tu veux que je reste ici et je t’envoie un papier d’ambiance ? Au fait, on a des infos sur les bombes, fuel nitrate, TNT, on a des trucs là-dessus ?

– Pour l’instant rien, les dépêches indiquent que trois sites ont été touchés ; il y a Atocha et deux autres gares périphériques, c’est une organisation hyper structurée qui a monté ce coup. Gérard avait marqué une pause.

– Ah oui ! Autre incidence, sur le plan politique, ça paralyse leurs élections législatives, on prépare un truc là-dessus. Son verre était vide, Il eut envie d’un deuxième. Il résista. Gérard l’agaçait sans qu’il sache trop pourquoi. Souvent hésitant, il avait peur de son ombre, peur du grand patron, peur de perdre ses petits privilèges. En l’écoutant, il comprit qu’il allait se trouver hors du dispositif et qu’il n’écrirait rien dans ce numéro si particulier.

– Gérard, je peux te préparer un papier d’angle sur les similitudes entre les menaces AZF et le drame d’Atocha, il manquerait plus que l’explosif soit le même, c’est un angle original et je pense que je ne suis pas le seul à y penser.

– Il faut être prudent Serge, avertit le directeur de la rédaction.

– Écoute Gérard, c’est la question que les gens vont se poser. Il n’est pas question de créer une psychose mais d’informer, il y a quand même huit bombes sur les rails en France dont une seule a été retrouvée ! Et ce soir ça pète à Madrid ! Tu n’empêcheras pas les gens de faire le lien. Dans son énervement, Serge élevait la voix et autour de lui, les regards se remplissaient de curiosité.

– J’en parle au patron. Pour l’instant on reste sur du factuel, on est encore dans l’émotion, il ne faut pas se précipiter.

– Bon, alors je n’ai qu’à partir à Madrid ? dit Serge sur un ton d’évidence. Il pressentait que Gérard ne l’avait appelé que pour le tenir tranquille et hors du coup. Et il avait vu juste :

– Non, Clémentine, des Infos générales, est sur le départ, elle parle espagnol. De toute façon tu attends ta réponse pour suivre la livraison de la rançon. Tu es sur AZF depuis le début, tu ne vas pas laisser tomber ! Et Gérard ajouta comme un coup de pied de l’âne :

– Même si ce sont des terroristes fantômes !

Extrait de "AZF, une affaire au sommet de l'Etat", Arnaud Ardoin (Editions du rocher), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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