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En France, le virus tue. Et les Amateurs apprennent la communication…
©BERTRAND GUAY / AFP

Principales leçons

L'ancien député et l'ancien ministre Pierre Lellouche revient sur la situation de l’épidémie de coronavirus et analyse la stratégie adoptée par le Gouvernement français.

Pierre Lellouche

Pierre Lellouche

Ancien député, Pierre Lellouche a été secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes puis secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur au sein du gouvernement Fillon.

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Alors que la France se dirige vers un nouvelle prolongation du confinement, au moins jusqu’au mois de mai, quelle est la situation de l’épidémie, et quels premiers jugements peut-on porter sur la stratégie suivie par le Gouvernement français ? 

Au 9 avril 2020, la pandémie avait contaminé plus d’un million et demi de personnes dans le monde. 90 000 de ces malades sont décédés. A l’exception de la Chine et de quatre pays (ou entités) asiatiques – Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong-Kong – où elle a pu être sinon totalement stoppée, du moins enrayée, la pandémie est en pleine expansion – exponentielle – partout. 

Le foyer principal est désormais l’Europe, avec plus de 50 000 morts, mais la progression du nombre de cas et de morts est également très rapide aux États-Unis (un demi-million de cas, 15 000 morts). A de rares exceptions près (Brésil, Mexique, Pays-Bas, Biélorussie…), la planète entière est entrée ou en train d’entrer en confinement, risquant d’entraîner le monde dans un « krach » économique et financier sans précédent. 

En dehors des pays asiatiques déjà mentionnés, aucune date de sortie de crise n’est actuellement prévisible. Si de nombreuses équipes y travaillent activement à travers le monde, aucun vaccin ne sera disponible – et distribué à des milliards de personnes – avant 18 mois, voire deux ans. D’ici là, des traitements intermédiaires à base d’antivirus connus, et de la désormais célèbre chloroquine, pourront peut-être ralentir, voire guérir la maladie du moins chez certains malades, en particulier chez les personnes infectées en phase pré-inflammatoire. 

S’il est naturellement trop tôt pour tirer tous les enseignements de cette véritable catastrophe mondiale, au moins trois leçons principales émergent clairement à mes yeux.

1. Les pays bien préparés et bien organisés ont pu rapidement juguler l’épidémie. Sans doute instruites par le MERS et par le SRAS, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong-Kong ont immédiatement pris une série de mesures, désormais bien connues, pour bloquer l’épidémie. 

Ces pays ont d’abord réagi instantanément : dès le 23 janvier, date du confinement décidé en Chine sur Wuhan et le Hubei, arrêt des vols en provenance de ces zones, mise en quarantaine des entrants, distribution massive de masques, campagnes également massives de tests de dépistage, isolement des personnes infectées du reste de la population, suivi des personnes à risque par leurs téléphones portables (géolocalisation), hospitalisation des cas les plus graves. Ce « mix », avec des variantes selon les pays, a permis de limiter drastiquement le nombre de morts : en Corée, 50 millions d’habitants, 204 morts ; Singapour, 5,7 millions d’habitants, 6 morts ; Taïwan, 23,6 millions d’habitants, 5 morts ; Hong-Kong, 16,5 millions d’habitants, 4 morts. Cette politique a également permis d’éviter de fermer les écoles et surtout de stopper net toute l’économie. 

Un exemple est particulièrement parlant. En Corée, comme en France, l’un des points majeurs d’entrée de la contamination (mais non le seul), provenait de grandes manifestations religieuses à Taegu d’un côté, et à Mulhouse de l’autre. En Corée, l’impact du foyer de Taegu a pu être très rapidement identifié et contenu, grâce aux tests massivement pratiqués (20 000 tests jour en Corée contre 2500 en France). 

Dans notre pays, les autorités, qui avaient laissé se tenir cette manifestation de plus de 2500 personnes le 17 février à Mulhouse, ont mis près de deux semaines avant de comprendre que les participants avaient disséminé la maladie aux quatre coins du pays, jusqu’en Corse et à Cayenne. 

