Etat, partenaires sociaux, corps médical... qui est le plus légitime pour définir ce qu'est un métier pénible au 21e siècle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Ayrault a annoncé la création d'un "compte-temps pénibilité" dès 2015.
Jean-Marc Ayrault a annoncé la création d'un "compte-temps pénibilité" dès 2015.
©Reuters

Science infuse

Un nouveau dispositif va prendre en compte la pénibilité du travail pour permettre à certains un départ anticipé à la retraite. Mais la notion de pénibilité, bien que définie précisément dans la loi, est sujette à débat.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : Le Premier ministre a annoncé la création d'un "compte-temps pénibilité" dès 2015, qui sera basé sur les "dix facteurs de risque" de pénibilité définis par la loi - qui regroupent les contraintes physiques, de rythmes de travail et d'agressivité de l'environnement. Ces critères sont ils de bons indicateurs pour définir ce qu'est un "métier pénible" ?

Hubert Landier : La pénibilité du travail est une réalité qui, pendant longtemps, n’a pas été véritablement été prise en compte. Il ne s’agissait pas de réduire la pénibilité des tâches, mais de la compenser par des primes ou par une réduction de la durée du travail. Sauf exception, l’amélioration des conditions de travail n’a commencé à être un sujet de discussion et de négociation qu’au début des années soixante-dix. C’est à ce moment là qu’a été créée l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Mais à l’époque, on s’intéressait surtout aux conditions physiques de travail ; ce n’est que plus tard que l’on a commencé à s’intéresser à ses conditions mentales : charge mentale de travail, risques psychosociaux. Quoi qu’il en soit, la démarche du premier ministre s’inscrit donc dans une continuité.

La position gouvernementale sur la reconnaissance des métiers pénibles est-elle similaire à celle des syndicats, voire des représentants du corps médical s'exprimant sur ce sujet ? Y a-t-il consensus en France sur ce qui est "pénible" au travail ?

Comme tout référentiel, les critères adoptés par le gouvernement sont discutables. Les syndicats souhaitent tout naturellement les étendre alors que le patronat souhaite au contraire les restreindre. Il ne peut pas exister de définition définitive et absolue de la pénibilité. D’une part, une situation vécue comme stressante par l’un sera bien supportée par l’autre. D’autre part, le risque résultant notamment de la manipulation de certaines matières n’apparaît que progressivement ; ceci a été le cas, par exemple, de l’amiante. Compte tenu de l’évolution des techniques, il y en aura d’autres.

Qu'en est-il des autres formes de pénibilité, comme par exemple des temps de trajets très longs, ou une plus grande pression - notamment sur les cadres - en période de crise ? La pénibilité strictement "physique" ne dénote-t-elle pas d'une vision passéiste de ce qui est réellement usant dans le monde du travail ?

Effectivement, la pénibilité physique a laissé place à d’autres formes de pénibilité, et notamment à des formes d’organisation du travail porteuses de risques de stress. Il y a eu au cours de ces dernières années tout un débat sur les risques psychosociaux. Ceux-ci en effet sont liés au travail, mais également à la façon dont l’intéressé les supporte. Une personne en mauvaise santé, qui a des problèmes familiaux, qui doit supporter tous les jours de longs trajets entre son domicile et son lieu de travail, supportera plus difficilement la pression du travail qu’une autre. Le problème est celui d’un équilibre, aujourd’hui souvent difficile, entre les différentes dimensions de la vie de la personne.

Pourquoi la seule prise en compte de la pénibilité au travail passe par la possibilité de pouvoir partir à la retraite plus tôt, au lieu, par exemple, d'envisager un vaste plan pour rendre les emplois moins pénibles ? La pénibilité n'est-elle pas finalement instrumentalisées par les syndicats ou le monde politique pour influer le débat sur les retraites ?

Bien entendu, il est juste que ceux qui ont travaillé toute leur vie dans des conditions pénibles et qui sont usés, comme le montrent les statistiques portant sur l’espérance de vie, puissent accéder à la retraite plus tôt. Mais le débat actuel sur les retraites, indépendamment de la pénibilité du travail, tend à occulter une question de fond : pourquoi les gens sont-ils si pressés de fuir leur travail et de prendre leur retraite le plus tôt possible ? C’est probablement que ce qu’ils font ne les intéresse plus, qu’ils n’y croient plus, que leur travail a cessé d’être une source de développement personnel, qu’il a cessé d’être porteur de sens. Et tant qu’on n’aura pas réfléchi à ce que doivent être les conditions de travail pour que celui-ci soit effectivement une source de satisfaction au lieu d’être seulement un moyen de gagner sa vie, le problème des retraites restera insoluble.

Il y a une histoire qui raconte la situation de trois tailleurs de pierre, sur un chantier sur les bords de la Seine, au Moyen Âge ; un passant demande au premier ce qu’il fait, et celui-ci répond : "je casse une pierre", le second, interrogé à son tour, répond : "je taille un bloc selon des côtes bien précises afin qu’il puisse venir s’insérer dans une structure" ; le dernier enfin, se contente de dire : "je participe à la construction d’une cathédrale". Il y a à notre époque trop de gens qui ont le sentiment de faire un travail pénible et sans intérêt et trop peu qui y voient une source de fierté et une contribution à la vie de la Cité. Ce n’est pas une question de pénibilité, c’est beaucoup plus profond. Et c’est ça le véritable problème.

Propos recueillis par Damien Durand

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