En thérapie : ce qui se passe dans la série qui cartonne... et ce qui se passe dans la vraie vie<!-- --> | Atlantico.fr
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En Thérapie série sur la psychanalyse Eric Toledano Olivier Nakache
En Thérapie série sur la psychanalyse Eric Toledano Olivier Nakache
©DR / Arte

Psychanalyse

La série d’Arte, "En thérapie", qui met en scène un psychanalyste face à ses patients, connaît un immense succès. La série réalisée par Eric Toledano et Olivier Nakache bat des records d'audience sur Arte. Cette série est-elle bonne pour l’image de la psychanalyse ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : La série « En thérapie » de Arte connaît un fort succès. Ce qui est mis en scène est-il conforme à ce à quoi ressemble une séance chez le psychanalyste ?

Pascal Neveu : Cette série/feuilleton de 26 minutes est une adaptation de la série israélienne « BeTipul », dont la version plus connue en France est l'américaine, « En analyse » (In Treatment), nées à partir de 2005. Chaque épisode correspond à une séance, finalement un huis-clos, un face à face, dans le cabinet du psy, sans temps mort.

Pour autant ces 3 séries ne reflètent en rien ce qui se passe dans le cabinet d’un psychanalyste et le cadre analytique. C’est sans doute la raison du titre « En thérapie » et non « En psychanalyse ». Nous sommes davantage dans un cadre de psychothérapie analytique, thérapie de couple…

La première chose qui m’a frappé dans les premiers épisodes, c’est ce cadre analytique non respecté. Les patients répondent au téléphone, ils sont très agressifs contre le psy Dayan qui se laisse déborder par le transfert amoureux de sa patiente, sans oublier qu’il parle énormément avec des phrases théoriques qui ne servent en rien la thérapie. En effet, il nous faut apprendre à nous taire, sans pour autant sombrer dans le mutisme. Il ne s’agit pas pour l’analyste de faire parler, mais de laisser parler, ce qui n’est pas la même chose.

Que fait bien et que fait mal le psychanalyste de la série ?

Nombre de scénaristes et de réalisateurs se sont essayés à l’exercice, sans doute Woody Allen restant celui qui a le plus évoqué la psychanalyse dans ses films. Mais n’oublions pas des séries comme Les Soprano, et des films comme « A dangerous Method », « Freud, passions secrètes », « Passage à l’acte »…

Nous savons tous que c’est une fiction. Mais tout psychanalyste ne peut que bondir de son fauteuil devant son petit écran tout autant qu’un policier devant une série policière, face à chaque invraisemblance, car notre quotidien prête à fantasmer ces séances psy si « secrètes ».

Par exemple la neutralité bienveillante que Freud considérait comme la seule attitude compatible avec la direction de la cure n’exclut pas le recadrage éventuel de la personne qui manifesterait de l’agressivité ou téléphonerait en séance.

Egalement, faire parler son psy est le fantasme de tous les patients, comme savoir quelque chose de la vie privée de son analyste. Hélas Dayan se livre parfois. Car on découvre un psy qui doit également ses problèmes de vie… alors qu’il porte la représentation du « sujet supposé savoir ».

On découvre dès le 2ème épisode qu’il n’a pas géré le transfert de son analysante qui ne cache pas être amoureuse de lui et exprime ses désirs.

Ce passage joue en défaveur de la psychanalyse car ce transfert amoureux n’a jamais à se produire. Le transfert ne doit rester que l’expression des sentiments en lien avec entre autre ses parents, et que le psy doit immédiatement canaliser. J’ai du gérer à plusieurs reprises des analysantes de vrais dérapages de confrères, le passage à l’acte étant dévastateur chez l’analysant.

De plus, on découvre qu’il ne rencontre pas son superviseur, alors que ces séances sont obligatoires et indispensables. Ce qui éviterait quelques interprétations sauvages, voire des avis qu’un thérapeute n’a jamais à livrer.

La série a choisi le contexte des attentats du 13 novembre, les sentiments et vécus de ceux qui ont vécu ces évènements dans la réalité sont-ils proches de ce qu’on peut voir dans la série ?

Hélas oui. J’ai suivi des patients qui ont vécu ce terrible événement, au Bataclan et dans les bars attaqués.

