Et maintenant quoi ? L’avenir de la Russie en sept questions clés<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine verrouillera-t-il le pouvoir après la tentative avortée de Prigojine de s'attaquer au régime ?
Vladimir Poutine verrouillera-t-il le pouvoir après la tentative avortée de Prigojine de s'attaquer au régime ?
©Gavriil Grigorov / SPUTNIK / AFP

Incertain

Viatcheslav Avioutskii et Pierre Clairé répondent aux sept points soulevés par le conseiller du ministre de l'Intérieur ukrainien.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Pierre Clairé

Pierre Clairé

Pierre Clairé est analyste du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques diplômé du Collège d’Europe

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Dans un tweet, Anton Gerashchenko, conseiller du ministre de l'Intérieur ukrainien, imagine la suite des événements après la tentative avortée de Prigojine de faire tomber le régime russe. Viatcheslav Avioutskii et Pierre Clairé répondent aux sept points qu'il soulève.

1 ) "Au sein du PMC Wagner, une scission serait apparue entre ceux qui se sont sentis utilisés et ceux qui sont restés fidèles à Prigozhin après l'échec de la rébellion", affirme-t-il.

Viatcheslav Avioutskii : Il y a des preuves formelles montrant que l’on n’a pas vu 25 000 soldats participer à cette opération, mais plutôt 5 000. Rappelons que Wagner n'est pas un corps homogène car il est composé de trois groupes : on a des professionnels guerriers qui appartenaient à Wagner depuis longtemps, passés par l’Afrique, la Syrie et la Libye. Ils constituent le noyau dur de cette unité. On a aussi un groupe moins préparé, de recrues récentes qui ont rejoint Wagner depuis le début de la guerre. Enfin, le groupe des criminels libérés de prisons. Il est probable que le noyau du groupe a participé à cette opération. Je ne vois pas les criminels participer à cette opération, car les criminels sont chez Wagner sous la contrainte.

Pierre Clairé : Des tensions internes ont effectivement pu être observées au sein du Groupe Wagner entre Loyalistes et Dissidents. Ce mouvement qui existait déjà par le passé tend à se généraliser et la rébellion avortée devrait accélérer ce processus.

La fuite des talents a commencé il y a plusieurs mois au sein de Wagner. Nourri par son ambition de convertir en politique les atouts de Wagner, Prigojine a fait progressivement évoluer la raison d’être du groupe fondé en 2014. Ainsi Prigojine n'a reconnu être le fondateur du groupe qu'en septembre 2022, quand le moment semblait opportun… Cette tendance est peu appréciée dans les rangs de Wagner, alors que l'esprit initial était de recruter chez les anciens du KGB ou FSB, les vétérans ou des criminels à qui on offrait une seconde chance.

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Ainsi le monsieur Afrique de Wagner, Konstantin Pikalova, a déjà été débauché par Convoy, un groupe armé privé fondé en Crimée en 2022. Il est concurrent de Wagner car sur une ligne similaire et permettait à Choïgou de limiter l'influence de Wagner en leur offrant des contrats notamment en Ukraine.

Cette tendance va s’accélérer car les jours de Wagner semblent comptés malgré l’accord qui semble favorable après la rébelion. Prigojine doit payer et il est très peu probable qu'il s'en sorte indemne. Ainsi la relation spéciale liant Wagner et le Kremlin semble rompue après les évenements du weekend et ainsi les jours de l'organisation sont comptés.

Ces gens veulent un travail et de l’argent car ce sont des mercenaires, la loyauté à Prigojine est limitée car ce n'était pas le principe fondateur de Wagner. Si celui-ci ne peut leur garantir paiements et enrichissement, il est normal qu' il y ait des défections. Prigojine ne va plus peser au Kremlin et ce n’est jamais bon de suivre les perdants qui plus est peuvent freiner leur carrière…

Le fait que Prigojine se soit montré plus présent en se rendant au front avec ses soldats va peser aussi, alors que les autres chefs de guerre russes ne le font pas. Cela lui a apporté de la sympathie, mais pas assez pour retenir tout le monde.

