Et pendant ce temps-là, voilà la politique migratoire que vient de décider l’Allemagne (sans consulter ses partenaires)<!-- --> | Atlantico.fr
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Olaf Scholz et la maire de Berlin Franziska Giffey échangent avec des ingénieurs en mécanique lors d'une visite de l'usine de BMW à Berlin, le 19 décembre 2022.
Olaf Scholz et la maire de Berlin Franziska Giffey échangent avec des ingénieurs en mécanique lors d'une visite de l'usine de BMW à Berlin, le 19 décembre 2022.
©Photo de Tobias Schwarz / AFP

Solidarité européenne ?

Avec sa nouvelle loi sur l’immigration qualifiée, l’Allemagne entend devenir le pays doté du « droit de l’immigration le plus moderne en Europe ». Ce nouveau système doit permettre d’attirer des travailleurs étrangers expérimentés et confirme la volonté du gouvernement allemand d’ouvrir davantage son marché du travail aux immigrés.

Catherine Perron

Catherine Perron

Catherine Perron est politologue et chargée de recherche à Sciences Po. Entrée au CERI en 2002, Catherine Perron est diplômée de Sciences Po et de l'Université libre de Berlin. Ses recherches actuelles portent sur les migrations forcées et les politiques de l'histoire et de la mémoire en Allemagne et dans les pays d'Europe centrale et orientale.

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Jeanette Süẞ

Jeanette Süẞ

Jeanette Süẞ est chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri), où elle travaille en particulier sur l’Union européenne et les relations franco-allemandes.

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Atlantico : Quels sont les principaux éléments de la nouvelle loi allemande sur l'immigration qualifiée ? Quel est son objectif ? 

Jeanette Süß : Il s'agit de la deuxième grande réforme du système d'immigration en Allemagne. Le gouvernement précédent, sous la direction de la chancelière Angela Merkel, avait déjà réformé le système. Cette réforme a été réalisée en 2020, il y a donc peu de temps.  

Cette nouvelle loi porte le même nom que la précédente, mais elle apporte des changements fondamentaux par rapport aux critères de qualification. Elle comprend deux nouveaux dispositifs, dont l'un est assez connu à l'échelle mondiale. Il s'agit du système à points, qui s'inspire directement de systèmes mis en place au Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Deuxièmement, il y a des dispositifs pour les travailleurs expérimentés, c'est-à-dire des personnes ayant au moins deux ans d'expérience professionnelle pertinente pour les métiers qu'ils souhaitent exercer. 

La précédente loi visait à faciliter l'entrée sur le marché du travail pour les travailleurs étrangers, mais sans abroger la logique de l'équivalence des normes allemandes en terme de qualification. Avec cette nouvelle loi, pour les travailleurs expérimentés, il est peu probable que des ressortissants de pays non-membres de l'UE aient les mêmes qualifications formelles que celles requises en Allemagne. Il y a donc un véritable changement de paradigme, non seulement du point de vue des employeurs, mais aussi dans la législation qui sera mise en place. Par exemple, un ingénieur du Ghana devra présenter son diplôme du Ghana et il ne sera plus nécessaire d'exiger des qualifications exactement équivalentes dans tous les aspects de la formation, car cela serait tout simplement irréaliste. 

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Catherine Perron : Je crois que le principal élément à retenir est qu’un débat factuel et dépassionné sur l’immigration est possible et souhaitable. La nouvelle loi sur l’immigration allemande, met en place un système d’immigration moderne. Elle crée des nouvelles voies d’immigration vers l’Allemagne qui sont censées être simplifiées mais contrôlées. Il existe désormais trois voies pour venir travailler en Allemagne: la première s’adresse aux personnes ayant un diplôme reconnu en Allemagne et un contrat de travail, la seconde aux personnes ayant un diplôme reconnu dans un autre pays et un contrat de travail, et la troisième à ceux qui ont un diplôme reconnu dans un pays tiers mais sans contrat de travail sur place. Ce sont les deux dernières voies qui représentent la véritable nouveauté : à savoir la possibilité de voir reconnu un diplôme étranger plus facilement, et celle d’entrer en Allemagne et de chercher du travail sur place. Une note du CERFA s’est intéressée à ces trois voies d’immigration et aux différentes manières d’accéder au marché du travail allemand et comment il est possible d’entrer en Allemagne et d’obtenir un titre de séjour (Entre inertie et ouverture. L’Allemagne réforme son système d’immigration de travail, par Jeannette Süß, parue en juillet 2023)

