Essor du bio et des régimes "sans" : les prévisions alimentaires et agricoles pour 2017<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, le rythme d’installation de fermes bios s’accélère.
En France, le rythme d’installation de fermes bios s’accélère.
©Reuters

Prévisions 2017

Alors que l'année 2016 touche à sa fin, Atlantico propose à ses lecteurs une série de prévisions pour le millésime 2017. Selon Bruno Parmentier, cette année pourrait bien voir nos habitudes alimentaires et notre manière de concevoir l'agriculture changer nettement.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Grand soleil sur la bio

Quand on observe qu’en 1960 les Français consacraient en moyenne 38% de leurs revenus à leur alimentation à domicile, alors qu’aujourd’hui ce chiffre n’est plus que de 15%, on voit bien que les changements ont été considérables. Ils peuvent se poursuivre… ou non : les Anglais n’en sont plus qu’à 9% et les Américains à 7%. Toutefois, en cette matière, ces deux peuples ne nous font aucunement envie… Il semble bien que cette évolution puisse se ralentir, voire s’inverser, à l’heure où de nombreux Français prennent conscience que nous sommes allés trop loin, et que, dorénavant, bien manger consiste à consacrer à la fois plus d’attention, de temps et d’argent à cette activité essentielle.

L’essor récent du bio par exemple devrait continuer à s’accentuer comme on le voit sur les schémas suivants de l’agence Bo ; la croissance annuelle de ce secteur est dorénavant de l’ordre de 20% (en surfaces cultivées) et de 15% (en chiffre d’affaires) :

Des taux de croissance de ce type en France sont suffisamment rares pour être soulignés. De plus, le rythme d’installation de fermes bios s’accélère (actuellement 21 par jour), ce qui devrait permettre de limiter les importations, lesquelles représentent actuellement le quart du bio consommé. Une bonne chose pour l’emploi dans notre pays, et lorsque beaucoup de consommateurs suspectent que les normes de qualité ne sont pas toujours aussi bien appliquées ailleurs qu’en France…

Mais il faut raison garder : certes ce secteur représente 100 000 emplois (dont 69 000 dans les fermes), mais il ne représente que 5% de la nourriture totale des Français et des surfaces agricoles et 3% de la population active. Ce secteur sort de la marginalité, même s’il reste et restera très minoritaire. Toutefois, en 2017, on devrait voir s’ouvrir de nombreux magasins bios, et la grande distribution va s’y mettre de plus en plus.

On peut évidemment voir cet engouement croissant de façon positive : les Français se soucient enfin de leur planète et de leur santé, réfléchissent davantage à ce qu’ils mangent et prennent conscience que "quand on achète un produit, on achète le monde qui va avec". Mais on peut tout aussi bien interpréter cet élan de façon critique : c’est parce que les perspectives de changement social sont bien faibles que les Français se replient sur des objectifs domestiques : faute de pouvoir changer le monde, occupons-nous au moins de changer notre assiette ! Peut-être que le rythme de progression de la demande en bio s’est accéléré en 2015 et 2016 avec la chute de popularité de François Hollande et le désenchantement envers les politiques en général, et qu’il dépendra fortement en 2016 de l’ampleur des déceptions probables autour des élections à venir !

Du côté de l’offre, c’est la chute des prix des produits agricoles qui a probablement accéléré le mouvement en 2016, quand par exemple les producteurs laitiers ont constaté qu’ils ne pourraient durablement plus vivre de leur travail, alors que leurs collègues bios gagnaient mieux leur vie… jusqu’à ce qu’on arrive à une crise de surproduction de lait bio !

L’ère du "sans" est arrivée

Une autre conséquence de ce retour sur soi est que la convivialité culinaire française est de plus en plus mise à mal par le règne du "sans". Il devient difficile de convier des amis à dîner lorsqu’il faut combiner un repas sans gluten, sans lactose, sans viande, sans soja, sans œufs, sans crustacés, sans cacahuètes, noix, sésame, tournesol, moutarde ou pavot, mais aussi sans trop de matières grasses, ni caféine, OGM, résidus de pesticides, sulfites, etc. mais avec du bio, local et équitable bien sûr ! Nous nous rapprochons de la culture nord-américaine du communautarisme, dans lequel on ne s’invite guère à manger les uns chez les autres (ou alors au restaurant) ! Au bout de cette évolution, toujours moins de convivialité, et davantage de repli sur soi… Gageons que cette tendance va malheureusement continuer à s’affirmer en 2017, au détriment du "repas gastronomique des Français" pourtant entré récemment au Patrimoine immatériel de l’Humanité de l’Unesco…