2. La deuxième leçon est que ces pays étaient prêts et disposaient des équipements nécessaires : masques, tenues de protection, tests de dépistage, respirateurs et lits de réanimation en nombre suffisant. Hormis le cas de l’Allemagne, qui dispose de 25 000 lits (5000 en France au début de la crise, 10 000 à présent), et teste à outrance – de 300 000 à 500 000 tests par semaine, avec un objectif de 200 000 tests par jour – tous les autres pays européens, mais également les États-Unis, sont cruellement démunis et manquent de tous ces équipements. D’où l’actuelle « chasse mondiale aux masques » que découvre le Ministre de la Santé français.

Chacun connaît la médiocrité du NHS, le système de santé britannique, qui avait convaincu dans un premier temps le Premier ministre Boris Johnson à privilégier le laisser-faire et la théorie fumeuse dite de « l’immunisation de groupe ». Résultat : les autorités outre-manche prévoient entre 75 000 et 100 000 morts au Royaume-Uni et une sortie de crise dans six mois, au mieux ; quant au Premier Ministre, il est à l’hôpital depuis plusieurs jours. 

Chacun sait également qu’aux États-Unis, comme d’ailleurs dans l’Union Européenne, la santé relève de la prérogative exclusive des États fédérés. D’où la réaction initiale de Donald Trump qui, après avoir nié carrément l’épidémie, a sommé publiquement les gouverneurs de ces États de se « débrouiller eux-mêmes » avec leurs respirateurs et leurs équipements. Résultat : 220 villes américaines viennent d’annoncer qu’elles manquent littéralement de tout, le Conseiller de Trump pour la santé, le Docteur Fauci, prévoit 100 000 morts, et Trump lui-même en annonce entre 100 000 et 200 000. Aujourd’hui, on construit un hôpital de campagne dans Central Park, à New York, et un navire hôpital de l’US Navy avec 1000 lits vient d’accoster à Manhattan, et la situation est dramatique notamment dans le sud (Louisiane). 

Mais dans ce tableau, le cas français est peut-être celui qui est le plus consternant… et le plus rageant. Car la France était, avec l’Allemagne, la seule puissance occidentale à s’être dûment préparée à une telle pandémie il y a dix ans. De même que la Corée s’était préparée après l’épidémie de MERS en 2015 (45 morts), la France s’était armée de masques d’équipements et de procédures adaptées à l’occasion de l’épidémie de grippe H1N1. Son stock stratégique en 2012 atteignait 1,4 milliard de masques, et il existait même en Bretagne une usine rachetée par l’Américain Honeywell, qui produisait 200 millions de masques par an. Ce capital sanitaire a été systématiquement détruit par une série d’erreurs bureaucratiques et politiques, au nom de « la bonne gestion des deniers publics » par les équipes suivantes.  C’est sur la recommandation du SGDSN, en 2013, que la réserve stratégique a été supprimée, la responsabilité pourtant régalienne de l’achat des masques étant transférée aux « opérateurs ». Faute de commandes, l’usine Honeywell a été fermée en 2018, son personnel licencié, ses machines vendues à la Tunisie ou détruites… Aux manettes : François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Marisol Touraine, Emmanuel Macron, ce dernier successivement Secrétaire général adjoint de l’Élysée, Ministre des Finances, puis Président de la République…

3. Troisième leçon, pour réussir à vaincre l’épidémie, il faut parler clairement et obtenir le soutien de la population. C’est ce qui a été fait dans les pays asiatiques précités. Mais pas en Chine, où le régime a longtemps nié l’épidémie (en décembre 2019 et jusqu’à la mi-janvier 2020), fait littéralement disparaître tous les lanceurs d’alerte, avant d’imposer un contrôle brutal et militarisé sur la population. Ironiquement, la même Chine se présente aujourd’hui comme un modèle de saine gestion pour l’humanité, mais tout laisse à penser que les chiffres annoncés en matière de décès (un peu plus de 3000) sont probablement très largement sous-évalués. 