2) "Des pilotes de combat auraient quitté le PMC Wagner en raison de leur désaccord avec la manière dont les avions et les hélicoptères des forces aérospatiales russes ont été détruits hier"

Viatcheslav Avioutskii Quand on observe cette opération, qui a duré une douzaine d’heures, c’est vrai que Wagner n’a pas mobilisé les avions qui lui ont été attribués. L’unité de Wagner avait ses propres avions mais l’unité n’avait pas ses propres pilotes. À part quelques exceptions, ils étaient subordonnés à l’armée régulière.

Wagner est une unité militaire privée mais n’est pas propriétaire de l’armement ou de l’équipement, car c’est l’armée régulière qui en est le propriétaire. Nous avons vu des images qui nous montrent des accrochages qui ont eu lieu au début de la journée, avec des échanges de tirs entre les colonnes et les hélicoptères. Il y aurait eu une quinzaine de morts au sein de l’armée régulière.

Étant donné que le nombre de pilotes militaires est assez limité - il y en aurait environ 200 -, la réaction des pilotes est compréhensible car ils se connaissent tous entre eux.

Pierre Clairé : Je confirme cela, car il n'a jamais été question de blesser des Russes mais seulement de mener un coup de force, mais la situation a un peu dérapé et n'a pas plu à certains. En soi ils n’aiment pas tirer sur les leurs ce qui est bien normal. Il faut se souvenir que le recul et le renoncement de wagner fut expliqué par le fait qu'ils ne voulaient pas faire couler le sang russe, ce qui traduit la tendance générale au sein du groupe, mais les ordres les ont forcé à aller contre cela ce qui n'a pas plu.

Prigojine était soutenu par les nationalistes et pro-guerre qui étaient aussi en grand nombre dans les rans du groupe Wagner. Soutenir l'effort de guerre russe et la grandeur de la russie étaient des raisons pour rejoindre le groupe. Aller contre l’effort de guerre est mauvais pour eux et c'est pour cela qu'il n'ont pas apprécié ce coup de force. Participer au desordre et a la possible perte en Ukraine pire pour eux et c'est pour celaa que tout cela n'a pas été apprécié outre mesure. Ces hélicoptères auraient pu être utiles à l'armée d'autant plus que le matériel commence à manquer et que les sanctions internationales rendent la fabrication de nouveaux appareils impossible, tout comme la livraison.

De plus les ultra-orthodoxes, ultra-nationalistes et autres pro-guerre à Moscou se sont véritablement désolidarisés de Prigojine ce qui est mauvais pour ses hommes qui les voyaient comme des références politiques.

Cette "aventure" a déplu aux soldats, d'autant plus qu'ils semblaient instrumentalisés pour servir les desseins d'un homme et ses ambitions économiques et politiques. Par hubris il a voulu les faire aller contre leurs valeurs et surtout tuer des frères d'armes avec qui il se battent en Ukraine…

3) "Une verticale du pouvoir s'est effondrée. Plus personne en Russie ne se sent en sécurité. Ni les fonctionnaires, ni les oligarques, ni les officiers du FSB qui se croyaient maîtres de la vie. Hier, Poutine a cessé de détenir le monopole de la violence en Russie.  Il a été prouvé que les factions les plus armées et les plus déterminées décident de tout."

Viatcheslav Avioutskii : C’est un échec personnel de Poutine et la fameuse verticale du pouvoir, qui était le socle de l’idéologie de Poutine, a été balayée. Les colonnes, très peu nombreuses, ont pu avancer sur 600 km, certains nous disent qu’il leur restait 200 km avant d’atteindre Moscou. Vladimir Poutine est intervenu à la télévision le matin en disant que les responsables de la mutinerie seront punis. Le parquet lance une enquête criminelle contre Prigojine. Finalement, à la fin de la journée, Prigojine ne sera pas puni. Le président russe pardonne la personne à l’origine de la perte d’équipements militaires et de pertes humaines. En revanche, l’échec de Wagner est lié à l’absence de volonté de l’armée régulière de rejoindre l’appel de Wagner. À côté de ça, on a évoqué une certaine panique du côté des oligarques, plusieurs d’entre eux auraient quitté Moscou lors de cette journée. À Rostov, la population civile a fui la ville.

