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"Extinction" ou l’apocalypse vue par Julien Gosselin : une fresque théâtrale envoutante
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De : Thomas Bernhard, Hugo Von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler Adaptation : Julien Gosselin Traduction : Henri Christophe, Philippe Forget, Pierre Galissaires, Gilberte Lambrichs, Anne Pernas, Jean-Claude Schneider, Francesca Spinazzi/Panthea Durée : 5h Mise en scène : Julien Gosselin Avec : Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Zarah Kofler, Rosa Lembeck, Victoria Quesnel, Marie Rosa Tietjen, Maxence Vandevelde, Max Von Mechow

Charles-Édouard Aubry pour Culture-Tops

Charles-Édouard Aubry pour Culture-Tops

Charles-Édouard Aubry est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THÈME

Pas facile de résumerExtinctiontellement ce qui se cache derrière l’idée de fin du monde prend ici des formes détournées, variées et surprenantes.

La représentation commence par un DJ set de musique électronique d’une heure environ, sur la scène, que les spectateurs sont conviés à occuper comme dans une boîte de nuit ou un festival électro.

Puis après qu’en une vingtaine de minutes, les techniciens aient construit une maison sur la scène, nous plongeons dans l’ambiance très raffinée de la Vienne du début du XXème siècle. Une dizaine d’hommes et de femmes s’attaquent très méthodiquement à la destruction de la société qui les abrite. Ils sont notables ou intellectuels et racontent des histoires directement issues de l’œuvre d’Arthur Schnitzler. C’est la fin d’un monde, la fin du monde et c’est sans espoir.

Enfin, après un nouvel entracte (le temps de démonter la maison), nous assistons à une conférence (c’est le temps du récit d’Extinction, de Thomas Bernhard) ou une femme décrit les rapports qui la désunissent à sa famille avec un portrait au vitriol. C’est la fin du monde ancien, de l’ordre habituel des choses et peut-être … le début d’une nouvelle ère. 50 spectateurs partagent la scène, brouillant encore un peu plus la frontière entre la scène et le public.

POINTS FORTS

De multiples points forts mais surtout une impression globale, l’expression d’une énergie qui se fait de plus en plus destructrice et désespérée au fur et à mesure que le spectacle avance. La mort qui rôde dès le début étend progressivement son emprise sur la pièce, de manière anecdotique d’abord (l’histoire du Chinois qui doit être gracié mais et gracié in extremis) puis de plus en plus expressive. L’intensité augmente progressivement jusqu’à un paroxysme final dans une scène apocalyptique qu’on n’imaginait pas, mentalement et physiquement, possible au théâtre.

Le spectacle gagne la partie aussi par ses excès et sa radicalité : on pourra penser ce qu’on veut de la première partie, elle existe pour déranger le spectateur, aller contre ses habitudes et le confronter à une expérience inédite : celle d’assister à un monde grotesque et inhumain en pleine décomposition.

On a souvent vu ses dernières années un recours excessif à la vidéo, nouveau gadget à la mode, qui oublie un peu vite que le théâtre est un spectacle vivant. Ici le débat n’a pas lieu d’être. D’abord parce que, même si le dispositif est omniprésent, il est parfaitement intégré à la narration et au jeu des comédiens. Ensuite parce que la qualité des cadreurs et de la réalisation donne vraiment l’impression que le film est le résultat d’un travail cinématographique extrêmement travaillé, comme on pourrait le voir au cinéma. Le choix du noir et blanc rajoute encore à la noirceur et à la radicalité du discours et de la mise en scène.

Les acteurs et actrices sont issus pour les uns de la troupe avec laquelle Gosselin travaille depuis toujours et pour les autres des comédiens et comédiennes allemands de la Volksbühne, l’une des plus grandes institutions berlinoises. Tout ce petit monde s’entend à merveille, les deux langues se mélangent joyeusement dans la même conversation (des surtitres complètent le dispositif) et rapidement le spectateur trouve ses marques sans être gêné. Et même si les français et les allemands abordent les textes de façon différente, ils communient à la même coupe.

Je terminerai en disant mon admiration pour l’inspiration et le travail de Julien Gosselin, sa capacité à aller au bout du bout de sa démarche, sans compromis ni faiblesse.

QUELQUES RÉSERVES

Evidemment, qui dit DJ Set, avec la musique de Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde,dit qu’il faut mieux aller boire une bière sur la piste de dance que rester sagement dans les gradins en espérant que ça s’arrête car la musique techno à plein volume (même avec des bouchons d’oreille distribués à l’entrée) n’est pas forcément l’ami de l’amateur de théâtre.

Ce passage m’a rappelé la longue scène dans2066, d’après Roberto Bolaño (un précédent spectacle de Gosselin) pendant laquelle sont scandés les dizaines de noms des personnes assassinées à Cuidad Juarez par les cartels de la drogue, sur un fond de musique industrielle de plus en forte jusqu’à en devenir intolérable, à l’image des meurtres qu’il dénonçait.

La radicalité a un prix !

ENCORE UN MOT...

Julien Gosselin s’est longtemps concentré sur les textes d’auteurs contemporains,Les particules élémentairesde Michel Houellebecq,Je ne vous ai jamais aiméd’après Pascal Bouaziz,Le pèred’après Stéphanie Chaillou, 2066 d’après Roberto Bolanño,1993d’après Aurélien Bellanger,Joueurs / Mao / Les nomsd’après Dom Delillo ouLe passéd’après Léonid Andreïev.

Avec Extinction, il se confronte à un passé proche. Il le compare à une visite des runes de Pompéi où il s’agirait non seulement d’exhumer les corps enfouis sous la cendre, mais aussi de les confronter à notre présent.

UNE PHRASE

“Tout brûler, tout éteindre, afin que quelque chose apparaisse »

L'AUTEUR

Même s’il n’est pas à proprement parlé l’auteur des textes,Julien Gosselinest véritablement l’auteur d’Extinction, qu’il a imaginé, construit et réalisé.

Il est né en 1987 dans le Pas-de-Calais. En 2009, il fonde le collectifSi vous pouviez lécher mon cœur, au côté des collègues avec lesquels il a effectué ses études d’art dramatique.

Il monte successivement les pièces citées dans le paragraphe ci-dessus et impose sa marque de fabrique et rencontre un succès qui ne s’est jamais démenti.

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