Ce discours clair, nécessaire en de pareilles circonstances, ni Boris Johnson, ni Donald Trump ne l’ont tenu jusqu’à ces tout derniers jours. En revanche, la Chancelière allemande, sans hymne national, sans discours de « guerre » grandiloquent, sans référence à Hindenburg, a dit clairement aux Allemands le 11 mars dernier, que « 60 à 70% de la population risquaient d’être infectés ». Avec un taux de létalité autour de 1%, cela pourrait correspondre à un demi-million de morts… 

En France, comme en 1940, comme d’habitude serais-je tenté de dire, on a opté pour la légèreté, l’arrogance et l’improvisation, le tout nourri par un mélange de mille petites lâchetés et de beaucoup d’inconscience, pour finir en mensonge d’État. 

Comble de cette arrogance ou de cette inconscience, le pouvoir, à la fin mars 2020, soit trois mois après le début de l’épidémie en Chine, continue imperturbablement de prétendre qu’il a parfaitement tout anticipé : 

« J’ai abordé cette crise avec sérieux et gravité dès le début, lorsqu’elle s’est déclenchée en Chine » (Emmanuel Macron, interview à la presse italienne, 27 mars 2020).

« Nous avons décidé le confinement quand il est devenu nécessaire… Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur cette décision. » (Édouard Philippe, conférence de presse 28 mars 2020). Personne ? Reprenons les faits : 

Le retard tout d’abord. Retard initial dans la compréhension de l’épidémie en Chine.  Le 24 janvier, la Ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn, a assuré benoîtement les Français que : « le risque d’importation depuis Wuhan est quasi nul. Le risque de propagation du coronavirus dans la population est très faible ». 

Sur les ondes, des sommités médicales telles que le professeur Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat (le même qui le 10 mars suivant allait être nommé au Conseil scientifique créé par M. Macron), assurait à longueur d’interviews qu’il « ne va pas y avoir d’épidémie en France, parce qu’on est justement préparés » … « Parce qu’on sait faire, on sait contenir, on sait isoler les patients ». Le répit chinois, de près de deux mois, fut donc gaspillé : aucune commande de masques et d’autres équipements essentiels ; aucune stratégie de confinement efficace des fameux « clusters » quand ceux-ci commencèrent à apparaître. 

Tandis que la communication gouvernementale multipliait les références à des stades (1, 2 voire 3) parfaitement incompréhensibles pour le grand public, tout était fait, des semaines durant, pour minimiser une épidémie qu’en réalité on laissait se répandre, faute de moyens et de décisions cohérentes : il ne fallait pas « bloquer l’économie ». 

Après l’annonce des cinq Britanniques contaminés en Haute-Savoie (8 février), on répéta qu’il était inutile de fermer les frontières. « Se laver les mains sera beaucoup plus efficace », dit-on au gouvernement. Et bien-sûr on laissa se poursuivre les vols internationaux, Chine comprise, en interdisant tout contrôle sanitaire dans les aéroports, Mme Buzyn expliquant qu’un « simple cachet d’aspirine les rendrait inopérants ». 

Mieux, en arbitrage avec Gérard Collomb, le Président Macron laissa le 26 février se dérouler le match de football OL – Juventus de Turin à Lyon, avec 3000 supporteurs turinois venus tout exprès. L’épidémie explosait alors au nord de l’Italie, mais on nous expliqua que Turin n’était pas dans la zone de confinement…

Le même jour, on apprit pourtant la nouvelle d’un premier mort français dans l’Oise après le retour des Français de Chine à bord d’un avion militaire dont l’équipage est basé à Creil. Cet équipage n’avait pas subi de test biologique. Bien évidemment, la Ministre de la Défense nie tout lien entre les deux événements. Reste que l’Oise allait devenir un autre foyer majeur d’infection…