Et si je reviens sur le discours de Poutine, on peut dire que lui aussi a été gagné par la panique, en comparant la situation d’avant-hier à ce qu’il s’est passé en 1917. C’est assez dangereux car il a comparé la rébellion de Wagner à un coup d’Etat qui a réussi, donc je pense qu’il a réellement eu peur.

Pierre Clairé : Je suis tout à fait d'accord avec cette déclaration qui résume bien la situation en Russie où il y a eu une perte de confiance envers Poutine, qui n'est plus vu comme le chef tout puissant qu'il a pu être par le passé. Poutine peut être inquiété par des chefs de guerre et il n'est plus le seul à faire la pluie et le beau temps en Russie. Pire, alors qu'il avait pu se montrer impitoyable avec des opposants et en intervenant à de nombreuses occasions, se construisant une image de chef de guerre tout puissant, son image à véritablement souffert des évênements du weekend. Aujourd'hui des chefs de guerre peuvent semer le chaos en russie et ridiculiser l'armée toute puissante, exposant au grand jour ses faiblesses et la corruption qui l'occupe. Tout cela est inacceptable pour un dictateur de la trempe de Vladimir Poutine. Le message est très mauvais, les gens se sentent ésseulés en Russie et ne se sentent plus en mesure de faire confiance à Poutine qui a défaut de droits de l'homme leurs offraient une certaine stabilité et un sentiment d'ordre. Il est clair que Poutine va agir en conséquence, tout cela ne peut rester impuni et surtout il ne peut pas rester comme le faible de l'histoire, s'alliénant une partie de ses soutiens. Auparavant Poutine avait le monopole de la violence et pouvait taper à tout moment, il était craint par tous ce qui permettait de strabiliser son emprise. Mais avec la Guerre en Ukraine qu'il n'a pas réussit à gagner rapidement et maintenant cette rebélion nous voyons que cette image de chef guerrier ne tient plus. Cela peut poser problème dans le futur sauf si Poutine parvient à se servir de la mutinerie pour verrouiller le pouvoir comme Erdogan a pu le faire après le coup d'état avorté de 2016. Faute de reprise en main, cela peut signifier le début de la fin pour le régime.

C’est aussi vrai pour Loukachenko qui a bradé le Belarus à la Russie, se soumettant au chef du Kremlin ce qui déplaisait aux élites du pays. Mais comme Poutine était tout puissant cela passait comme la chose la plus rationelle à faire, sachant que le pays bénéficiait des largesses de Moscou en termes économiques ou militaires. Maintenant ce n’est plus le cas et il peut craindre pour son poste, d'autantr plus que l'oposition biélorusse est mieux organisée que la russe et scripte chaque erreur du dictateur pour s'en servir.

4) "La Russie pourrait être confrontée à une guerre sanglante, non pas une guerre civile, mais une guerre de clans, de groupes armés et d'armées privées : Tchétchènes, partisans de Prigojine, mercenaires armés, qui se sépareront de Prigojine ou d'autres SMP et seront engagés par des clans locaux pour se protéger des envahisseurs étrangers. Toutes les grandes entreprises et tous les oligarques créeront probablement (si ce n'est déjà fait) des armées privées, comme Gazprom l'a déjà fait pour se protéger. Les conflits et la redistribution des biens seront résolus par la force. Ce seront les nouvelles années 90, mais en bien pire - ressemblant au style Mad Max et au genre d'un film d'action anti-utopie."

Viatcheslav Avioutskii : Quand on regarde cette fameuse journée, il est vrai qu’on n’a pas vu le début d’une guerre civile, même si deux unités appartenant au même État pouvaient potentiellement s’affronter. La population russe est restée distante voire indifférente à ce qu’il se passait. Depuis six mois, les grands groupes d’affaires comme Gazprom équipent leurs propres milices privées : certaines sont déployées sur les sites des entreprises et combattent aussi en Ukraine.

