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La Suède, la Norvège, et le Danemark et la Filande sont souvent cités en exemple pour avoir mis en place des réformes pour moins dépenser.
La Suède, la Norvège, et le Danemark et la Filande sont souvent cités en exemple pour avoir mis en place des réformes pour moins dépenser.
©Reuters

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Le journal britannique The Economist a consacré sa une aux pays nordiques, en affirmant que ces derniers étaient le "prochain super modèle à suivre". Qu'est-ce qui est à prendre, qu'est-ce qui est à laisser ?

François-Charles  Mougel

François-Charles Mougel

François- Charles Mougel  est professeur des Universités d'Histoire contemporaine à Sciences-po Bordeaux. Il est l'auteur de L'Europe du Nord contemporaine de 1900 à nos jours aux éditions Ellipses (2006) et de Histoire des relations internationales. De la fin du XVIIIème siècle à l'aube du IIIème Millénaire (2013).

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Atlantico : L'hebdomadaire britannique The Economist a consacré sa Une aux pays nordiques, en affirmant que ces derniers étaient le prochain super modèle à suivre. La Suède, la Norvège, et le Danemark et la Filande sont souvent cités en exemple pour avoir mis en place des réformes pour moins dépenser, tout en conservant un service public très performant, ainsi que pour leur haut niveau d'éducation. Devons-nous nous inspirer davantage du modèle nordique ?

François-Charles Mougel : Il faut aussi inclure l'Islande qui fait partie de la même aire de civilisation. Le modèle nordique est ancien, il  remonte à la seconde guerre mondiale, et pour quelques aspects à l'entre deux guerre. Sa grande caractéristique est surtout d'être évolutif, il n'est pas figé et il s'adapte en permanence. Après les embellies des années 60-70, il a connu des difficultés voire des crises dans les années 80-90, et il a su chaque fois s'organiser. Si l'on devait s'en inspirer, il faudrait adopter une culture de l'adaptation permanente, et non pas se contenter d'un modèle figé qui doit être préservé de façon indéfinie, un peu comme notre système de sécurité sociale et notre système éducatif qui n'est pas mis en perspective avec les besoins du 21ème siècle.

Les Nordiques qui sont fiers de leur modèle ne le présentent jamais leur système comme un exemple à suivre. Ils répètent que c'est quelque chose qui marche bien, et qu'on essaie de perfectionner en permanence pour qu'il puisse continuer.

Il y a plusieurs volets à étudier : tout d'abord, l'aspect social. Le système d'Etat-providence se retrouve dans ces pays, il est largement redistributif, et maintient un haut niveau de protection en matière d'emploi, d'éducation, de service public. Ce système est lui-même changeant. Un rapport d'un économiste norvégien parle "d'Etat de ressources humaines", on ne fige pas ce qui existant. Cela signifie que dans le domaine de l'emploi, on ne se bat pas pour garder des emplois obsolètes ou trop soumis à la concurrence. On cherche des solutions nouvelles. Un système de retraite à point a été mis en place, et le versement des pensions est variable selon les performances de l'économie. Dans le domaine de l'éducation, on a mis en concurrence les écoles privées et es écoles publiques par des systèmes de "bons éducation" qui permettent aux parents de choisir le meilleur établissement avec un système d'évaluation. Il y a donc des modifications en permanence.

Il y a dans ces pays une culture de l'évaluation. Les individus dans leur emploi et les institutions dans leur exercice sont soumis à un système d'évaluation par les usagers et par les pouvoirs publics eux-mêmes. Ce contrôle peut parfois être vécu comme une épreuve sévère, mais permet de vérifier en permanence l'adéquation des dépenses aux besoinsL'Etat et les structures politico-administratives sont également partie prenante de ce modèle nordique en évolution.  Ainsi, récemment, la Finlande a supprimé tous ses départements et est en train de réduire de deux tiers le nombre de ses communes. Une pareille décentralisation est en marche dans les autres pays. On fait disparaître ce qui existe en France, c'est-à-dire le millefeuille administratif, ce qui engendre des économies et donne plus d'efficacité aux services publics.


Il y a aussi une particularité de la culture nordique. Dans ces cinq pays, les instances représentatives négocient permanence pour aboutir à un compromis. Cela suppose une négociation permanente, d'égal à égal, entre l'Etat, le Capital et le Travail. Dans les pays nordiques le taux de syndicalisation oscille entre 60 et 80%, ce qui leur donne une forte capacité d'action, sans surenchère ni excès. C'est un peu l'inverse de la France ! De leur côté les fédérations patronales savent aussi qu'il faut adopter un partage raisonnable entre profits, salaires et impôts, car c'est la garantie d'une paix sociale bénéfique à tout le monde. 

Certes, il ne faut pas être trop idéaliste dans cette analyse, mais le jeu social se veut "gagnant-gagnant". Autre exemple de cet esprit de compromis, en Norvège, on a su constituer et préserver un important fonds, gagé sur les recettes des hydrocarbures, pour financer les retraites et l'Etat-providence quand ces ressources auront disparu.

Au lieu de répartir immédiatement les bénéfices, on les conserve, ce que n'a pas su faire la France avec son fonds des retraites, qui a servi de variable d'ajustement aux finances publiques. Ce sens de la prévision et de la prospective est évidemment très important pour la survie du "modèle".