C’est la même insoutenable légèreté qui explique que quelques jours auparavant, le 17 février, les autorités françaises aient laissé se dérouler le rassemblement de plus de 2000 fidèles à Mulhouse par « l’Église de la porte ouverte chrétienne ». Des fidèles, venus de toute la France et même de Suisse, pour « une semaine de jeûne et de prières ». Ironiquement, le Président de la République se trouvait lui aussi à Mulhouse le lendemain, 18 février, pour prononcer un de ces grands discours qu’il affectionne, cette fois sur le « communautarisme et le séparatisme islamiste ». M. Macron avait lui-même été invité par les organisateurs mais avait décliné, selon l’enquête parue dans Le Monde par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin.  

Malgré l’origine déjà connue à l’époque de l’épidémie en Corée (dix jours auparavant !) à Taegu les 7 et 9 février lors d’une manifestation semblable de l’Église évangélique « Shincheonji de Jésus », personne, semble-t-il, n’avait fait le lien, et encore moins pensé, à interdire les manifestations de masse en France. 

Les alertes n’avaient donc pas manqué au cours des quatre semaines précédentes : les trois touristes chinois du 24 janvier, les touristes britanniques contaminés en Haute-Savoie le 8 février, le premier mort sur le sol français le 14 février.

Mais ces signaux ne servirent à rien. Aucun rassemblement ne fut interdit ou reporté. Le Président fit son discours à Mulhouse, l’Église évangélique tint sa réunion, personne ne songea à reporter le Salon de l’Agriculture (22 février – 1er mars) avec son demi-million de visiteurs prévus et son millier d’exposants, venus des quatre coins de France. 

Ironiquement, le seul endroit en France où on semblait avoir les yeux ouverts sur l’épidémie chinoise, était le 13ème arrondissement de Paris : en lien avec la communauté chinoise, très au fait de ce qui se passait à Wuhan, Anne Hidalgo décida d’annuler les célébrations et autres défilés prévus pour le nouvel an chinois le 26 janvier. 

Mais au retard, s’ajoute l’aveuglement. Lorsque Benjamin Griveaux fut contraint d’abandonner sa campagne parisienne à la mi-février, c’est la seule Ministre clef en cette période cruciale qui fut désignée pour porter les couleurs présidentielles l’élection municipale de Paris. Les trottinettes, plutôt que les masques (dont on ne parlait pas encore, puisqu’au même moment, on en dépêchait 17 tonnes en Chine en signe de solidarité…). 

La même Mme Buzyn, peu après sa défaite cuisante au premier tour des municipales du 15 mars, prétendit qu’elle avait vu venir la vague dès janvier et qu’elle en avait informé, en vain, le Président de la République et le Premier ministre. Début mars, alors que le nombre de cas se multiplient, le Président se montre une nouvelle fois au théâtre Antoine avec son épouse, le 6 mars, avant d’annoncer solennellement le 12 mars le confinement, mais sans prononcer le mot… et tout en invitant les Français à aller voter le 15 mars.

Aujourd’hui, nombre de maires, d’assesseurs, de militants et sans doute d’électeurs, sont contaminés. Entre temps, le gouvernement a tâtonné : on interdit enfin les rassemblements de plus de 5000 personnes le 28 février, puis de 1000 personnes le 9 mars, puis encore de 100 personnes trois jours plus tard. Mais « en même temps », on autorise 4000 supporters en délire à se réunir le 11 mars à l’extérieur du Parc des Princes où se jouait sans public PSG-Dortmund, avec au final embrassades et feux d’artifice. 

Mais à la cécité, à la légèreté, à l’improvisation, s’ajoutera bien vite l’arrogance du mensonge d’État. Non il n’est pas besoin de fermer les frontières. Non, nous répète l’inimitable porte-parole Sibeth Ndiaye, « les masques ne servent à rien et en plus les gens ne savent les mettre », d’ailleurs elle non plus. Pour faire bonne mesure, les dépistages ne servent à rien non plus, ils sont réservés aux soignants.