Il y a aussi cette fameuse armée quasi-privée de Kadyrov qui fait partie officiellement de la Rosgvardia, la garde nationale russe. Cette force est intégrée au sein du ministère de l’Intérieur, déployée pour disperser les manifestants ou pour lutter contre la menace terroriste à l'intérieur du pays. On a beaucoup de suspicions par rapport à sa loyauté, mais tout le monde sait que cette loyauté se base sur des paiements réguliers de la part du pouvoir, et qui plus est, ces paiements sont détournés par sa famille. Si la situation change, Kadyrov pourrait se servir de cette armée pour ses propres intérêts. L’armée n’arrive pas à homogénéiser sa structure.

Dans les années 90, il n’y avait pas de milices comparable à Wagner, mais on avait des chefs de guerre en Tchtchénie qui avaient leur propre unité et vivaient grâce au racket. Personne n’arrivait à s’imposer. Il y avait aussi des gangs et la police était quant à elle absente et très peu mobilisée pour combattre le crime organisé. Les milices qui ont signé des contrats avec l’armée régulière, comme celle de Kadyrov, sont montrées du doigt. Il y a une certaine défiance.

Pierre Clairé : Dans l'analyse, je suis plutôt d'accord, mais je n'irais pas jusqu'à dire que la dire que la Russie se dirige obligatoirement vers une guerre meurtrière et fratricide. Il faut être nuancé à mon avis car les autres milices privées ne sont pas aussi fortes que Wagner.

Pour autant il faut bien signaler que la création de milices privées est devenue une mode en Russie, surtout c'est vu comme un moyen efficace de s'attirer les faveurs du grand Tsar Vladimir Poutine. En effet, avoir recours à des corps de mercenaires privés est une tradition russe notable et le pouvoir a toujours eu recours à eux pour s'assurer que l'armée ne devienne pas trop puissante dans le pays, ce qui pourrait poser problème. On peut parler de Convoy que nous avons cité plus haut, de la milice de Gazprom ou de l'Église Orthodoxe russe, ainsi que de certaines milices d'autres oligarques. La plus connue d'entre elle est la force des Kadirovites de Ramzan Kadirov président Tchétchène qui s'est illustré dans la prise de Marioupol. Ces milices gagnent en influence et il n'est pas à exclure que nous verrons une multiplication de celles-ci dans les mois à venir avec l'explosion de Wagner…

Ces milices sont vues comme plus efficaces et c'est ce qui peut faire craindre à une situation hors de contrôle. Les évenements du weekend sont la preuve que Poutine a échoué dans sa politique de sous-traiter l'exercice de la Guerre à des sociétés privées. Toute la question est de savoir si nous verrons un changement dans la politique de Poutine vis-à-vis de cela ou s'il va mieux encadrer la pratique, si ce n'est pas le cas il est possible que de telles choses se reproduisent dans le futur. Ainsi si Poutine ne verruille pas le pouvoir et ne se réaffirme pas comme le seul chef à bord, il est probable que nous voyons de nombreux chefs de guerre proliférer dans le pays ou des sociétés privées cherchant à se protéger elles mêmes. Si l'état n'est pas vu comme fort et si Poutine est incapable de se montrer comme détenteur de l'ordre, alors cela est ammené à se reproduire.

Sur ce point-là, il faut laisser le temps au temps, mais je me montre beaucoup moins fataliste que l'auteur de ces mots même s'il y a du vrai dans ce qui est dit.

5) "Il semble que l'armée russe ait de facto cessé d'exister en tant que structure unie. Les soldats et les officiers assis dans les tranchées dans le massacre déclenché par Poutine ont probablement pris conscience hier de l'inutilité totale de la guerre contre l'Ukraine, compte tenu du fait qu'un groupe de criminels à l'arrière peut parcourir 600 km en une journée, balayant tout sur son passage, puis être amnistié après avoir tué des pilotes et des civils."

Viatcheslav Avioutskii : Il y a une démotivation au sein des armées. Cette traversée de 600 km sur une autoroute stratégique pour l’approvisionnement du front, en reliant la zone industrialisée au front, aurait pu être désastreuse. Cela nous montre que la partie arrière, qui devrait être sûre et structurée, ne l’est pas. Il ne s'agissait que d'un groupe constitué seulement de quelques milliers de personnes.

