Énorme excédent commercial avec les États-Unis, déficit gigantesque avec la Chine : mais comment expliquer la situation de l’UE ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Europe Chine dirigeants équilibre excédent commercial dépendance international Chine Etats-Unis
Europe Chine dirigeants équilibre excédent commercial dépendance international Chine Etats-Unis
©JOHANNA GERON / POOL / AFP

Equilibre

Selon les chiffres de l'année 2020 d'Eurostat, l'Union européenne bénéficie d'un excédent commercial de 150 milliards d'euros avec les Etats-Unis. L'UE est néanmoins confrontée à un important déficit commercial vis-à-vis de la Chine en 2020. Comment expliquer cette situation ? Ce déséquilibre est-il inquiétant ?

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico.fr : Les chiffres sur l'année 2020 d'Eurostat montrent que l'Union européenne a un excédent commercial de 150 milliards d'euros avec les Etats-Unis. La situation alors dénoncée par Donald Trump a-t-elle foncièrement changé depuis son élection ? À quoi est-elle vraiment due ?

Jean-Marc Siroën : Le déficit commercial des États-Unis est de 680 milliards de dollars (560 milliards d’euros). L’excédent de l’Union Européenne ne représente donc qu’une part de ce déséquilibre qui se réduit d’ailleurs d’un tiers si on tient compte de l’excédent américain dans les services.

Ce déficit dénoncé par Donald Trump existait avant son élection et s’est dégradé durant sa Présidence malgré sa politique protectionniste et la renégociation des accords commerciaux. La raison principale est simple et quasi-mécanique : l’accroissement du déficit budgétaire passé de 3 % en 2016 à près de 5 % en 2019 puis autour de 17 % en 2020 (crise de la Covid). Cette politique en dopant une croissance déjà forte, a en même temps favorisé les importations et ce, d’autant plus que certains secteurs travaillaient déjà à flux tendus.

D’une manière plus générale le principe selon lequel les échanges bilatéraux devraient être équilibrés n’a aucun sens économique car ce qui détermine les exportations (la demande du pays de destination) n’a aucune raison d’être ce qui détermine les importations (la demande du pays d’origine). Les pays sont spécialisés ce qui signifie qu’ils ne produisent pas tout et doivent donc importer ce qui leur manque mais sans qu’il soit justifié d’équilibrer les échanges bilatéraux. Ce n’est pas parce qu’un pays importe du pétrole d’un pays que celui-ci devra importer une valeur équivalente d’automobiles. Si cela était, le commerce international redeviendrait une forme de troc qui a parfois existé dans l’histoire (dans les années 1930 ou pendant la guerre froide avec le bloc socialiste) sans laisser de très bons souvenirs…

Par ailleurs l’interprétation des balances bilatérales est trompeuse. Lorsque les compagnies américaines d’aviation importent un milliard d’Airbus, les États-Unis réimportent aussi le réacteur made in USA préalablement exporté par General Electric, une firme américaine ! Mais surtout, d’un point de vue statistique, si le déficit bilatéral des États-Unis augmente bien d’un milliard (moins la valeur du réacteur) ce n’est pas « économiquement » un déficit avec la seule UE puisque la valeur de l’Airbus inclut aussi des circuits électriques marocains ou des puces japonaises…

Les gouvernements doivent donc davantage se préoccuper du déficit global qui dépend en grande partie de données macroéconomiques internes (équilibre épargne-investissement, solde budgétaire) et moins des déficits bilatéraux qui désignent trop facilement des boucs émissaires (ce qui ne signifie pas qu’on doive toujours les exonérer de reproches…).

À l’inverse, l'UE affiche un déficit commercial 187 milliards d'euros en 2020 vis-à-vis de la Chine (contre 164,7 milliards d'euros en 2019). Quelles sont les racines de ce déficit qui se creuse ? La crise du Covid l'a-t-elle accentué ?

Ce qui vient d’être dit sur la pertinence d’une analyse en termes de déséquilibres bilatéraux est encore plus vrai dans les échanges UE-Chine. En effet, même si les choses évoluent, le mode d’insertion de la Chine dans la chaîne mondiale de valeur a été de se spécialiser dans des tâches situées à la fin du processus de production et très utilisatrices de main-d’œuvre bon marché. Cette stratégie signifie que la Chine exporte des produits finis qui incorporent une grande quantité de matières premières et de composants importés. En d’autres termes, la part de la valeur ajoutée chinoise dans la valeur de ses exportations est relativement faible. En réalité, quand un Européen achète un smartphone « made in China » il y aura bien plus de valeur ajoutée américaine, japonaise ou coréenne (voire allemande ou suédoise…) que de valeur ajoutée chinoise. Le déficit bilatéral de l’Union européenne avec la Chine est donc à relativiser.

Alors que le commerce de l’UE avec les États-Unis s’est effondré, celui avec la Chine a continué d’augmenter. Le pays est devenu le principal partenaire de l’UE (à 27). Comme les importations ont plus augmenté que les exportations (+5,6 % contre +2,2 %) le déficit s’est creusé mais de manière assez modérée par rapport à ce qu’on pouvait prévoir. En effet, non seulement la crise de la Covid a imposé à l’UE des importations « sanitaires » (masques, respirateurs,…) mais les confinements et la généralisation du télétravail ont provoqué une flambée de la demande de produits électroniques (et la pénurie de puces) favorable aux exportations chinoises tout en préservant leur percée dans le domaine des télécommunications (5G). Du côté européen, sa spécialisation faisait craindre des exportations en chute plutôt qu’en croissance (par exemple : ralentissement des ventes d’avions). Ces effets ont été finalement assez limités et certains pays européens, dont l’Allemagne, ont pu augmenter leurs exportations. Les secteurs de la machine-outil, de la chimie et même des véhicules ont sinon profité de la crise, du moins assez bien résisté.

Ce déséquilibre est-il forcément inquiétant ? La Chine a-t-elle conquis de nouveaux secteurs qui pourraient nous rendre dépendant d'elle ?

Dans la mesure où on pouvait s’attendre à pire, on pourrait presque dire que l’augmentation modérée du déséquilibre est plutôt une bonne nouvelle même si tous les pays européens, dont la France, s’en sortent moins bien que d’autres.

Cela ne signifie pas qu’on doive être rassuré mais que l’inquiétude doit moins porter sur le déficit bilatéral que sur la mutation du modèle chinois. Son industrie ne se contente plus d’assembler des composants importés et de fabriquer des jouets ou des sacs à main sous licence. Si elle n’est pas vraiment parvenue à conquérir les stades les plus en amont du processus de production, elle a acquis, ou est en voie d’acquérir, un « avantage comparatif » dans certains secteurs de la nouvelle économie liés au digital, à la communication et à l’environnement et qui va des réseaux 5 g (Huawei) aux batteries et aux panneaux solaires. Un « monopole » chinois dans ces nouveaux secteurs risquerait de cantonner l’économie européenne dans l’ « ancienne économie » mal adaptée aux nouveaux risques (sanitaires, environnementaux,…) ce qui serait d’autant plus dramatique que ces activités ne se contentent pas de déterminer les performances économiques mais aussi le modèle de société. Inutile de réaffirmer la nécessité de réagir au-delà des déclarations d’intention.

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