L’objectif est d’attirer des travailleurs qualifiés. Il n’est pas nouveau, il date du début des années 2000. Cette situation est née du constat factuel lié aux évolutions démographiques de l’Allemagne, du manque de main-d’œuvre lié au vieillissement de la population et du manque de travailleurs qualifiés. Au début des années 2000, des tentatives de simplifications des procédures d’immigration avaient déjà été menées afin de pouvoir faire venir des travailleurs étrangers. Cela a été un échec, notamment pour des raisons administratives qui rendaient l’installation en Allemagne très difficile. Des obstacles étaient entre autres les très hauts salaires exigés, le type de contrats et la question de la difficile reconnaissance des diplômes étrangers. Les exigences étaient élevées de la part des employeurs. Très peu de travailleurs étrangers venaient s’installer.

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Le discours sur la nécessaire culture de la bienvenue (« willkommenskultur »), l’un des grands slogans en 2015 au moment de la crise des réfugiés est issu de cette expérience. Il ne visait pas au départ à l’accueil de réfugiés à mais à rendre l’installation en Allemagne attractive pour ces travailleurs aux profils recherchés.  A la fin des années 2000 et au début des années 2010, une réflexion a donc été engagée dans les milieux patronaux sur la manière de rendre l’Allemagne plus accueillante. Un accompagnement pour les formalités administratives et un allègement de celles-ci étaient au cœur de cette réflexion sur la culture de la bienvenue, mais elles étaient accompagnées par un discours sur l’importance d’une attitude pro-active de la population autochtone envers les nouveaux arrivants. L’intégration était à présent conçue comme un effort à fournir par les deux côtés : société d’installation et nouveaux arrivants.

En fin de compte, l’Allemagne a tiré les leçons de ces expériences. Le débat sur une immigration de travail dure depuis près d’une dizaine d’années. Le problème démographique est loin d’être réglé. Avec le Covid, non seulement le manque de travailleurs qualifiés est apparu de plus en plus criant. mais le nombre de demandeurs d’asile et de protection a également augmenté. En 2022 le nombre de personnes en quête de protection a dépassé celui de 2015 ! Cependant, ne s’agissait pas là des travailleurs qualifiés attendus mais d’exilés fuyant les persécutions, les guerres et la misère.  La Willkommenskultur s’est finalement adressée à eux. Ce fut le grand élan de solidarité de l’automne 2015 - qui s’est répété au printemps 2022 avec les Ukrainiens - mais aussi la mise en place de cours de langue et d’intégration et surtout une prise de conscience que l’ensemble de la société devait s’impliquer.  

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Il est finalement apparu que les catégories construites – notamment dans le discours médiatique – qui distinguent en gros entre migrants légitimes à savoir les demandeurs d’asile (qui ne sont pas censés venir pour travailler) et migrants illégitimes, à savoir les migrants économiques (qui ne sont pas censés entrer sur le territoire), sont inopérantes et contre-productives. L’Allemagne s’est employée à utiliser ce capital humain présent sur son territoire. Aujourd’hui plus de la moitié des personnes arrivées en 2015/2016 en Allemagne travaillent (64% des hommes et 20% des femmes).

Quels sont les effets attendus de cette nouvelle loi sur l'immigration qualifiée ? Est-ce que cette loi parviendra à atteindre ses objectifs ?

Jeanette Süß : L'objectif affiché est clairement de combler le déficit de main-d'œuvre sur le marché du travail allemand. Cependant, il est important de souligner que les chiffres montrent un écart significatif entre les besoins estimés et les chiffres actuels. Selon l'Institut pour le marché du travail (IAB) auprès de l'Office fédéral pour la migration et les réfugiés, il est estimé que l'Allemagne a besoin de 400 000 travailleurs qualifiés par an pour combler ces déficits. À l'heure actuelle, le nombre d'immigrants qualifiés s'établit à environ 73 000 par le biais de voies de migration professionnelle, auxquels s'ajoutent environ 60 000 étudiants et apprentis. 

Il est difficile de prédire si cette loi permettra de combler ces besoins de manière satisfaisante. Cependant, la présidente du Conseil des sages économiques allemand, Monika Schnitzer, a suggéré qu'en réalité, il faudrait accueillir jusqu'à 1,5 million de personnes par an pour résoudre ce problème. Cela donne une idée approximative de l'ampleur du défi en termes de chiffres absolus. 

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En outre, il convient de noter que dans les 400 000 travailleurs nécessaires, il s'agit uniquement de ressortissants de pays tiers, tandis que les ressortissants de l'Union européenne viennent s'ajouter à ce nombre. Cela pose des défis particuliers en termes de gestion administrative et d'organisation des ambassades pour traiter les demandes de visa et de dossiers pour les ressortissants de pays tiers. La mise en œuvre effective de ces dispositifs dépendra donc largement de la capacité administrative et des ressources disponibles.