Pierre Clairé : Je suis tout à fait d'accord avec cette affirmation car  l’armée russe sort de ce weekend comme une des grandes perdantes.

Déjà on la disait invincible mais elle fut incapable de prendre Kiev et de mener à bien une action éclair contre un pays qui était censé avoir une armée ridicule et incapable de rivaliser face à la force de frappe russe. Le monde a observé cela attentivement et la réputation de la Russie en a bien évidemment souffert. Ensuite les Spetsnaz ou forces spéciales russes se sont fait anéantir en Ukraine alors que l'on décrivait ce corps comme un des meilleurs du monde. Cela n'a pas manqué de faire parler dans les capitales, notamment le général Petraeus aux États-Unis. Enfin le seul groupe capable d'avancer durablement en Ukraine était le groupe Wagner, groupe de mercenaires privés, alors que l'armée régulière restait impuissante.

Il faut rappeler que Prigojine insultait allégrement Choígou, le ministre de la Défense, et Guerassimov, Chef d'État Major, depuis dde nombreuses semaines sans que personne n'ait rien à redire au Kremlin. Cela a entamé durablement la réputation de l'armée et permis de faire éclater au grand jour les dissensions au sein du commandement russe.

Que dire des lenteurs ou du refus de certains d'agir contre les mercenaires du groupe Wagner…Avec le retour des hommes de Wagner sur le front, on va demander aux troupes de l’armée régulière de combattre avec des « traîtres » qui voulaient aller à Moscou. Cela présage des problèmes surtout de confiance face au leadership alors que la confiance dans son commandement est capitale à la guerre…

Pour éviter des problèmes Poutine devra punir Wagner pour s’assurer de ne pas perdre le contrôle. En effet, Poutine a toujours cherché à limiter l'influence de l'armée car vue comme possible fauteuse de trouble, pour autant c'est cette entreprise qui a permis l'émergence de chefs de guerre comme Prigojine. Il n'est pas acceptable en Russie d'avoir de telles dissensions et un contre pouvoir comme le Groupe Wagner et il faut s'attendre à des actions fortes de sa part. Pour autant le Groupe Wagner sert encore les int'rêts de Poutine et c'est pour cela qu'il a plutôt épargné le Groupe pour le moment, mais ses jours sont comptés comme ceux de Prigojine car il est inacceptable de ridiculiser ainsi l'armée de la Grande Russie.

6) "L'Ukraine s'est rapprochée de la restauration complète de son intégrité territoriale, y compris la Crimée."

Viatcheslav Avioutskii : L’impact sur la combativité de l’armée russe est difficile à imaginer aujourd’hui. Ni la chaîne de commandement ni les approvisionnements n'ont été touchés. Il est trop tôt pour le dire, mais cela aura peut-être un impact dans les mois à venir. Lorsque la crédibilité politique et militaire est mise en cause, le moral des troupes est affecté.

Pierre Clairé : Sur ce point, je serais plus mesuré. La contre offensive ukrainienne n’a pas été un franc succès jusqu’à présent pour de nombreuses raisons, l’armée ukrainienne a bien tenté de profiter du chaos dans l’armée russe ce weekend en attaquant sans plus de succès notables.

La Défense russe est bien en place et l’armée ukrainienne n’avance pas plus rapidement malgré des gains de certains villages plus au sud que l'état major n'a pas manqué de signaler fièrement. En temps de chaos vous en conviendrez que c'est bien peu. Il faut signaler que la stratégie qui est celle de la russie depuis le début de la contre-offensive est une réussite, avec des défenses bien en place qui empêchent les Ukrainiens d'avancer avec les défenses en dents de dragon, les mines anti-personnel et surtout le bétonnage de certains points qui empêche toute progression importante. Même si les forces du Groupe Wagner n'étaient pas là, il fut difficile d'avancer devant ces défenses, Ensuite la Russie reste maîtresse des airs avec son aviation et ses missiles, ce que n'ont pas les Ukrainiens et les empêche d'utiliser convenablement le matériel occidental reçu. Par exemple sans soutien aérien les chers progressent moins facilement. Enfin les Russes ont bombardé et attqué en masse les grandes ville comme Kiev, sans grands dégats certes mais grace à cela les défenses anti-aériennes ukrainiennes ont été concentrées sur autre chose et les forces n'ont pas pu se rassembler et se concentrer sur des points importants. Les Russes travaillent comme cela depuis plusieurs semaines et la stratégie s'est montrée gagnante. De plus casser les lignes russes et reprendre la Crimée tenue depuis depuis 2014 prendra du temps et sera dur, c'est pour cela que je peux me montrer critique.

