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Ferme des mille veaux, un enjeu de société derrière le fait divers
©Reuters

Enquête

L'incendie volontaire d'un hangar de la ferme des 1000 veaux soulève de véritables questions de société sur les évolutions de nos modèles agricoles ou d'élevage. La vérité, et les solutions, ne figurent plus dans l'opposition, le "pour ou le contre", mais dans l'écoute mutuelle pour une meilleure appréhension des enjeux et donc une réponse qui convienne tant aux éleveurs qu'à la société.

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Le fait divers, l'enquête

Les faits : un bâtiment de stockage de fourrage de 1500 mètres carrés a été incendié dans ce que l'on appelle la ferme des 1000 veaux, à Saint-Martial-le-Vieux. Cette ferme est le fruit de la coopération d'une quarantaine d'éleveurs de bovins viande, qui ont donc voulu mutualiser leurs efforts productifs en un seul lieu, parfaitement équipé. Pour autant, avec d'une part un parallèle avec la ferme des 1000 vaches dans le Nord de la France, et d'autre part de multiples reproches (justifiés ou non, je vous invite à lire l'article entièrement) quant au mode de productions, plusieurs associations se sont opposées à cette ferme des 1000 veaux. Lors de l'extinction de l'incendie par les pompiers, des inscriptions ont été trouvées montrant comme une forme de revendication par des sympathisants de ce type d'associations.

J'ai personnellement joint au téléphoneKarine Jaïn, substitut du procureur à Guéret, chargée de l'enquête, ce vendredi 23 décembre peu avant midi. En substance, elle m'a répondu que l'enquête était en cours, qu'il était avéré que l'incendie était "volontaire", mais pas forcément encore "criminel" au sens de la loi, puisque pour cela il faut démontrer qu'il a été perpétré en "bande organisée", ou qu'il y a eu des victimes (ce qui n'est pas le cas ici). Par ailleurs, cette enquête doit déterminer si l'auteur (ou les auteurs) a (ont) effectivement un lien avec les associations "anti" comme les inscriptions le laissent croire, ou si cet auteur (ces auteurs) a (ont) voulu leur faire porter le chapeau.

Il y a eu plusieurs réactions, il suffit de lire les comptes Twitter de Christiane Lambert, ou Claude Cochonneau... Entre autres. Mais il reste encore impossible, à l'heure où ces lignes sont rédigées, d'impliquer directement les associations "anti" dans l'incendie volontaire.

Quels enjeux derrière ce fait divers ?

Quelle que soit la réponse qu'apportera l'enquête, ce fait divers met en lumière une opposition, et des incompréhensions, entre la modernisation de l'économie d'élevage telle qu'elle est déclinée à travers cette ferme des 1000 veaux, et une partie au moins des consommateurs potentiels, en l'occurrence de viande de veau. Parallèlement, on note l'émergence de mouvements de plus en plus influents dans notre société qui prônent une alimentation sans viande, du fait notamment des conditions d'élevage et aussi (surtout ?) d'abattage.

Ces oppositions se traduisent par un doute auprès de la population, doute qui entraine actuellement une consommation moindre de viande, et donc la mise en danger de tout un système productif qui touche d'ailleurs aussi bien l'agroindustrie que les petits éleveurs, sauf peut-être pour ceux qui trouvent des marchés de proximité.

De fait, ne pas lever ces doutes, c'est donner des arguments aux anti viandes...

Ferme des 1000 veaux, l'intérêt du projet : bien-être de l'éleveur, gain de productivité

L'objectif pour les 40 éleveurs concernés est de mutualiser leurs moyens de productions de façon, tout simplement, à mieux vivre. A ne plus travailler 7 jours sur 7 et 12 heures par jour chacun. En concentrant en un seul lieu, bien équipé, l'ensemble des moyens de production, chacun retrouve le droit à une vie privée et à des loisirs, au-delà du métier d'éleveur. Parallèlement, il est évident qu'un tel dispositif permet des économies d'échelle, un gain de productivité, ce qui répond donc à une des demandes essentielles des consommateurs : le prix.

