Et maintenant, la montée en puissance de la Chine sur les médicaments nouvelle génération <!-- --> | Atlantico.fr
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Des techniciens de laboratoire produisent des médicaments dans un atelier de Youcare Pharmaceutical Group à Pékin, le 10 janvier 2023.
Des techniciens de laboratoire produisent des médicaments dans un atelier de Youcare Pharmaceutical Group à Pékin, le 10 janvier 2023.
©Jade GAO / AFP

Made in China

Près d'un quart des médicaments anticancéreux de nouvelle génération sont développés par des entreprises chinoises.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Près d'un quart des médicaments anticancéreux de nouvelle génération sont développés par des entreprises chinoises, selon le Financial Times. AstraZeneca a signé le mois dernier un partenariat d'une valeur pouvant atteindre 600 millions de dollars avec LaNova Medicines, basé à Shanghai, pour la licence mondiale d'un médicament potentiel contre le cancer, le dernier d'une série d'accords en oncologie et thérapie cellulaire. Comment expliquer cette montée en puissance de la Chine sur les médicaments nouvelle génération ?

Antoine Flahault : La Chine évolue rapidement, en tirant les premières leçons de la pandémie de Covid-19. On l’a vu récemment en matière d’énergies renouvelables avec un bond considérable depuis trois ans dans le but premier de parvenir à davantage d’indépendance énergétique pour ce premier importateur et consommateur mondial de charbon. Ce but rejoint les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique et l’on ne peut que s’en réjouir. On le voit également dans le domaine des biotechnologies et des médicaments fortement innovants. Être la fabrique du monde en matière de produits pharmaceutiques a apporté à la Chine un savoir-faire important dans ce domaine dont elle cherche légitimement à tirer profit. Elle peut désormais davantage se lancer dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments et participer ainsi à la course mondiale de l’innovation pharmaceutique. Des cerveaux en quête de réussite émergent en nombre dans ce pays de 1,4 milliards d’habitants fortement éduqué. Les universités du pays, notamment celles de Shanghai et de Pékin, mais aussi Hong Kong rivalisent avec les meilleurs centres académiques occidentaux. Il n’est donc pas surprenant de voir aujourd’hui la Chine compter sur des secteurs jusque-là dominés par l’Occident. Le Japon et la Corée du Sud semblent en revanche s’effacer dans cette compétition internationale devant l’arrivée de ce nouveau concurrent asiatique. 

L’explication repose-t-elle sur l'importante population vieillissante de la Chine, qui est de plus en plus touchée par des maladies chroniques causées en partie par le tabagisme, la pollution et des régimes alimentaires plus occidentalisés ?Cette prouesse est-elle permise grâce au savoir-faire chinois, à ses laboratoires, à ses équipes médicales ou aux chercheurs et aux scientifiques du pays ?

Vous avez tout à fait raison d’évoquer le levier de la demande parmi les explications de l’émergence de la Chine dans le marché du médicament. On peut évoquer des facteurs comme le tabagisme, la pollution atmosphérique et l’alimentation mais le principal déterminant de « l’épidémie » de maladies chroniques que connaît aujourd’hui le pays me semble être principalement le fait que la population vieillit rapidement et que son niveau de vie s’est considérablement accru ces dernières décennies, favorisant un recours massif aux soins de santé. Il ne faut pas omettre de souligner aussi l’offre qui tente de s’aligner à cette demande, et la préoccupation du gouvernement chinois de limiter sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. On l’a vu avec les vaccins du Covid, on le voit aujourd’hui avec les traitements anticancéreux. La Chine voudrait ne pas dépendre entièrement de ses importations nord-américaines ou européennes en matière pharmaceutique et cherche à s’en donner les moyens, y compris légaux et réglementaires pour y parvenir. La Bourse de Hong Kong par exemple vient d’accepter l’entrée en cotation d’entreprises n’ayant aucun chiffre d’affaires, comme c’est le cas pour les start-up de biotechnologie qui peuvent mettre dix ans avant d’engranger leurs premiers revenus. Sans ces investissements massifs et parfois risqués, point d’innovation, et cela la Chine communiste mais pragmatique l’a compris aujourd’hui, alors que ce n’était pas dans sa culture politique.

Ne risque-t-on pas d’entrer dans un nouvel engrenage de dépendance vis-à-vis de la Chine pour les médicaments de nouvelle génération, comme pour certaines pénuries de médicaments ?

L’Occident reproche souvent aux autres pays de vouloir se développer par eux-mêmes. Une forme de post-colonialisme irrigue encore la plupart de nos relations avec les pays à niveaux de revenus plus faibles que les nôtres. Nous aidons volontiers généreusement les pays pauvres, mais lorsqu’ils émergent, nous leur reprochons leur succès. L’Occident ferait mieux de regarder comment la Chine s’organise aujourd’hui pour préserver son indépendance énergétique et industrielle car il y a peut-être des leçons à prendre ici. 

Les laboratoires américains et européens sont-ils en retard par rapport à la Chine pour les médicaments de nouvelle génération ? Est-ce lié à un problème uniquement économique et financier ou de savoir-faire ?

L’Occident domine encore largement la recherche, le développement et le marché mondial du médicament. Ce secteur ne doit pas être vu comme un gâteau dont les contours seraient limités. La part que prend la Chine aujourd’hui n’est pas nécessairement aux dépens de celle des Occidentaux, mais doit être vue comme un potentiel supplémentaire qu’explore une puissance émergente prometteuse en y mettant ses propres moyens. Au bout du compte, l’humanité disposera de davantage de solutions innovantes pour soulager ses maladies. On ne doit pas le redouter mais plutôt s’en réjouir. Il ne s’agit pas en revanche de baisser les bras et d’abandonner ce secteur en le sous-traitant à un pays tiers comme semblent le faire Japonais et Coréens. Il s’agit plutôt de considérer qu’un nouvel acteur est en train de rejoindre les efforts entrepris par l’humanité pour parvenir à mieux vaincre ses maladies. Ensemble, en unissant nos efforts, sans naïveté et dans une forme de « coopétition » si vous me permettez ce néologisme, nous serons certainement mieux armés contre les maladies.

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