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Fiasco de l’alliance Renault-Fiat : pourquoi le capitalisme français ne se sauvera pas sans Big Bang refondateur
©Loïc VENANCE

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L'échec de la fusion Fiat-Chrysler/Renault a mis en évidence certains problèmes inhérents au capitalisme français, fortement lié à l'Etat.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Jean-Baptiste  Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire, rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits. 

Il est auteur notamment de : La Révolte fiscale. L'impôt : histoire, théorie et avatars (Calmann-Lévy, 2019) et Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015)

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Atlantico : L’échec de la fusion Renault-Fiat, qui serait lié aux exigences de l’Etat, actionnaire à 15,1% de l’entreprise française, n’est-il pas symptomatique de l’échec de la place de l’Etat dans le fonctionnement du capitalisme français ?

Michel Ruimy : Au plan théorique, l’Etat se trouve dans la même situation qu’un actionnaire ordinaire, dont le but est de tirer le meilleur avantage économique possible de son capital. Or, il est arrivé, plus d’une fois, que l’État gère ses participations capitalistiques en privilégiant les retombées politiques aux retombées économiques, le risque étant couvert par le contribuable.

Plus précisément, ses investissements dans les entreprises doivent répondre, selon le cas ou même parfois ensemble, à des objectifs d’ordre économique (par exemple, développer des activités industrielles, préserver des savoir-faire,…), d’ordre environnemental et d’aménagement du territoire, d’ordre social (préserver des emplois), éventuellement d’ordre financier (cessions d’actifs, dividendes,…) tout en étant présent dans des secteurs sensibles en matière de souveraineté (nucléaire, défense nationale…). Ainsi, la présence de l’État comme actionnaire d’entreprises ne se justifie pas seulement par des raisons patrimoniales ou financières, mais aussi par des motifs de politiques publiques. Il n’est donc pas un actionnaire comme les autres.

Par ailleurs, ses participations se font sur le long terme, tout comme les retours sur investissement. De ce fait, il va investir dans des projets stratégiques correspondant à sa politique industrielle sans que les rendements financiers soient le premier critère d’investissement.

Mais, tout en assumant ces différents rôles, l’Etat doit aussi préserver l’autonomie de l’entreprise pour la définition de sa stratégie. Or, la principale faiblesse de l’Etat actionnaire est paradoxalement sa toute-puissance du fait des multiples leviers - non actionnariaux - dont il dispose (régulation sectorielle, fiscalité, droit du Travail, commandes publiques, relations diplomatiques…).

Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, 1 voiture sur 3 sont construites en Chine, de même qu’1 voiture électrique sur 2. En outre, le secteur automobile européen doit se consolider du fait de la transition écologique. Pour Renault, son mariage avec Fiat semble avoir capoté pour des raisons qui la dépasse.

Dans ce contexte, toute défaillance de l’Etat, réelle ou supposée, a inévitablement une portée médiatique. Il est alors urgent de développer une maturité nouvelle par rapport à ces attentes et aux promesses que le politique formule en matière d’actionnariat public. C’est d’autant plus difficile - et essentiel - que cela suppose un discours politique sur ce que l’on ne peut pas faire…

Jean-Baptiste Noé : Subsiste encore l’illusion d’un État stratège qui pourrait bien diriger une entreprise, alors que l’histoire économique dément cette illusion. La mise en place des grandes infrastructures françaises a été le fait des entrepreneurs privés : les mines de charbon au XVIIIe et XIXe siècle, le réseau des écoles, le train, le développement de l’aéronautique, les premiers barrages hydrauliques, l’électricité, etc.

L’État est véritablement intervenu dans l’économie française à partir de 1945, profitant de la nécessité de la reconstruction. Pense-t-on encore que ce soit le rôle de l’État que de gérer une entreprise automobile ? On aimerait d’abord qu’il soit capable d’assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire national. Comment une administration qui se révèle incapable de purifier ses dépenses publiques, de gérer correctement son personnel, d’épurer sa dette, serait capable de faire fonctionner et de développement une entreprise ?

La présence de l’État français au capital d’une entreprise ne peut qu’effrayer, à juste titre, les investisseurs soucieux de développer leur activité.  

L’Etat insiste tout particulièrement sur sa volonté de protéger l’économie nationale. Pour autant, au regard des résultats des entreprises qui sont gérées par l’Agence des participations de l’Etat et du comportement de l’Etat actionnaire en général, ne faut-il pas constater une forme de cynisme sur cette question ?

Michel Ruimy : La mondialisation, qui a intensifié la concurrence économique entre les pays, a confirmé le rôle de « l’Etat stratège ». L’accroissement de la compétitivité des pays émergents a, en effet, contraint les économies industrialisées à se positionner sur les marchés à forte valeur ajoutée. L’État a dû, de la sorte, développer des secteurs d’activité d’avenir pouvant garantir une expansion économique et une création d’emplois. Il est devenu, aux Etats-Unis par exemple, un investisseur aussi important que le capital-risque privé pour de nombreuses start-ups et PME innovatrices. Cette situation n’est pas un cas isolé puisque de nombreux pays (Chine, Finlande, Israël…) se sont convertis aux vertus de l’investissement public dans des secteurs innovants. Dans ce contexte, la France apparaît mal positionnée. Elle a souvent manqué de vision stratégique et n’a pas su faire fructifier correctement ses investissements.

