Euthanasie : pouvons-nous nous permettre d’ignorer l’effet Werther sur les suicides mimétiques dans une société en pleine crise de doute sur son avenir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il est tout à fait contradictoire d’organiser des campagnes de prévention du suicide et, en parallèle, de promouvoir une forme de mort provoquée", estime Claire Fourcade.
"Il est tout à fait contradictoire d’organiser des campagnes de prévention du suicide et, en parallèle, de promouvoir une forme de mort provoquée", estime Claire Fourcade.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Influence négative

Dans un entretien à France Info, le docteur Alexis Burnod, chef de service de soins palliatifs à l’Institut Curie, explique que le projet de loi sur la fin de vie ignore l’effet Werther.

Claire Fourcade

Claire Fourcade

Claire Fourcade est présidente de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP). Formée au Canada, est médecin dans le pôle de soins palliatifs (EMSP + service de SP + HDJ) de la Polyclinique Le Languedoc à Narbonne depuis 20 ans.

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Alain Derniaux

Alain Derniaux

Le Dr Alain Derniaux est ancien vice-président de la SFAP.

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Atlantico : Dans un entretien à France Info, le docteur Alexis Burnod, chef de service de soins palliatifs à l’Institut Curie, explique que le projet de loi sur la fin de vie ignore l’effet Werther. De quoi parle-t-il ? 

Claire Fourcade : L’effet Werther a été décrit en 1982 par le sociologue David Philipps. Celui-ci faisait allusion au roman de Goethe paru en 1774 où le héro principal se suicide. On découvrit que de nombreux lecteurs avaient également mis fin à leurs jours de la même manière que le héros du livre, à tel point que le livre fut interdit. 

En légalisant le suicide assisté et l’euthanasie, on banalise le suicide. Il est tout à fait contradictoire d’organiser des campagnes de prévention du suicide et, en parallèle, de promouvoir une forme de mort provoquée. Les associations qui aident les personnes souhaitant mettre fin à leurs jours sont désemparées par cette situation. L’interdit implicite du suicide retient des personnes à la vie et diffuse un message constant porté par la société.

Est-ce que nous avons une idée chiffrée de l’influence de cet effet en cas de suicide sur l’entourage ou même dans les cas très médiatiques ?

Claire Fourcade :Il y a eu une hausse des suicides de 25 % chez les femmes de 45-49 ans dans les semaines ayant suivi le suicide de la chanteuse Dalida en 1987. Le même phénomène a été constaté lors de la mort du chanteur Kurt Cobain en 1994. Il y a un réel et tragique lien de cause entre les passages à l’acte de nombreuses personnes et le message véhiculé par la célébrité. A l’inverse, des célébrités témoignant de crise suicidaire surpassées ont un effet protecteur sur les personnes ayant des pensées suicidaires. 

9000 personnes se suicident chaque année en France. Le corps social a un vrai rôle de protection à incarner. 

Qu’apprend-on dans les pays où l’euthanasie a été légalisée ? Est-ce qu’il y a eu un effet d’incitation ? 

Claire Fourcade :Dans la majorité des pays ayant légalisé le suicide assisté et l’euthanasie, les taux de suicides non-assistés n’ont pas diminué. Au contraire, il augmente. Une étude mensée par le professeur David Albert Jones et le professeur David Paton montre que les 10 états américains ayant légalisé une telle forme de mort ont vu le nombre de suicide assisté et non-assisté augmenter de 6,3 %. 

S’agissant des Etats européens, les mêmes résultats sont observés concernant le taux de suicide non-assisté, notamment parmi la population féminine.

Alain Derniaux : Une loi donne un droit, ce qui, nécessairement, stimule et déclenche un certain nombre de demandes, voire un certain nombre de pression internes (je ne suis plus digne de vivre, je suis un poids pour mes proches, je suis seul, ma vie n’a plus de sens, je n’ai pas accès à des professionnels compétents en soins palliatifs…), mais aussi des pressions externes (famille, proches, soignants..., impératifs économiques !)

Que dire des mutuelles qui ont manifesté leur soutien à cette évolution législative ?

De quel droit se sont-elles immiscées dans un débat public, politique et médiatique ?

Ne devraient-elles pas respecter un devoir de neutralité dans un tel débat ?

Mais une loi entraine des devoirs, le devoir de la respecter, le devoir d’en organiser les conditions d’application !

Si la clause de conscience concerne des individus, elle ne concerne en aucun cas des établissements de soins et ceux-ci seront dans l’obligation de répondre à l’ensemble des demandes de suicide assisté et/ou d’euthanasie.

Cela va provoquer le clivage au sein des structures de soins, un fractionnement de la médecine et une meurtrissure irréversible dans le corps des professionnels de santé ; des lits de soins à côté de lits de morts programmés !

Les pays ayant légalisé (ou dépénalisé) le suicide assisté et l’euthanasie ont observé un élargissement constant des indications (aux mineurs, aux malades psychiatriques, aux personnes fatiguées de vivre…) tout en élargissant le temps séparant la personne de sa mort « attendue » en cas de maladie incurable.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes avec une augmentation constante jusqu’à représenter 8 à 10% ses décès au Canada en 2023 !

Les défenseurs du projet de loi expliquent que ce texte instaure une nouvelle liberté pour l’individu et ne concerne pas les personnes qui l’entourent. Que pensez-vous de cet argument ?

Claire Fourcade :Le suicide de certaines célébrités et l’effet qui en résulte illustre parfaitement le danger d’isoler l’individu du reste du corps social et de ses proches en invoquant son “autonomie”. Le suicide ne peut être cantonné à une sphère individuelle. On invoque un principe général d’autonomie personnelle pour lequel, chacun, parce qu’il y a droit, peut exiger que le droit à mourir soit rendu effectif. La légalisation de l’euthanasie risque d’appauvrir grandement les relations inter-personnelles qui nous placent tous en position d’interdépendance.

Alain Derniaux : Il ne peut être question de liberté quand une loi oblige une partie de la population à tuer son prochain ; c’est un fantasme de liberté c’est une rupture grave et profonde du lien de fraternité, du lien de solidarité avec les plus vulnérables d’entre nous.

Le deuil des proches après une euthanasie ou un suicide est souvent plus difficile à traverser.

N’oublions pas que la proportion de malades demandant une mort anticipée est de 3% à l’entrée dans une structure d’hospitalisation en soins palliatifs et qu’au bout de quelques jours de prise en charge adaptée elle se réduit au chiffre de 0,3% !

Alors pourquoi une telle loi avant d’avoir permis à chaque personne malade d’accéder à une expertise dans le traitement des douleurs, des souffrances, de l’isolement, de la détresse sociale ?

Il s’agira alors d’un bouleversement anthropologique majeur qui bouleversera nos sociétés en faisant des plus faibles des candidats à la mort plutôt que des candidats à une vie digne d’être accompagnée, soulagée jusqu’à son terme.

La loi pour autoriser l’euthanasie dans quelques mois versus les moyens pour améliorer concrètement les soins palliatifs et leur accès d’ici à 10 ans !

Deux poids deux mesures dans une société mortifère, marquée par l’immédiateté, le délire d’autonomie au mépris de la solidarité, mais marquée également par ce que l’on pourrait nommer l’euthanasie sociale qui ne tient pas compte de la vulnérabilité de l’être humain.

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