Je ne peux que reconnaître des ressentis et comportements très proches, en lien avec ce que nous appelons le stress post-traumatique.

ll est des traumatismes collectifs qui nous marquent et nous parlent comme également les attentats du 11 septembre 2001. Ce jour là, ironie du sort, j’étais invité à un colloque sur les violences et un invité posait la question : « commet déceler un terroriste avant un passage à l’acte… ? ». Quelques heures plus tard, dans un lieu où les téléphones portables ne captaient pas, nous apprenions l’horreur. Par la suite en pleine nuit j’étais en route avec des sapeurs-pompiers.

Certains des personnages viennent consulter précisément suite aux attentats : Ariane, la chirurgienne, Adel le policier de la BRI. Pour tous, le traumatisme collectif en réveille d'autres, plus intimes, et c’est finalement ce qui se joue et se dit dans la série.

Qu’est ce qui fait selon vous l’engouement de cette série ? Est-ce parce qu’elle permet à ceux qui n’ont jamais fait d’analyse d'entrapercevoir ce qu’il s’y passe ?

Parce que les gens aiment bien observer la vie privée, et ont envie de comprendre un peu mieux comment notre psychisme fonctionne, ce qui cloche dans notre vie personnelle et familiale. Rappelez-vous les émissions talk-shows à forte audience. Les gens veulent apprendre des choses sur eux-mêmes. Le rythme de l’émission, le fait qu’il s’agisse d’une séance par épisode, qu’il n’y ait que 2-3 acteurs participent à avoir le temps d’entendre ce qui se dit, contrairement à des plateaux télé.

De plus il a été longuement décrit par la les acteurs que leurs émotions étaient très réelles lors des tournages. Les téléspectateurs doivent le percevoir.

Cette série est-elle bonne pour l’image de la psychanalyse ? Conseilleriez-vous de la regarder ? Pourquoi ?

Même si cette série comporte des défauts, elle a le mérite de montrer la pratique thérapeutique, qui nous interpelle tous.

Tout le monde a des a priori, positifs ou négatifs, sur « les psys ». La série les renforcera ou les modifiera.

J’ai eu la chance d’apporter mon regard sur le scénario d’un film. Le réalisateur souhaitait coller au maximum avec la réalité psy et les comportements de patients.

Il faut rappeler que la psychanalyse est avant tout une école de la vérité, en travaillant sur son intime, sur le non révélé. Elle est encore bien vivante même si elle trouve toujours ses détracteurs, car elle dérange.

Depuis sa naissance, la psychanalyse n’a cessé d’être critiquée. Dérangeante dans une Vienne qui ne supportait pas qu’un jeune neurologue passé par Paris aborde des sujets sexuels capables de guérir le principal tourment de l’âme de l’époque : l’hystérie. La psychanalyse n’est pas que l’hystérie ou que le sujet sexuel. La psychanalyse est une pratique thérapeutique qui guérit, qui fait sortir de la tourmente nos analysants.

Depuis 1950, la psychanalyse  s’est pervertie jusqu’à rallonger la durée des cures

La psychanalyse est avant tout une méthode analytique qui a pour objet l’efficacité thérapeutique. Cette démarche s’appuie essentiellement sur la recherche et la mise en forme des abréactions (une décharge émotionnelle par laquelle un sujet se libère de l’affect au souvenir d’un événement traumatique, lui permettant ainsi de ne pas devenir ou rester pathogène). Il n’y a pas d’analyses pleinement achevées sans abréaction, la prise de conscience n’est qu’un moyen d’y parvenir. Le revécu émotionnel est au centre du processus analytique.

La meilleure façon de faire échouer une analyse serait de ne s’attacher qu’à l’analyse intellectuelle, c’est à dire consciente, des comportements émotionnels dont on peut retrouver le souvenir sans se mettre en situation de les vivre à nouveau pour en ressentir à nouveau les effets.

C’est ce travail d’alliance entre le savoir de l’analysant et de l’analyste le rassurant, qui permet à l’analysant de trouver cet espace de parole en toute autonomie. Réduire la dépendance à l’analyste tout en conservant la qualité et le rôle du transfert.

L’avenir de la psychanalyse passe par le fait d’en revenir à la vraie forme historique freudienne de la cure : la disparition ou le net apaisement du symptôme. L’analyste en est le catalyseur, l’activateur, l’amplificateur se fixant comme objectifs les abréactions et enfin la perlaboration. Car il a pour vocation de guérir.

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