Je pense qu'il ne faut pas oublier le rôle du consommateur par rapport à ce choix de regroupement d'élevages : si, dans toutes les enquêtes d'opinion, il se dit prêt à payer plus cher un produit de qualité, son comportement devant les linéaires reste particulièrement ancré sur la recherche du prix le plus avantageux. Ce que les opposants appellent la "ferme-usine" des 1000 veaux répond aussi à une demande des consommateurs. D'ailleurs, en l'occurrence, c'est la SVA Jean Rozé, du groupe Intermarché, qui commercialise les produits issus de la ferme de la Creuse.

Ce que reprochent les opposants : un bien-être animal insuffisamment respecté

Les associations "anti" ont su s'offrir des porte-paroles de renom. Dont Corinne Touzet, actrice connue principalement sur le petit écran pour son rôle de gendarme dans la série "Une femme d'honneur". Elle explique très bien, dans la vidéo ci-dessous, tout un ensemble d'arguments qui ont effectivement une valeur.

En substance, elle dénonce des conditions d'élevage où les veaux ne sont engraissés qu'en bâtiment sans jamais voir le jour et donc un brin d'herbe, où on les bourrerait (selon elle) d'antibiotiques pour éviter les maladies, en terminant par les conditions de transport puis d'abattage.

Comment les éleveurs peuvent-ils réagir ? N'est-on pas devant un premier exemple d'intégration discutable ?

Attention, je sais que je m'adresse ici à un public agricole, mais il s'agit de revendications légitimes : ne pas apporter de réponses, c'est se mettre une partie non négligeable de la société à dos. D'ailleurs, il suffit de voir l'intervention de Corinne Touzet : quel "people" mouillerait aujourd'hui la chemise pour dire que la ferme des 1000 veaux, c'est très bien ? On peut bien sûr estimer ces interventions de people comme très éloignées des connaissances de la ruralité et de ses pratiques... Mais ne pas en tenir compte, c'est non seulement ne pas écouter la partie valable des arguments développés, mais aussi prendre un risque économique certain, étant donnée la portée de ce mode de pensée.

D'où une question induite, celle du rôle des éleveurs. La main-mise d'Intermarché sur cette ferme des 1000 veaux réduit finalement considérablement leurs marges de manoeuvre. Si Corinne Touzet a exagéré certains points dans sa vidéo (elle parle de 3 mètres carrés par animal alors qu'il s'agit en l'occurrence de 4,58 mètres carrés, soit bien plus que la norme européenne de 4 mètres carrés), elle pose tout de même plusieurs "vraies" questions. Auxquelles les éleveurs n'ont pas les moyens de répondre, compte-tenu de leur intégration dans le système prôné par Intermarché : ils ne peuvent que modérément agir sur le mode de production, pas du tout sur le transport ou l'abattage. Alors qu'à l'arrivée, ce sont eux les victimes (sans nier leur part de responsabilité) : ils ont voulu répondre à une demande sur les prix tout en revendiquant un temps de loisir minimal, et se sont retrouvés au centre d'une machine à produire telle qu'elle en devient contestable sur plusieurs points.

Un éleveur aime ses vaches, ce n'est pas lui qui va les maltraiter (je parle d'une manière générale, bien sûr on trouvera toujours un contre-exemple, un cas particulier, comme pour tout sujet). Alors comment peut-il inverser le cours des choses, l'image qui lui est décernée à travers ce que renvoie cette ferme des 1000 veaux ? En se donnant une marge de manoeuvre supérieure ! Un groupement d'éleveurs possède un moyen de pression (et peut développer ses propres arguments et demandes) s'il a affaire à un client, et non à un employeur, ou apparenté comme tel (en l'occurrence client unique et commanditaire).

Et si la ferme des 1000 veaux était le premier exemple d'un phénomène qui mérite débat au sein de la profession agricole : l'intégration ?

Cet article a également été publié sur le site Wikiagri, et est disponible ici.

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