Excédents commerciaux allemands : pourquoi la France devrait contraindre Berlin à respecter ses engagements<!-- --> | Atlantico.fr
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Un plan de relance allemand de la demande intérieure pourrait profiter économiquement aux autres pays, et participer à une relance de la croissance comme en France.
Un plan de relance allemand de la demande intérieure pourrait profiter économiquement aux autres pays, et participer à une relance de la croissance comme en France.
©Reuters

Pour une relance de la zone euro

En continuant à exporter à ses partenaires européens qui conservent une certaine demande intérieure - comme la France -, tout en n'investissant pas, l'Allemagne accuse des excédents commerciaux dépassant le seuil prévu par la législation européenne de 7% du PIB. Un plan de relance allemand de la demande intérieure pourrait profiter économiquement aux autres pays et participer à une relance de la croissance comme en France.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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  • A partir d'un certain seuil, une balance commerciale excédentaire dans la zone euro va à l'encontre des dispositions du Six Pack votées en novembre 2011
  • L'Allemagne, avec ses excédents de balance courante à +7%/PIB ne respecte pas ces dispositions, et en fait un manquement de la même gravité que les déficits budgétaires non maitrisés.
  • L'Allemagne pourrait être contrainte par les institutions européennes de diminuer ses excédents commerciaux en mettant en place un plan d'investissement intérieur.
  • Celui-ci profiterait à l'ensemble de ses partenaires européens, dont la France.

Atlantico : L'Allemagne brandit souvent le manquement aux règles européennes en termes de déficits publics pour dénoncer l'attitude de la France. En quoi l'Allemagne est-elle également fautive du point de vue de la législation européenne, et notamment concernant ses excédants commerciaux ?

Mathieu Mucherie : Les responsables politiques et les banquiers centraux ont tendance à violer les règles, y compris celles qu’ils viennent de graver dans le marbre. Toute la technique consiste à agir comme des pirates tout en renforçant sa réputation d’orthodoxie pour continuer à donner des leçons et le tout dans la joie et dans la bonne conscience bourgeoise : la transgression vertueuse, la tartufferie en toute impunité. Il y a ceux qui n’y arrivent pas, car on voit tout de suite que ce sont des délinquants monétaires et des multirécidivistes budgétaires : le Zimbabwe, la France, la Sicile. Et il y a ceux qui réussissent sur toute la ligne, ceux dont les finasseries passent en dessous du radar médiatique : les Allemands, à Berlin comme à Francfort. Illustrations :

1/ l’Allemagne viole tous ses engagements sur le plafonnement des excédents de balance courante (les fameux +7%/PIB). Notons que les excédents viennent au moins autant du malthusianisme sur les investissements en Allemagne (qui se sont effondrés au début des années 2000) que des comportements plus ou moins vertueux sur l’épargne ou sur la balance commerciale :  

L’Allemagne reste impunément néo-mercantiliste, ce qui est très coûteux pour la collectivité dans un contexte de croissance quasi-nulle. Les gains du commerce extérieur ne sont pas dépensés en importations (le rêve d’une Allemagne "locomotive de la croissance européenne"), ils sont thésaurisés ou dépensés à l’échelle domestique. Quant aux gains nés du flight to quality (le "salaire de la peur", la baisse des taux allemands suite à la crise périphérique), ils ne font l’objet d’aucune redistribution, d’aucun plan Marshall. Mis à part quelques prêts bilatéraux très limités, l’Allemagne qui se dit fédéraliste n’a pas déboursé un traitre centime d’euro pour aider ses partenaires en pleine chute depuis 2009. La machine allemande tourne au profit du Kapital allemand (et de certains salariés qualifiés), et les autorités allemandes font tout pour saboter l’idée d’un quantitative easing ou d’une aide budgétaire inconditionnelle ou d’une dévaluation ou d’une vaste remise des dettes. Toutes choses que l’Allemagne a obtenu pour elle (et massivement !!) à d’autres époques, soit dit en passant.

>> Lire également : Euro-bugs, un virage décisif  ? Pourquoi l'Allemagne est loin de ne devoir ses excédents qu'à la gestion vertueuse de son économie (et ce que pourrait faire la Commission européenne maintenant qu'elle en a pris conscience

2/ Les dépenses publiques. Il est bien connu que ce sont les Allemands qui les premiers, en 2003, ont violé le Pacte de stabilité, dans les grandes largeurs, impunément, et sans le prétexte d’une grave récession, ouvrant la voie aux franco-gréco-portugais. Ce que l’on dit moins, et qui est bien plus grave (après tout, le Pacte est d’une bêtise totale) : l’austérité vaut pour les autres dans les moments de crise. L’Allemagne est une championne de la dépense contra-cyclique, l’Italie souvent vilipendée est une championne de la rigueur : sur ce graphique, les dépenses publiques, base 100 au début de la crise : 

(et cela ne tient même pas compte du fait que les taux d’intérêt allemands sont plus sympathiques que les taux italiens, ou du fait que de très lourdes pertes des banques régionales allemandes sont hors-bilans, glissées sous le tapis).