Il est donc crucial de comprendre que la simple mise en place de nouvelles mesures facilitant l'immigration ne garantit pas nécessairement leur succès. Il est impératif d'investir massivement dans les structures, l'infrastructure et les services nécessaires pour soutenir l'immigration qualifiée. Cela inclut la mise en place d'une culture d'accueil et de services adaptés, à la fois pour les employeurs et pour les immigrants qualifiés. Il faudra du temps pour instaurer cette culture et ces services, et il est réaliste de s'attendre à ce que la situation ne soit pas améliorée dans un délai immédiat mais plutôt dans un délai de 5 à 10 ans. 

Les entreprises allemandes ont principalement rencontré des difficultés à pourvoir des postes dans les secteurs moyen et haut de gamme. Dans cette perspective, la réussite de cette stratégie peut-elle être remise en question ?

Jeanette Süß : Il y a une pénurie de main-d'œuvre qui se manifeste dans de nombreuses entreprises et divers secteurs, tels que les soins de santé. Par exemple, les initiatives visant à expérimenter de nouvelles voies pour permettre à des travailleurs moins qualifiés d'intégrer ces domaines ne fonctionnent pas toujours. Les qualifications requises restent essentielles. 

Cependant, il existe de nombreux emplois réglementés où le maintien des standards est crucial. Par exemple, cela s'applique au droit, aux notaires, aux pharmaciens ou ingénieurs… Ces professions impliquent des procédures formalisées et nécessitent une attention particulière. D'un autre côté, il y a des métiers qui exigent moins de qualifications formelles, tels que ceux liés aux technologies de l'information et de la communication, ainsi que d'autres métiers de service tels que la restauration ou la construction. Dans cette catégorie, l'expérience professionnelle peut être tout aussi pertinente que les qualifications formelles. Par exemple, dans le domaine de la restauration, un diplôme n'est pas toujours nécessaire si vous avez une expérience de travail de 10 ans dans de nombreux restaurants renommés.

Cependant, il existe certaines catégories, en particulier dans le domaine médical, où il y a une pénurie flagrante de main-d'œuvre. Ce problème est aggravé par le vieillissement de la population en Allemagne, qui est plus prononcé que dans d'autres pays. Cela représente un défi complexe, c'est pourquoi l'Allemagne a mis en place des programmes sur mesure pour combler ces lacunes. Par le biais de partenariats ciblés avec des pays d'origine comme le Vietnam et les Philippines, des dispositifs juridiques ont été mis en place pour faciliter l'arrivée des travailleurs qualifiés en Allemagne et pour les aider à compléter leur formation afin de répondre aux normes allemandes. 

Ces mesures ne peuvent résoudre complètement le problème, et l'apprentissage de la langue reste un défi majeur, en particulier par rapport à des pays comme le Canada ou le Royaume-Uni. Pour les travailleurs qualifiés, il reste donc un enjeu important. Dans l'ensemble, il est nécessaire de combiner différentes approches pour faire face à cette situation.

Malgré cette nouvelle loi et ces trois voies remaniées, certains observateurs redoutent que cela ne puisse pas résoudre certains problèmes à la fois de manque de main-d’œuvre dans l’industrie et aussi pour l’accès à l’université et à l’éducation en Allemagne. Les pré-requis en termes de niveau d’allemand sont toujours assez élevés et stricts…

Catherine Perron : Il y a quelques années, une loi assez similaire avait été instaurée. Cela n’avait en effet absolument pas marché. L’administration ne suit pas. Il faut voir le nombre de migrants ou d’étrangers qui ont été accueillis depuis une dizaine d’années en Allemagne. Les administrations locales en charge de l’accueil sont totalement débordées. A Stuttgart, capitale du Bade-Wurttemberg et ville qui a depuis toujours été pro-active dans l’accueil des étrangers, le bureau pour les étrangers, qui est censé apporter de l’aide pour toutes les démarches, pour obtenir un titre de séjour, manque de personnel. Les délais sont extrêmement longs. L’administration est débordée et n’arrive pas à faire face aux demandes. Il y a donc un véritable problème administratif dû à des sous-effectifs, mais aussi à la complexité des processus bureaucratiques. Certains experts craignent donc qu’au niveau administratif cela ne suive pas.

