Femmes dans les conseils d’administration : y a-t-il une pénurie de Françaises capables d'occuper des postes à responsabilité telle qu'on soit obligé d'aller chercher des étrangères ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les conseils d'administration des entreprises du CAC 40 se sont ces dernières années fortement internationalisés.
Les conseils d'administration des entreprises du CAC 40 se sont ces dernières années fortement internationalisés.
©DR

Machisme national

La présence d'étrangères dans les conseils d'administration d'entreprises françaises soulève le problème de la pénurie de femmes capables d'assumer de telles responsabilités.

Hervé  Joly

Hervé Joly

Hervé Joly historien et sociologue, est directeur de recherche au CNRS, laboratoire Triangle, université de Lyon. En 2013, il a publié Diriger une grande entreprise au XXe siècle : l'élite industrielle française (Tours, Presses universitaires François-Rabelais). Son dernier ouvrage : Les Gillet de Lyon. Fortunes d’une grande dynastie industrielle. 1838-2015 (Genève, Droz, 2015)

 
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Atlantico : Une mode peu reluisante semble se développer au sein des conseils d’administration des entreprises françaises : recruter des étrangères plutôt que des Françaises pour ne pas tomber sous le coup de la loi sur la parité. Existe-t-il vraiment une pénurie de Françaises capables d’occuper de tels mandats ?

Hervé Joly : Faire appel à des femmes étrangères n'a rien de condamnable, elles n'en sont pas moins des femmes ! Les conseils d'administration des entreprises du CAC 40 se sont ces dernières années, à l'image de leurs actionnaires et de leurs implantations, fortement internationalisés. Il est donc logique que les femmes imposées par les quotas légaux n'échappent pas à cette évolution. S'y ajoute pour les femmes effectivement une difficulté particulière : normalement le principal vivier des administrateurs se trouve parmi les dirigeants ou anciens dirigeants opérationnels (PDG, directeurs généraux et membres des comités exécutifs) des grandes entreprises, or, il y a toujours très peu en France, mais aussi dans beaucoup d'autres pays européens, de femmes parmi ces dirigeants opérationnels. Ces postes échappent aux obligations de quotas. Il y a un paradoxe à imposer des quotas dans les conseils sans les imposer dans leurs viviers. Du coup, les entreprises tendent soit à choisir toujours les mêmes administratrices (les rares femmes ayant exercé en France des responsabilités opérationnelles importantes comme Anne Lauvergeon, Patricia Barbizet, Anne-Marie Idrac à la tête de grandes entreprises, Laurence Parisot au MEDEF, etc.), soit à faire appel à des personnalités "jet-set" sans expérience dans le monde des affaires (Bernadette Chirac chez LVMH par exemple), soit à élargir le vivier en faisant appel à des étrangères, notamment nord-américaines, là où les femmes sont, sans quotas légaux d'ailleurs, plus nombreuses à exercer des responsabilités importantes à la tête des entreprises.

Qu’en est-il aujourd’hui de la proportion femmes/hommes à un très haut niveau de responsabilité ? Leurs profils et leurs parcours étudiants et professionnels sont-ils les mêmes ?

On note une évolution significative, en l'absence de quota, parmi les cadres supérieurs ou dirigeants des grandes entreprises françaises vers une plus grande féminisation. Il y a 30 ou 40 ans, il n'y avait pratiquement aucune femme dans les équipes dirigeantes. Aujourd'hui, elles restent très minoritaires (7 % des membres des comités exécutifs des entreprises du CAC 40 fin 2009), et encore beaucoup d'entre elles se trouvent dans des fonctions perçues comme plus "féminines" (direction des ressources humaines et direction de la communication surtout), mais il existe tout de même une timide évolution. Même s'il n'y a pratiquement pas eu de femmes PDG de grandes entreprises, on trouve, notamment dans les entreprises de services, des femmes dans d'importantes fonctions opérationnelles. L'industrie traditionnelle reste en revanche beaucoup plus fermée. Il est vrai que leurs viviers traditionnels des dirigeants, les grandes écoles d'ingénieurs en particulier, restent très masculins. Alors qu'elle s'est ouverte aux femmes depuis quarante ans, l'Ecole polytechnique ne dépasse toujours pas 15 % de femmes dans ses promotions. Et dans les grands corps techniques comme les Mines ou les Ponts et Chaussées, les proportions sont encore plus faibles. On sait que le déséquilibre vient de loin, depuis les bacs scientifiques et les classes préparatoires. Les femmes sont certes plus nombreuses dans les filières commerciales, mais il s'y ajoute bien sûr les obstacles habituels à une carrière dirigeante dans une grande entreprise, avec des exigences d'emplois du temps imposées souvent par des hommes peu compatibles avec les aspirations à une vie familiale accomplie.

Les femmes à l’étranger sont-elles plus présentes dans les conseils d’administration ? Et si oui, pourquoi ? Sont-elles mieux formées ?

Je ne suis pas sûr que les femmes soient aujourd'hui plus présentes à l'étranger, simplement lorsque l'évolution s'est effectuée sans quotas, elle s'y est faite de manière moins brutale et moins artificielle, par l'émergence progressive d'un vivier d'administratrices potentielles. En France, on a mis un peu les charrues avant les boeufs, en imposant des administratrices sans en avoir le vivier, mais on peut aussi espérer que cette politique volontariste au sommet donne l'exemple à terme dans les échelons inférieures. Les femmes administratrices tendront peut-être à favoriser des promotions féminines plus nombreuses dans les fonctions opérationnelles. Les femmes ne sont pas moins bien formées, ou moins compétentes, elles ont simplement besoin qu'on leur donne la chance de pouvoir acquérir les responsabilités, l'expérience requises pour accéder aux plus hautes fonctions dirigeantes.

Que cela traduit-il du rapport aux femmes dans l’entreprise en France par rapport à nos voisins européens ? La France souffre-t-elle d’une sorte de « machisme domestique » ?

Il y a certes un certain décalage par rapport à d'autres pays européens très en pointe en matière de féminisation des élites, comme les pays scandinaves, mais la France a tous les atouts pour que la situation évolue rapidement : les femmes réussissent globalement très bien dans le système scolaire, le fait qu'elles puissent faire carrière est aujourd'hui largement socialement admis, les structures de garde d'enfants, même si elles peuvent encore être améliorées, sont assez développées. La situation est beaucoup plus favorable chez nous qu'en Allemagne par exemple où, au-delà du manque de places de crèches ou d'activités l'après-midi pour les enfants, prédomine encore une tendance générale à culpabiliser les mères qui travaillent à plein temps, ce qui oblige souvent les femmes à choisir entre carrière et maternité.

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