Face à la pression de la science chinoise, les scientifiques occidentaux veulent repenser les interdictions de "jouer" avec l'ADN de l'embryon humain<!-- --> | Atlantico.fr
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Ces techniques seront opérationnelles sur l’embryon humain après 2025.
Ces techniques seront opérationnelles sur l’embryon humain après 2025.
©Reuters

Une éthique encombrante

Les rapides progrès de la technologie permettent désormais aux scientifiques de modifier de manière précise l'ADN humain. Principal frein aux prochaines avancées : les cadres légaux, qu'Hinxton, un groupe de chercheurs, demande à revoir.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : Selon le groupe Hinxton,  la modification génétique des embryons humains est de "valeurs inestimable" à la recherche. Leur appel sera-t-il entendu ? Ne s'inscrit-il pas dans une volonté plus générale de dépasser une "barrière éthique" ?

Laurent Alexandre : Ce n’est pas tout à fait exact. Les enzymes modifiant l’ADN (CRISPR et TALEN principalement) ne sont pas suffisamment au point pour être utilisés sur un embryon humain. Plusieurs modifications ont été réussies chez l’animal y compris le chimpanzé. Quand il y a un échec chez l’animal et que le petit est handicapé, cela n’émeut pas grand monde. Chez l’Homme, on ne supporterait pas ce type d'erreurs.

L’appel du groupe Hinxton fait écho à un autre appel. En mars, des chercheurs et industriels ont mis en garde contre les tentatives de modifier des cellules embryonnaires, ce qui modifierait l’hérédité humaine. Les signataires s’inquiétaient particulièrement des risques liés à l’utilisation des CRISPR­Cas9, qu’un étudiant en biologie peut fabriquer en quelques heures. Ce moratoire sur les thérapies géniques embryonnaires, comme beaucoup d’autres avant lui, n’a pas été respecté. Une équipe chinoise a publié, le 18 avril, les premières modifications génétiques sur des embryons humains, destinées à corriger une mutation responsable d’une maladie du sang, la bêta­thalassémie. Cette expérience ne pouvait aboutir à des bébés, car les 86 embryons présentaient des anomalies chromosomiques mortelles avant même la manipulation. Modifier génétiquement un embryon destiné à naître supposerait un "process" zéro défaut. Ce n’est pas le cas aujourd’hui puisqu’une minorité seulement des embryons manipulés ont vu la mutation ciblée corrigée et des modifications non souhaitées sont apparues.

Le groupe Hinxton peut demander la libéralisation des manipulations génétiques en laboratoire mais il est trop tôt pour faire des bébés génétiquement modifiés à grande échelle. A moyen terme, la libéralisation des techniques d’ingénierie génétique est néanmoins probable.

Sans une surveillance adéquate, la science ne pourra-t-elle pas créer des enfants sur mesure ? Les avancées scientifiques le permettent-ils ?

Ces techniques seront opérationnelles sur l’embryon humain après 2025. Nous avons donc le temps de réfléchir à l’immense pouvoir dont nous allons disposer sur notre identité génétique. Est­-il imaginable d’empêcher les parents de concevoir des "bébés à la carte" à partir de 2030 quand la technologie sera au point ? En réalité, les parents du futur exigeront des modifications génétiques embryonnaires pour prévenir le développement de maladies chez leur enfant, mais aussi dans toute sa descendance. Il n’est pas raisonnable d’imposer aux familles des thérapies géniques successives à chaque génération pour traiter les maladies très graves. Qui ne souhaiterait supprimer définitivement le risque d’avoir des descendants atteints de myopathie ou de démence de Huntington ?

Une autre question se posera : faut-il suivre les transhumanistes et utiliser ces technologies non plus pour guérir mais pour augmenter un enfant ?

Quels en seraient les risques justement ? Le fossé riche/pauvre ne se creusera t-il pas d’avantage ?

Le risque d’un fossé économique est faible : le cout de ces technologies s’effondre. Le cout des nucléases a été divisé par 10.000 en sept ans. L’eugénisme sera vite démocratisé !

En revanche, une course au bébé parfait pourrait vite virer au cauchemar. Le grand magazine anglais "The economist" en a fait sa couverture, il y a quelques semaines.

Jusqu'à quand cette barrière éthique qui prend racine dans nos héritages, va-t-elle résister ?

Cette barrière éthique n’existe qu’en Occident. En Asie, une large partie des parents attendent ces technologies pour avoir des bébés plus intelligents. Les Chinois sont beaucoup plus eugénistes que les occidentaux. Et le plus choquant pour nous européens est la volonté d’étendre la logique eugéniste aux capacités intellectuelles. La Chine a lancé un grand programme de séquençage de l’ADN des surdoués. Deux mille deux cents individus porteurs d’un quotient intellectuel au moins égal à 160. Ce programme est réalisé par le Beijing Genomics Institute (BGI), qui est le plus important centre de séquençage de l’ADN du monde. L’objectif des Chinois est de déterminer les variants génétiques favorisant l’intelligence, en comparant le génome des surdoués à celui d’individus à QI moyen.

La part génétique de l’intelligence reste un sujet tabou, ce qui amuse beaucoup les Chinois. « Les gens pensent que c’est un sujet controversé, spécialement les Occidentaux. Ce n’est pas le cas en Chine », a déclaré au Wall Street Journal Zhao Bowen, petit génie de 22 ans qui signa son premier article dans Nature à 15 ans et qui est le patron de ce programme.

Pour les autorités chinoises, tout ce qui augmente le potentiel technologique de la Chine est bon et juste. La Chine veut rattraper son retard technologique et économique par tous les moyens.

"Bienvenue à Gattaca" est un peu simpliste sur le plan génétique mais représente tout de même un vrai risque. 

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