En aval, la question des cours d’allemand se pose effectivement. Malgré l’importance des efforts déployés, la maitrise de l’allemand reste un gros problème. En ce qui concerne les réfugiés arrivées en 2015, les efforts menés sur l’apprentissage de la langue n’ont pas suffi. Les Ukrainiens arrivés depuis le début de la guerre suivent aussi des cours d’allemand. Mais divers problèmes pratiques se posent, notamment pour les mères de jeunes enfants qui peinent à trouver des places en crèche et ne peuvent donc ni suivre des cours de langue ni travailler. Les écoles, qui déjà manquent de moyens et de personnel, sont mal préparées à accueillir ces nouveaux élèves. Et la charge de l’intégration pèse principalement sur les communes, qui sont pour beaucoup débordées.

Mais au-delà de ces difficultés pratiques, ce qui me paraît le plus important, c’est que – et les baromètres d’intégration le confirment - les relations entre les différents groupes, migrants, descendants de migrants et société majoritaire sont apaisées. Il n’existe pas de tensions très fortes – comme ce qui avait pu être prédit en 2016. La diversité est devenue assez largement une normalité de laquelle les Allemands s’accommodent, et qu’ils s’emploient à gérer.

Comment est-ce que vous replacez cette loi et cette vision allemande de l’immigration dans un temps plus long, celui de la perception allemande sur le sujet ?

Catherine Perron : En Allemagne, jusque dans les années 2000, des dirigeants politiques de la CDU et de la CSU étaient capables d’affirmer sérieusement – contre toute vérité historique - que l’Allemagne n’était pas un pays d’immigration. Un revirement s’est ensuite produit, initié notamment par la coalition rouge-verte à l’époque de Schröder, et qui consistait à dire que non seulement cela était faux, mais que l’Allemagne avait besoin d’immigration. A partir de la fin des années 2000, le débat sur ce besoin de main-d’œuvre qualifiée a pris de l’ampleur, dans un contexte dépassionné car d’une part le nombre d’arrivées était très bas par rapport aux décennies précédentes. Et d’autre part, il a été mené en se concentrant sur l’aspect économique et pratique. La loi avait été adoptée sans dérapages xénophobes. Nous assistons à cette évolution et à ce phénomène depuis une quinzaine d’années. Il y a une différence fondamentale avec la France. La question de l’immigration est bien au cœur des débats en Allemagne. Le pays a accepté le fait qu‘il y ait des flux migratoires dans le monde. Une part arrive en Europe. L’Allemagne considère donc qu’il faut accueillir les gens et s’y préparer, d’autant que cela profite à l’économie du pays. Les Allemands sont assez pragmatiques. Le pays considère qu’il a besoin de l’immigration de travail et souhaite donc réfléchir à qui il souhaite précisément accueillir et dans quelles conditions. Il y a eu des ballons d’essai avec la loi sur les Balkans de l’Ouest sur l’entrée des travailleurs. Des études ont permis d’identifier qui étaient les demandeurs d’asile principalement refusés. Il s’agissait des personnes en provenance des Balkans de l’Ouest, des pays qui ne sont pas encore dans l’Union européenne. L’Allemagne a proposé à ces pays des accords. Plutôt que de renvoyer les personnes issues de l’immigration illégale, ils ont cherché à créer des filières d’immigration légales qui permettent à des gens dont l’économie a besoin de venir légalement. Cela permettait de voir comment réguler ces flux et de tenter d’arriver à reprendre la main, pour ne pas subir l’arrivée mais pour mieux la contrôler et l’orienter, même si dans la pratique cela ne marche pas nécessairement (l’étude du CERFA le précise bien).

L'Allemagne a-t-elle consulté ses partenaires européens sur cette stratégie ? Est-ce une décision solitaire qui peut susciter de l'hostilité en Europe ?

Jeanette Süß : S’il y a eu quelques échanges avec des pays européens, notons que l'Union européenne n'a pas la compétence exclusive ni partagée pour décider de l'immigration économique. Il existe certaines directives pour certaines catégories, telles que la carte bleue européenne, mais nous sommes encore loin d'y avoir une européanisation des systèmes d'immigration en Europe. Dans un rapport du Sénat, les comparaisons ont été faites entre les systèmes d'immigration en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède, au Danemark, au Canada.  

Cependant, il est important de noter que l'Allemagne se démarque en affichant une volonté d'ouverture et des politiques plus progressistes par rapport à certains discours restrictifs sur la migration en Europe. Certains pays adoptent une approche plus réaliste en tenant compte des besoins du marché du travail, tandis que d'autres préfèrent fermer partiellement les yeux. Bien que chaque pays ait sa propre situation économique et démographique, il y a une tendance croissante à reconnaître la nécessité d'une main-d'œuvre qualifiée dans plusieurs secteurs, et cela partout dans l'Union européenne.