Elle a déposé ses « œufs » dans trois paniers différents : l’Agence des participations de l’État (APE), la Caisse des dépôts et des consignations et Bpifrance, qui privilégie des prises de participations minoritaires dans des PME et des entreprises de taille intermédiaires (ETI) avec une perspective de sortie au terme d’une étape de leur développement. À travers ces trois structures, l’État détient environ 1 700 participations - exclusives, majoritaires, minoritaires - dans des entreprises pour une valeur de près de 100 milliards d’euros. Une soixantaine de ces participations sont cotées en Bourse pour une valeur approximative de 77 milliards d’euros, ce qui fait de lui le premier actionnaire de la place boursière parisienne.

Ce portefeuille est un ensemble vaste et hétérogène (aéronautique, finance, transports, industrie automobile, communications, énergie…), intimement lié à l’histoire politique et sociale. Sa composition doit plus à l’histoire qu’à une quelconque logique et sa gestion correspond peu aux standards actuels de la gestion d’un portefeuille d’entreprises. Entre les motifs idéologiques liés aux nationalisations du passé et la volonté de sauver des entreprises au bord du dépôt de bilan, l’État semble naviguer à vue et à court terme contrairement à ce qu’il affirme.

C’est pourquoi, un Comité stratégique de l’État actionnaire été mis en place en 2015, dont la mission est d’émettre des propositions visant le développement d’une doctrine d’intervention efficace de l’État. La prise de participation majoritaire n’est dorénavant plus l’objectif premier recherché : l’État est passé d’un statut de « propriétaire » à celui de « boursicoteur ». Mais, cette transition n’est pas encore complètement accomplie mais elle devrait permettre, si elle aboutit, à ce que l’État se défasse de son image de mauvais actionnaire.

Jean-Baptiste Noé : La communication est l’art de présenter un camouflet comme une victoire. On a encore en mémoire ce rapport remis au Premier ministre Édouard Balladur en 1993 qui expliquait qu’internet n’avait aucun avenir commercial. Encore une fois, que l’État fasse correctement son travail d’administration, qu’il sache jouer son rôle et tenir son rang et ce sera très bien. Mais tant qu’il n’est pas capable de faire cela, comment peut-il convaincre qu’il pourrait développer une entreprise privée ? Chacun constate la situation désastreuse dans laquelle se trouvent la SNCF et l’Éducation nationale. Toutes les deux illustrent la faillite de l’État en matière de gestion des hommes et des activités, alors que l’éducation confiée au privé et le réseau ferré géré de façon concurrentielle proposent de meilleurs services et pour moins cher.

Qu’est-ce qui pourrait permettre un réel « big bang » du capitalisme à la française pour éviter que ce genre de déconvenues qui nuisent grandement à notre économie se reproduise ?

Michel Ruimy : Tout d’abord, si aujourd’hui, il fallait choisir deux caractéristiques qui distinguent véritablement l’économie française des autres pays occidentaux, il faudrait citer le niveau très élevé de la dépense publique et le poids de l’État dans les décisions de nombreuses entreprises industrielles et commerciales du secteur concurrentiel. Ces deux caractéristiques conjuguées font que la France est loin d’être une économie libérale.

Dans un tel contexte, la question du rôle de l’État dans la gouvernance des entreprises n’est pas nouvelle. Contrairement à un actionnaire classique, l’État poursuit souvent plusieurs objectifs qui sont même parfois contradictoires. D’où le sentiment que son action est à géométrie variable selon les moments.

Là est tout le problème. Car même si l’Etat essayait de se positionner, avec prudence, dans les entreprises à participation publique, les salariés ou les citoyens, par exemple, attendraient de lui qu’il utilise sa position d’actionnaire dans une perspective politique. L’Etat semble ainsi être irrémédiablement responsable au-delà des responsabilités d’un actionnaire normal. D’où, la définition d’un capitalisme « à la française ».

Jean-Baptiste Noé : Que l’administration cesse de s’occuper de ce qui n’est pas de son ressort. Peugeot se débrouille très bien et arrive à relever les défis technologiques qui sont les siens, alors pourquoi pas Renault ? Pourquoi vouloir absolument intervenir dans la direction des entreprises ? En revanche, l’État devrait fournir un cadre juridique adapté pour relever les défis de la guerre économique et de la guerre technologique. Cela aiderait véritablement les entreprises et leur permettrait d’affronter la concurrence juridique internationale. Là oui, nous sommes dans le rôle et le registre de l’État. C’est ici qu’il est attendu et c’est là qu’il doit être utile à la vie économique et au développement du capitalisme français.  

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