C’est encore plus joli avec les dépenses gouvernementales les plus improductives, celle dites de consommation, en gros les dépenses de fonctionnement que l’Allemagne pourchasse dans tous les coins de la zone euro (sauf chez elle) :

Comment la France pourrait-elle utiliser politiquement cette faille législative allemande pour influer sur la Commission européenne et la Banque centrale européenne ?

Nicolas Goetzmann : L’idéologie est très forte ici. L’idée du surplus est généralement perçue comme la conséquence d’un bon comportement. Le surplus c’est bien et le déficit commercial c’est mauvais. Pour ceux qui défendent une telle idée, contraindre l’Allemagne à faire moins de surplus relève de l’anomalie, comme si on empêchait les bons élèves d’être bons.

Evidemment, cette pensée ne repose sur rien d’autre qu’une bonne dose de morale. Le pays le plus prospère du monde, les Etats Unis, n’ont pas eu de surplus depuis 40 ans.

Pour influer sur la Commission et sur la Banque centrale européenne, il ne suffira pas d’agir par rapport au surplus allemand, parce que tout le monde aura l’impression que l’on s’en prend au "bon élève". Ce qu’il faut, c’est aller sur le terrain des idées, et aller attaquer les dogmes européens : la stabilité des prix comme seul objectif de la banque centrale et les surplus commerciaux. C’est une recette économique adaptée pour un pays de taille intermédiaire, pas pour un ensemble géant comme la zone euro.

Christophe Bouillaud : Cette utilisation s’avèrera très difficile tant que le gouvernement français ne se sera pas résolu à s’appuyer sur un récit crédible permettant d’expliquer le déficit permanent de la France depuis des décennies. Tant que le déficit de l’Etat sera considéré par définition même des Traités européens et par les économistes les plus hégémoniques  comme une mauvaise chose en elle-même, notre pays opérera sur la scène européenne en situation de faiblesse.

On pourrait pourtant profiter de l’affaire "Luxleaks" pour rappeler que, par européisme, notre pays a accepté de fait une concurrence fiscale lui faisant perdre une grande partie de sa base fiscale au profit des "passagers clandestins" de l’Europe que sont le Luxembourg ou l’Irlande. On pourrait aussi faire remarquer à nos partenaires européens qu’ils ont été bien contents de trouver les consommateurs français pour soutenir la demande européenne en 2009-2012, évitant ainsi une crise plus profonde que celle que l’on a connue.

On pourrait enfin souligner que nos déficits correspondent aussi à des dépenses qui ont préparé l’avenir, ne serait-ce que parce qu’il faut bien éduquer les enfants qui naissent nombreux sur notre territoire. Il faut en effet combattre l’idée qu’investir dans l’avenir, cela consiste seulement à construire  des infrastructures matérielles. L’investissement, c’est une très grande part de l’action de l’Etat en réalité : par exemple, mettre des escrocs en prison grâce à une police et une justice efficaces, c’est investir dans le respect des contrats par les agents économiques, et c’est payant pour l’image du pays auprès des investisseurs. Au-delà de ces considérations qui remettraient à plat ce que veut dire "avoir un déficit" pour un Etat européen, la France doit utiliser la mauvaise conjoncture économique et sociale dans la plus grande partie de l’Europe du sud, pour souligner l’inanité de la politique économique d’austérité qu’entendent nous faire suivre les autorités européennes et l’Allemagne.

Il faut répondre franchement aux propos d’Angela Merkel qui accusent la France et l’Italie de ne pas avoir encore fait assez de "réformes structurelles", en soulignant que l’Allemagne, vu son excédent commercial, n’a encore rien fait pour relancer la consommation et l’investissement chez elle afin d’aider à améliorer la conjoncture européenne. Il faut insister, non pas sur la santé des pays européens pris isolément, mais sur l’idée de l’Europe comme un ensemble économique continental qui peut et doit revenir à une croissance importante à travers sa propre activité économique. L’Allemagne fait comme si la croissance était nécessairement et uniquement liée aux exportations. C’est une vision fausse pour un ensemble continental comme l’Europe. Si tous les pays européens devenaient nettement exportateurs comme l’Allemagne, qui absorberait toutes ces exportations supplémentaires?

Un bloc européen uni pourrait-il obtenir comme concession par exemple une relance de l'investissement intérieur allemand ?

