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Des employés travaillent sur une chaîne de montage de moteurs électriques à l'usine du constructeur automobile Stellantis à Tremery, dans l'est de la France, le 27 janvier 2022.
Des employés travaillent sur une chaîne de montage de moteurs électriques à l'usine du constructeur automobile Stellantis à Tremery, dans l'est de la France, le 27 janvier 2022.
©Éric PIERMONT / AFP

Réalités économiques

Alors que les chiffres du chômage sont bons, que les investissements sont maintenus et que l’inflation recule, les coûts de l’énergie vont fragiliser la production industrielle et menacent les artisans. S’agit-il d’un effet de décalage ou y a-t-il au sein de l’économie française des secteurs qui n’évoluent plus du tout en rythme ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Selon l’INSEE, on assiste à un ralentissement de l'inflation française en décembre. La hausse des prix en France a ainsi atteint 5,9% sur un an en décembre, contre 6,2% en novembre. Le nombre de demandeurs d’emplois inscrits en catégorie A a diminué de 2,1% en novembre par rapport à octobre. Et en même temps on tire la sonnette d’alarme pour l’industrie et l’artisanat (avec le cas emblématique des boulangeries) et les licenciements économiques se multiplient outre-Atlantique. Comment comprendre ce panorama contrasté ? 

Don Diego de la Vega : Le panorama est contrasté car nous sommes à la césure entre deux périodes. D’une part, le moment où nous entrons dans une phase de lente croissance, donc de grande vulnérabilité, qui a commencé en février dernier. On l’observe sur le prix des courses, des matières premières, etc. Mais d’autre part, nous avons encore les sous-produits de la période précédente, celle du rebond de croissance post-pandémie, durant laquelle l’Occident a connu +6 de croissance, grâce aux stimulations budgétaires et à la reprise de la consommation. En sortie de crise Covid, nous avons eu un embouteillage sur les lignes logistiques. Il a créé le sentiment qu’on manquait d’emplois, de semi-conducteurs, etc. Ce n’était pas factuellement faux mais on se doutait que ça ne durerait pas.

En France, en 2022, nous n’avons eu que les acquis de croissance calculés fin janvier 2022. Cela veut dire que sur les onze autres mois, nous avons eu une croissance nulle. Et si notre croissance est aux alentours de 2% en Europe, c’est parce que nous avions des acquis de croissance considérables après 2021. La seule raison pour laquelle il y a un contraste c’est parce qu’il reste des traces de la période précédente en glissement annuel. C’est valable pour l’emploi qui est déjà une variable lagué, qu’on regarde « en retard ». On perçoit des licenciements mais les chiffres ne le montrent pas encore.  C’est la même chose pour l’immobilier.

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C’est donc un effet de décalage (les mauvaises nouvelles -ou mauvaises politiques comme celle de restriction monétaire et de hausse des taux- n’ont pas encore produit leurs effets mais ne manqueront pas de les produire ? 

Quand on monte les taux d’intérêts, l’effet maximal se fait ressentir entre 18 et 24 mois. L’hiver qui sera vraiment dur, c’est donc 2023-2024, puisqu’on paiera le resserrement monétaire de mi-2022.

Est-ce qu’il y a encore des bonnes nouvelles ?

Il ne peut pas y avoir de bonnes nouvelles, tous les curseurs sont pourris. Mais cela provoque certaines baisses, comme celle des matières premières. Si les prix baissent, c’est parce que le marché anticipe une récession. C’est le sous-produit de l’anticipation d’une période dure. En 2013, François Hollande parlait d’alignement des planètes car les taux d’intérêts et le pétrole baissaient. Mais c’est uniquement parce que nous étions en dépression économique et que personne ne tablait sur la croissance future. Il y a quelques aides budgétaires qui permettront peut-être à l’artisanat et l’industrie de moyenne gamme de survivre quelques années, on va peut-être trouver des solutions locales ou sectorielles, on sauvera peut être les boulangers pour des raisons électorales, mais il n’y a pas de bonne nouvelle à échelle macro. On va avoir une croissance d’à peine 1,9 % à l’échelle mondiale. Et cela veut très probablement dire qu’il faudra nous estimer heureux, nous européens si nous faisons 0%. Bien sûr, puisque nous avons une économie presque soviétisée, elle est peu cyclique. Et puisque notre industrie n’existe presque plus, le cycle ne sera pas très important. Nous n’aurons pas -4, mais très certainement 0. Et probablement la même chose en 2024 puisque nous entrerons dans l’année avec un acquis de conscience négatif. Si tout se passe bien, en janvier 2025, notre PIB sera au niveau de janvier 2020. Cela veut dire une demi-décennie de croissance perdue, après une décennie de croissance faible.