Catherine Perron : En juin 2023, Sciences Po a remis le grade de docteure honoris causa à Angela Merkel pour sa politique migratoire. Cela peut apparaître assez paradoxal car la France n’était pas tellement ravie de la politique migratoire allemande. Au début des années 90, l’Allemagne de l’Ouest avait fait face à un flux migratoire phénoménal avec l’arrivée de centaines de milliers d’« Allemands de souche » d’URSS, de Roumanie, de Pologne, mais aussi des Allemands de l’Est. A cela venaient s’ajouter des centaines de milliers de demandeurs d’asile pendant la guerre d’ex-Yougoslavie. En réaction à cela, l’Allemagne a tenté de juguler ces flux et de fermer ses frontières. L’Allemagne a largement contribué aux accords de Dublin qui ont créé un système qui rendait de facto impossible le fait de déposer une demande d’asile en Allemagne. Cela a très largement repoussé le poids des demandes d’asile aux pays du Sud d’où arrivaient les migrants. Pendant des années, cette situation convenait très bien aux Allemands.

En 2015, le gros reproche fait à Angela Merkel, est d’avoir agi sans consulter ses partenaires européens. Certes, début septembre 2015 elle n’avait pas d’autres choix que d’ouvrir les frontières, mais cette décision a été très peu concertée avec le reste de l’Europe. Et par la suite, face à au nombre de personnes franchissant la frontière au cours de l’hiver 2015/2016, les Allemands se sont amèrement plaints du manque de solidarité européenne.

Aujourd’hui l’Allemagne est à nouveau en porte-à-faux. Il faudrait que Berlin arrive à convaincre les autres pays via des compromis. Peut-être que la France est le pays le moins difficile à convaincre du bien-fondé de cette politique. La situation est plus compliquée en revanche avec les pays de l’Est. Ils sont loin d’adhérer à la politique allemande en matière d’immigration. 

Quelles pourraient être les conséquences européennes de cette décision allemande ?

Jeanette Süß : Il est possible que d'autres pays européens s'inspirent finalement de cette loi. Toutefois, il est essentiel de prendre en compte les dispositifs législatifs mis en place et de tirer des enseignements des expériences menées quelques années plus tard, par exemple dans 3 à 4 ans. Il faudra du temps pour évaluer quels leviers ont fonctionné et lesquels n'ont pas donné les résultats escomptés, en particulier en ce qui concerne la mise en œuvre de ces politiques. Il s'agit d'une approche novatrice en Europe, qui n'existe pas à cette échelle. 

Il est également important de souligner qu'il y a des débats en cours à l'échelle européenne concernant un système à points en commun pour les migrants à l'avenir. Bien que cela puisse ne pas être réaliste à court terme, il pourrait être intéressant de proposer des idées à la Commission européenne à cet égard. Il est donc important de suivre de près la mise en place de ce nouveau système en Allemagne.

De plus en plus d'accords migratoires et de partenariats migratoires sont conclus à l'échelle européenne. Par exemple, le pacte avec la Turquie pour lutter contre l'immigration irrégulière. L'idée est de créer des packages de mesures qui offrent également des voies d'immigration légale. L'Allemagne est très impliquée dans cette approche, et la coopération avec d'autres pays européens est cruciale pour sa réussite. Il est donc essentiel de ne pas vouloir imposer une approche unilatérale sans prendre en compte les spécificités et les intérêts de chaque pays d’origine. Cela permettra de renforcer les échanges d'informations entre les collègues européens et de favoriser une approche collaborative vis-à-vis les pays partenaires pour la gestion des flux migratoires.

L’Allemagne a donc refait ce qu’elle avait fait en 2015 en suivant son intuition sans consulter ses partenaires européens ?

Catherine Perron : L’Allemagne tente d’imposer son modèle. Il paraît le plus sage et le plus réfléchi. Mais Berlin apparaît très esseulé. L’Allemagne pourrait se retrouver dans la même situation de porte-à-faux qu’elle ne l’était jusqu’à présent, avec des rôles exactement inversés. Dans le discours politique public, nous n’entendons pas du tout ce type de raisonnement dépassionné en France et encore moins dans des pays comme l’Italie ou les pays de l’Est (la Pologne ou la Hongrie) sur l’immigration. L’Allemagne a donc encore beaucoup de travail afin d’espérer convaincre ses partenaires européens.  

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