The Economist souligne néanmoins quelques imperfections : des taxes encore trop lourdes qui encouragent les entrepreneurs à s'exporter et des immigrés qui ne bénéficient pas des aides de l’État. Quelles sont les limites à ce modèle ?

Les pays nordiques sont globalement accusés d'être extraordinairement gourmands en taxes. C'était vrai jusque dans les années 90. Depuis, le niveau de pression fiscale a énormément diminué. Dans le cas de la Suède, le rôle de l’État dans le PIB est passé de 67 à moins de 50%. Pour les autres pays, les proportions sont à peu près comparables Les politiques fiscales vont toutes dans le même sens: abaissement des taxes sur les gains capital et de l'impôt sur les sociétés ( de l'ordre de 30% chacun) et  maintien d'un haut niveau d'impot sur les revenus et la consommation. 

La fiscalité prend aussi en compte les biens collectifs comme l'usage des forêts ou des ressources minérales et hydrologiques, qui sont taxés dès lors que les profits des entreprises dépassent un certain seuil. Ceci n'est pas encore imaginable chez nous, même si notre fiscalité sur l'eau va un peu dans le même sens : un bien collectif doit être protégé, et les entreprises doivent payer pour l'usage de cette ressource collective.

Globalement la taxation est encore lourde, mais aujourd'hui on est descendus en dessous du seuil de 50% des dépenses publiques dans le PIB alors que, notamment en Suède et au Danemark, les taux de prélèvements étaient nettement supérieurs, de l'ordre de 65 % jusqu'aux années 1990. Il faut dire que la politique de redistribution active rend l'impôt supportable et que la culture civique exclut la fraude, une situation qui n'existe pas vraiment en France.


Concernant l'immigration, il faut distinguer les immigrés à statut légal, et ceux à statut illégal : ces derniers sont parfois ostracisés, des quotas ont été mis en place pour éviter de les attirer, et ils sont souvent à l'extérieur des systèmes de protection.  Il faut savoir que la majorité de ceux qui sont en situation régulière ou installés depuis longtemps bénéficient du système de protection social normal.


La question de l'immigration fait l'objet d'une mobilisation politique forte. A part l'Islande, où le problème ne se pose pas, il y a dans les quatre autres pays une nette montée des partis populistes, voire des partis d'extrême-droite. L’idée c'est que le modèle tel qu'il existe est difficile à défendre, et ne peut pas être applicable à tout le monde. Un peu comme Michel Rocard l'avait dit :"on ne peut pas accueillir toute la misère du monde".  Cette question de l'accès aux droits sociaux est cruciale car l'Etat providence va connaître de fortes pressions avec le vieillissement rapide de la population. Il faudra donc arbitrer dans les dépenses sociales et cela risque de poser de graves problèmes politiques, qui ne sont pas résolus à l'heure actuelle.


Pour en revenir à l'impôt, il faut dire que s'il est vrai que des entrepreneurs, des sportifs ou des cinéastes partent à l'étranger, la fraude fiscale est relativement faible dans les pays du Nord car il y a consensus sur l'impôt: même s'il est parfois lourd, il est perçu comme relativement juste car redistributif et équitable. La culture civique est ici importante , ce qui n'est pas toujours le cas dans notre pays.

Les pays scandinaves ont su injecter l'économie de marché dans le fonctionnement de l’État providence pour améliorer ses résultats, et le privé et le public semblent cohabiter sans problème. Cependant, la corruption doit être surveillée pour éviter les conflits d'intérêts. Ce fonctionnement est-il imaginable en France ?

Même si la culture nordique est exigeante en termes d'impôts, elle n'est pas hostile à l'argent et à l'initiative. Il n'y a pas une vision punitive de l'impôt. Bien qu'il existe des grandes fortunes comme les Wallenberg en Suède, les écarts sont relativement plus resserrés dans les pays du nord qu'en France  ou dans les pays du Sud de l'Europe.

C'est une tradition un peu protestante, la marque aussi que la société forme une très grande classe moyenne. plus qu'une pyramide très hiérarchisée. Les notions de privilège ou de caste..

Il faut aussi savoir que ces sociétés, très sensibles à l'intérêt général à l'aspect collectif (mais non collectiviste), ont de secteurs publics marchands relativement étroits. Il n'y a pas de grandes entreprises publiques, comparable à celles que l'on a connues en France avant la période des privatisations, ou même en Grande Bretagne.

Il y a des secteurs parapublics dans le domaine des hydrocarbures , par exemple en Norvège, mais pour le reste, c'est le secteur privé qui gère. Il n'y a pas de conflit idéologique entre secteur public et entreprise privée, donc pas de conflit entre l'intérêt général et le profit.  L'idée, c'est que le système économique doit concourir aux objectifs communs : le plein emploi, et le dynamisme.

Dans la santé, il y a eu introduction d'un système hôpital public/privé pour avoir le meilleur rapport qualité/prix. Mais cela n'a pas été fait dans l'esprit thatchérien comme en Grande-Bretagne qui sous-entend que le privé a toujours raison.  Globalement, donc le système nordique reste un exemple et nombre de pays européens auraient intérêt à l'étudier.. et à s'en inspirer !

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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