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Le patron d’Amazon a annoncé se séparer de 18 000 employés. Est-ce parce qu’ils sont déjà rattrapés par la conjoncture ?

Amazon est une boite avec encore un potentiel entrepreneurial. Tesla aussi licencie. Pourquoi ? parce que ce sont des entreprises qui sont encore aux mains de leurs fondateurs et que ces derniers y ont investi de l’argent. Les Bezos, Musk et autres sont des réalistes, ils perçoivent qu’il ne va pas y avoir de croissance dans les mois à venir. Donc même s’ils sont dans des domaines plutôt en vogue, ils savent qu’il y a du gras dans leurs entreprises et qu’il est temps de serrer la vis, notamment sur le télétravail, afin de passer le cap des deux prochaines années. La Silicon Valley vire ses employés pour cela, parce que les patrons sont des entrepreneurs. Les managers, qui n’ont pas mis leur propre argent en jeu, les bureaucrates, les banquiers, ne font pas de licenciements. Puisque ce n’est pas leur argent, il préfère maintenir la paix sociale en évitant de licencier. Est-ce une bonne nouvelle ? Tout dépend pour qui ? Pour un cadre bien installé oui, pour un nouvel entrant ou un actionnaire, clairement pas. Les gains de productivité sont négatifs depuis 4 ans et il n’y a pas de chômage. Ce n’est pas normal. et on ne le comprend que si on comprend que les entreprises sont majoritairement dirigées par des bureaucrates. La contrepartie de cela, c’est que nous mettrons plus de temps à nous relever.

Savons-nous quelle sera l’ampleur des difficultés ?

C’est complexe à établir. On ne sait pas exactement quelle est la trésorerie des TPE. On ne sait pas non plus quelles seront les stratégies budgétaires de l'État pour protéger les artisans et autres. Je pense depuis le début que les PGE ne seront pas remboursés. Avec ce genre de remises de dettes cela pourrait tenir. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la France marche sur une fine pellicule de glace qui peut craquer à tout instant. On en est au point où les perspectives 2023 incluent, chez les analystes, des considérations météorologiques européennes pour la température et le vent. C’est ce qu’on faisait avant pour, par exemple, le Venezuela ou des pays de cet ordre. Ce que ne comprennent pas les Français, c’est que les crises ne se succèdent pas, elles s’empilent.

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Y-a-t-il au sein de l’économie française des secteurs qui n’évoluent plus du tout en rythme (grandes/petites entreprises, industrie/tertiaire, métropoles/ zones rurales, etc…) ? Tout le monde est-il dans la même situation ?

La différence, elle est entre les secteurs ouverts et fermés. Les secteurs rentiers et entreprenariaux. Quand vous êtes dans une démarche d’accumulation de stock productif, d’accumulation de connaissance, vous vous engagez et prenez le cycle dans ce qu’il a de bon comme de moins bon. Dans une autre démarche, vous agissez comme des parasites. J’entends beaucoup dire que la séparation est entre les riches et les pauvres, mais l’année 2022 a été la pire année de performance des actions et obligations depuis un siècle (à l’exception de 1931 et 1969). Les riches aussi se font avoir. Donc tout le monde prend des coups, et tout le monde va continuer d’en prendre. A terme, la différence va être entre ceux qui ont anticipé la situation et ceux qui ne l’ont pas fait. Pour traverser le désert des Tartares, il faut avoir une bonne gourde. 2022, était l’occasion de remplir celle-ci. Sauf qu’on ne voit pas très bien où se trouve le bout du tunnel. 

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