Hécatombe chez les éleveurs

Au XXe siècle, les Français ont aligné leur consommation annuelle de viande sur le millésime ! Ils en ont consommé 20 kilos dans les années 1920, 50 kilos dans les années 1950, 80 kilos dans les années 1980 et 100 kilos au tournant du siècle. L’évolution de la consommation de produits laitiers a été à peu près identique… Du coup, tout le système de production de produits animaux s’est organisé pour produire en quantité avec des prix bas. Mais, qui peut imaginer que cette croissance perdure, et qu’on finisse par consommer 200 kilos de viande et autant de lait par personne en 2100 ? La réalité est que nous avons amorcé le reflux : nous sommes redescendus à 85 kilos de viande et 90 kilos de lait. Cette baisse va probablement s’accentuer pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’on trouve un équilibre (qui pourrait se situer entre 60 et 70 kilos). Ce mouvement de fond s’accompagne de nombreuses considérations culturelles, sur la maltraitance animale, les dérives des abattoirs, la peur du cancer et de l’athérosclérose, la découverte de l’intolérance au lactose, la lutte contre l’obésité ou le réchauffement climatique, la montée du véganisme, etc., ponctués par divers scandales sanitaires. Mais, quels que soient les prétextes et facteurs déclencheurs, l’essentiel réside dans notre manque d’appétit pour ces produits, qui, de modernes et symboles de l’accès de tous à la richesse alimentaire, deviennent peu à peu ringards. Auparavant, tout le monde voulait s’empiffrer comme les nobles puis les bourgeois, et accéder au beefsteak-frites ou à la blanquette de veau, voire au foie gras, mais maintenant nos modèles culturels deviennent de plus en plus souvent végétariens !

Comme de plus ces produits sont difficilement exportables, et périssables, et qu’on a bien pu voir depuis plusieurs années que ni la Chine ni la Russie n’allaient pouvoir ni vouloir soutenir l’élevage européen, nous sommes rentrés pour longtemps dans une crise de surproduction, avec une concurrence sauvage sur les prix, dans laquelle nous les Français ne sommes pas les moins disants. Les expédients conjoncturels mis en œuvre depuis quelques années montrent leur limite ; les éleveurs se sont de plus en plus endettés et beaucoup ne pourront pas rembourser ces dettes. Des milliers, voire des dizaines de milliers d’entre eux vont donc devoir arrêter leur activité en 2017.

Des manifestations d’éleveurs de plus en plus désespérés sont à prévoir en 2017

On va assister à un vaste, long et douloureux mouvement de la quantité vers la qualité, comme celui qui a entièrement transformé le secteur du vin dans les années 1960 à 1990. Il y a toujours des viticulteurs et France, malgré le fait que la consommation de vin est passée de 140 litres à 40 litres, au prix d’énormes sacrifices, mais… on ne produit plus de piquette, mais seulement du bon et du très bon vin, vendu plus cher. Observons que les poulets de Loué et de Bresse, le fromage de Comté ou le lait bio se portent bien, aux avant-postes de cette transformation nécessaire et inéluctable. Dans 20 ou 30 ans, on produira beaucoup moins de produits animaux en France, mais majoritairement sous signe de qualité… et nos animaux mangeront exclusivement des végétaux… français, et probablement plus du tout de soja sud-américain !

Cette crise sociale qui s’annonce sera malheureusement très douloureuse, car vécue dans l’isolement, le déshonneur et la trahison, et l’indifférence du reste de la population. Car il n’y aura probablement pas de vrai plan social comme on a pu en faire pour la sidérurgie, ou même récemment pour Alstom. Les éleveurs concernés devront donc brader leurs animaux, et perdront probablement en plus leurs terres, voire leur ferme, mettant fin à des traditions multigénérationnelles. Cela finira en désespoir, jacqueries et souvent en suicide… La seule lueur d’espoir est que généralement leur conjointe travaille à la ville car ce sera souvent leur seul amortisseur…

Les agriculteurs scruteront la météo

Les céréaliers français ont connu en 2016 une très mauvaise année, avec une double peine : les intempéries du printemps ont réduit d’un quart leur production, à cause des inondations et du manque de rayonnement solaire. Mais comme il a fait beau dans presque toutes les autres zones céréalières de la planète, la récolte mondiale a été excellente, provoquant un effondrement des prix.

2016 : La pire récolte de blé depuis 40 ans en France : 29 millions de tonnes contre 40 en 2015

L’année n’a pas été bonne non plus pour les producteurs de fruits et légumes. Les agriculteurs français sont donc presque tous au bout de leurs trésoreries, et ni l’Europe ni la France n’a les moyens (ou la volonté) de les aider efficacement à franchir le cap. La météo de l’année 2017 risque donc d’être décisive. En cas d’incident climatique majeur, on aura probablement une hécatombe de producteurs de végétaux qui accompagnera celle, devenue inéluctable comme on l’a vu ci-dessus, des producteurs d’animaux.

Guerre commerciale ravivée

Sauf grande surprise, le traité commercial Europe-Etats-Unis ne sera jamais signé : beaucoup d’Européens n’en veulent pas et Donald Trump non plus. Mais, faute de régulation, puisque ce mot n’est plus à la mode, ce sera la guerre économique impitoyable, avec un président américain convaincu que les Européens ont abusé des faiblesses de son pays, et une appétence de plus en plus émoussée pour construire une Europe forte. 2017, année du chacun pour soi !

En matière agricole et alimentaire, cela signifiera des offres de produits à bas prix venant de partout, et une grande difficulté pour maintenir notre agriculture compétitive, et même pour protéger la santé de nos consommateurs.