Sur le long terme peut-être que je peux rejoindre cette hypothèse sous conditions car le doute va s’installer dans l’armée russe. En effet les soldats russes vont se dire qu'ils combattant avec des "traîtres" désormais et auront du mal à leur faire confiance. De plus ils vont douter logiquement de leur leadership, se sentant commandés par des corrompus et faibles qui les envoient à l'abattoir alors qu'ils sont chaudement installés dans des salons à Moscou. Prigojine au moins se rendait sur le front et rencontrait les soldats… Tout cela peut participer à destabiliser les forces russes, mais il faut laisser le temps au temps.

De plus progressivement Wagner va être remplacé, et les nouveaux hommes pourraient se montrer moins bons. En effet, Wagner va payer son affront et ne risque pas de s'en sortir indemne tout comme Prigojine, mais c'était le seul corps capable d'avancer un tout petit peu en Ukraine. D'autres groupes privéss ou l'armée régulière sont appelés à les remplacer, mais on peut douter de leur performances au vu des derniers mois de guerre. Bref l'Ukraine peut profiter de ces changements, au point de dire qu'ils pourraient aller rapidement en Crimée je ne pense pas.

7) "Quel dommage que ce cirque ne se soit pas terminé par l'autodestruction du régime de Poutine et de la faction Prigojine. Mais je pense que cela se reproduira à plus grande échelle encore !"

Viatcheslav Avioutskii : On a assisté à une sorte de série télévisée avec une masse d’argent investie assez importante. Cela dure depuis plusieurs mois avec les attaques répétées de Prigojine envers le régime.

Ce que l’on sait, c’est que le groupe Wagner cesse d’exister au moins dans sa forme actuelle. Ceux qui ont participé à la mutinerie seront licenciés, les autres qui souhaitent continuer à faire la guerre ont la possibilité de signer un contrat pour intégrer l’armée régulière dans plusieurs unités pour éviter qu’ils constituent une masse critique.

Une unité militaire est comme une entreprise : si celle-ci est disséquée et intégrée dans une structure plus grande, elle va perdre en efficience. Ce savoir-faire va disparaître avec la dissolution de Wagner qui constituait une menace réelle pour l'unité de l'armée régulière.

Pierre Clairé : Encore une fois je me montre mesuré sur ce point, il faut attendre, voir la réaction de Poutine et s’il verrouille le pouvoir. S’il échoue il est possible de revoir cela car il a exposé les fractures au sommet du pouvoir et surtout son autorité a été grandement amenuie durant ce weekend.

Personne n’a soutenu publiquement Prigojine alors qu’il est impossible qu’il n’ait pas eu de soutiens haut placés. On parlait de Surovkin, le General Armagedon, ou de Ramzan Khadirov, deux proches de Prigojine, mais ceux-ci sont rentrés dans les rangs assez rapidement. Devant cette « victoire à la Pyrrhus de Poutine il est peu probable qu’ils se fassent entendre rapidement sauf grande opportunité. C'est pour cela que je me montre réservé sur ce dernier point.

Pour résumer cette fin de semaine, je dirais que c'est le monstre de Frankenstein qui s'est retourné contre son créateur. C'est aussi la preuve que Poutine a échoué dans sa politique de sous-traiter l'exercice de la Guerre à des sociétés privées. C'était certes une tradition russe, avec d'autres exemples dans l'histoire comme l'armée secrète de Staline qui s'est illustrée en Espagne, mais tout cela ne fonctionne que si le pouvoir est fort est peut museler ces forces. Toute la question est de savoir si nous verrons un changement dans la politique de Poutine vis-à-vis de cela ou s'il va mieux encadrer la pratique, si ce n'est pas le cas il est possible que de telles choses se reproduisent dans le futur.

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