Nicolas Goetzmann : C’est là que la situation est la plus incompréhensible. Le surplus allemand est la conséquence de la décision des entreprises d’investir hors du pays. En investissant à l’étranger, on finance les déficits des autres, ce qui a permis l’apparition de ce surplus commercial allemand. Car il s’agit de ne pas oublier que l’Allemagne a un niveau d’investissement plus faible que celui de la France.

Mais on ne peut pas contraindre les entreprises allemandes à investir dans leur propre pays. Le seul moyen réel d’inciter les entreprises allemandes à y investir serait que la demande intérieure soit plus forte, ce qui signifie que la banque centrale européenne doit relancer fortement l’économie européenne. Voilà pourquoi L’Europe est, dans sa configuration actuelle, un serpent qui se mord la queue. La leçon à retenir est que la stratégie économique allemande dévoile une intention de domination plutôt qu’une volonté de coopération.

L’Allemagne ne soutiendra pas une relance par la BCE, parce que si les conditions économiques étaient plus équilibrées pour tous, elle perdrait sa position dominante actuelle. C’est ce que ne veulent pas comprendre les fervents supporters de l’Allemagne. Avec une banque centrale qui stabilise la croissance nominale, l’Allemagne perdrait des parts de marché.

Christophe Bouillaud : Déjà, il faut bien constater qu’il n’existe pas de "bloc européen uni" ! L’Allemagne a ses alliés, et dans le fond, seules l’Italie et la France se plaignent vraiment au grand jour du cours européen choisi sous sa direction. De plus, face à une Allemagne jouissant au moins en apparence d’une très bonne santé économique avec un pouvoir politique de "grande coalition" soutenu par une majorité de la population, il est difficile d’imaginer comment les autres Européens pourraient lui imposer quoi que ce soit, surtout pour une décision comme la relance de l’investissement intérieur. Le gouvernement allemand a accepté récemment un petit effort (10 milliards d’euros) qui ne remettait pas en cause son choix de l’équilibre budgétaire. L’Allemagne de Merkel aura du mal à aller plus loin, sauf si la conjoncture économique se dégradait au point de mettre en cause la survie même de la zone Euro. C’est là à mon avis le seul argument à prendre en compte : la survie de la zone Euro reste pour la majorité CDU-CSU-SPD un objectif non négociable. Si des partenaires (l’Italie ou la France) mettaient de manière crédible la survie de cette dernière dans le jeu de la négociation, peut-être obtiendraient-ils plus de choses.

Tant que la survie de la zone Euro n’est pas en jeu, les dirigeants allemands continueront de pousser à l’adoption de leur vision des choses par tous les pays, et en particulier par la France. Quelque peu paradoxalement, c’est parce que la BCE tend à garantir depuis l’été 2012 la survie de la zone Euro quoi qu’il arrive, ce qui se traduit dans les très bas taux d’intérêt sur les dettes publiques des pays de la zone Euro, que l’Allemagne peut se montrer  insensible aux arguments de ses partenaires et exiger toujours plus d’austérité et de "réformes structurelles".  Le risque à pousser son avantage est devenu faible à ses yeux. Au vu de ses récentes déclarations dans die Welt, on peut même se demander si A. Merkel ne pousserait pas désormais F. Hollande vers la sortie, puisqu’elle ne peut ignorer que sa faible popularité (moins de 15%) lui interdit toute grande "réforme structurelle" à l’allemande, sauf à risquer le pire du point de vue intérieur. On ne fait pas en effet de telles réformes dans un semblable climat de défiance. Matteo Renzi a pu se lancer dans des réformes structurelles et institutionnelles, parce qu’il était très populaire quand il est arrivé aux affaires en février 2014 et qu’il le reste encore bien plus que F. Hollande en cette fin d’année 2014.

Si l'Allemagne devait combler ses 7% de balance commerciale excédentaire, pour combien devrait-elle importer en Europe et en France ? Qu'est-ce que la France pourrait espérer en obtenir, et comment cela ? Quels secteurs d'activité ? A quelle échéance pourrions-nous en sentir les effets ?

Nicolas Goetzmann : Le raisonnement est inverse. Pour que l’Allemagne cesse d’accumuler des surplus, elle devrait arrêter de financer les déficits des autres avec ses profits. C’est-à-dire que les entreprises doivent se servir de ces profits pour soutenir les salaires et investir en Allemagne. Une telle action aurait pour effet de relancer l’activité intérieure du pays et donc les importations pour une part. Le pays importe 40% de son PIB, c’est-à-dire que pour 1 euro dépensé, elle importe 40 centimes. Si l’Allemagne réinvestie ces 7% dans son économie, cela lui fera moins d’exportations (parce qu’elle ne les financera plus) et plus d’importations.

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