Vers une indigestion de big data… américain

Jusque-là, l’agriculture était une affaire de pragmatisme et d’intuition, car on ne connaissait pratiquement rien de la terre sur laquelle on travaillait. D’où la simplification extrême de l’agriculture "industrielle" qui s’est fortement développée dans la deuxième moitié du XXe siècle. Quand on prend conscience que dans un seul gramme de terre on peut trouver 4 000 espèces de bactéries et 2 000 de champignons, et que sous un seul M2 de terre vivent 260 millions d’êtres vivants, on mesure l’étendue de notre ignorance, et donc de notre incompétence. Ces temps obscurs se terminent, car on arrive à comprendre de mieux en mieux l’infiniment petit et que les capteurs et robots débarquent par légions entières. On va enfin commencer à comprendre ce qui se passe réellement dans chaque M2 de nos champs, et à toutes les profondeurs : combien il y a d’eau, de carbone, d’azote, de phosphore, etc. ainsi que la caractéristique et l’utilité exacte des micro-organismes qui y travaillent. Les drones par exemple vont avoir des applications intensives au-dessus de nos champs, couplés aux images satellitaires, puis aux outils agricoles spécialisés et précis guidés par GPS. Toutes sortes de robots vont débarquer dans nos campagnes. Ce marché commence seulement et 2017 devrait voir en la matière un très fort développement.

Le même phénomène va révolutionner entièrement l’élevage : les vaches à "capteur intégré" confieront à chaque instant à nos téléphones portables leur température, l’acidité de leur estomac, le nombre de leurs pas, leurs chaleurs, l’imminence de leur mise bas, etc. Nos poules et cochons seront eux aussi en permanence observés par toute une batterie de caméras et de micros.

On va vers une véritable indigestion de données, surtout si on les couple avec les données météorologiques et hygrométriques micro-locales. Le problème qui se pose est celui du traitement et du stockage de cette gigantesque récolte de chiffres. Déjà on a vu en 2015 et 2016 se regrouper les plus grandes entreprises mondiales de semences et de pesticides, pour devenir de véritables monstres : Chem China avec Syngenta, Dow avec Du Pont, Bayer avec Monsanto ! Derrière ces mariages se profile la "triple convergence" entre la génétique des semences, la nouvelle chimie "bio-inspirée" et le "big data". C’est ainsi que le futur groupe Bayer-Monsanto annonce vouloir dépenser à lui seul en recherche 2,5 milliards de dollars annuels, soit le triple du budget annuel de l’INRA, qui est pourtant un des plus grands centres de recherche agricoles au monde.

Cette accélération de l’histoire va se poursuivre en 2017. L’Europe saura-t-elle réagir à temps, ou bien va-t-elle laisser les grandes multinationales prendre un contrôle décisif sur un domaine encore plus stratégique que celui de la propriété des semences, celui du big data agricole ? Qui vendra demain à nos agriculteurs les informations devenues essentielles sur ce qui s’est passé dans chaque M2 de leurs champs depuis 20 ans ? Malheureusement, on ne voit rien venir, alors que le train mondial démarre, et on peut craindre que 2017 soit une année d’aveuglement et de renoncement pour l’avenir de l’agriculture européenne.

La planète aura le dernier mot

La planète se fiche carrément du niveau de vie de nos agriculteurs et de l’appétit de nos consommateurs ! Elle se réchauffe et ses ressources s’épuisent ! Notre agriculture ne peut que s’adapter à ces changements devenus inéluctables. Même si on pouvait bénéficier encore quelques années d’une accalmie climatique, ce qui n’a rien d’évident, des défis énormes restent devant nous. Passer à une agroécologie intensive n’est pas une option. Et ce constat semble de plus en plus mûr dans les têtes. Jusque-là, les changements pratiques ont été lents et timides, car l’idée qu’ils devenaient inéluctables commençait seulement à entrer dans les têtes. Mais maintenant que la certitude que la planète se réchauffe et que les ressources s’épuisent commencent à être ancrée tant à la ville qu’à la campagne, 2017 pourrait bien être une année de changements pratiques beaucoup plus rapides, sans attendre d’y être carrément acculés.

Songeons que l’on va devoir probablement abandonner le labour, pour cultiver nos champs en permanence, avec des mélanges de plantes hiver comme été, et remettre des arbres partout pour faire de l’agroforesterie, ainsi qu’élever systématiquement des auxiliaires de culture (les "bêtes qui mangent les petites bêtes qui mangent nos plantes") en utilisant une bio chimie "positive" qui aidera les organismes vivants du sol à mieux faire leur travail plutôt que de les détruire parce qu’on ne les connaissait pas bien (ce qu’on a largement pratiqué jusqu’à maintenant). Songeons que nous pourrons probablement à la fois nourrir l’humanité, enrichir nos sols et refroidir la planète via ces nouvelles techniques. Nous ne sommes qu’au tout début de cette nouvelle révolution agricole, et 2017 sera peut-être l’année où l'on verra nos paysages et nos pratiques agricoles commencer à changer fortement !

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