Ce n’est que le 13 mars qu’est installé un comité scientifique auprès du Président. Cela tombe bien, c’est à ce comité qui, par un heureux hasard du calendrier, se verra confier dès son installation la responsabilité de décider ou non de l’invraisemblable premier tour des municipales, « la mascarade » selon Mme Buzyn. Mais il est vrai que certains ténors de l’Opposition, menaçaient de crier au « coup de force institutionnel » si les élections étaient annulées. Courageux, le Président dit avoir scrupuleusement écouté les médecins et les formations politiques, en optant pour le maintien de l’élection, montrant là toutes ses qualités de chef de guerre. 

Acculé, ce n’est qu’à la fin du mois de mars que le pouvoir a décidé enfin de jouer la carte de la transparence, mais on l’a vu, à sa manière, en ne reconnaissant aucun retard, aucune incohérence, aucune pénurie. En récusant aussi à l’avance tout mauvais procès pour « des choix passés », et en accordant une sorte d’amnistie générale présidentielle préemptive à « ceux qui ont pris des décisions il y a cinq ou dix ans (et qui) ne pouvaient pas anticiper ce qu’on vient de vivre » (Macron). Mais pour l’heure, on annonce, à grand renfort de publicité, la commande de deux milliards de masques chinois, dont on ne sait pas quand ils arriveront puisque la terre entière cherche désespérément à s’en procurer ; on annonce une filière française pour fabriquer des respirateurs, et le Président de la République lui-même indique que la France va recouvrer sa « souveraineté » ; on annonce la multiplication des tests, 50 000 en avril ; et on autorise enfin, après trois semaines d’atermoiements, les laboratoires vétérinaires à pratiquer des tests sérologiques. L’occasion a été perdue de tester plusieurs centaines de milliers de personnes ces trois dernières semaines. 

Le résultat de cette succession de fiascos se mesure aujourd’hui dans les chiffres. Ceux mortuaires de Jérôme Salomon, ancien du cabinet de Marisol Touraine, tels que déclinés chaque soir par le DGS, devenu une sorte de Borniol national. Nous avons dépassé les 11 000 morts et un rythme moyen de 600 nouveaux décès par jour. Eussions-nous appliqué les recettes coréennes, ou même allemandes (masques, tests, distanciation), combien de ces morts auraient pu être évitées ?

L’autre catégorie de chiffres concerne les sondages : 83 à 88% des Français critiquent la pénurie de masques et de tests de dépistage tandis que les mensonges successifs, loin d’avoir convaincu, suscitent désormais un sentiment de colère très répandu dans la population 74%, ou sur les réseaux sociaux avec les #IlsSavaient et #OnNoublieraPas.

Le 14 juillet 1918, à la veille de la guerre, Georges Clémenceau, inquiet de l’impréparation de nos armées, avait eu cette formule, dont il fit le lendemain le titre de son éditorial dans son journal, L’homme libre : « Nous ne sommes ni défendus, ni gouvernés ». Emmanuel Macron, qui aime le théâtre, et plus encore le rôle du « Tigre », ferait bien de méditer cette autre phrase de Clémenceau, ce constat toujours d’actualité, hélas, un siècle plus tard : « il y a dans ce pays un universel laisser-faire, un universel laisser-aller ». 

L’inconscience et les improvisations du pouvoir, durant les trois premiers mois de ce séisme planétaire, couplées au désarmement de notre système de sécurité sanitaire, et à la saignée financière de notre système hospitalier toutes ces dernières années, se paient à présent au prix fort. 11 000 morts, une centaine de milliers de malades, des hôpitaux saturés où les soignants se battent contre la pénurie autant que le virus, des Français inquiets et en colère… Et pour couronner le tout, une économie complètement à l’arrêt et des déficits qui explosent. 

Seul petit signe d’espoir en ce début avril : le léger ralentissement observé du nombre de malades et de morts en Italie, qui pourrait laisser espérer que le « pic » aurait été atteint de l’autre côté des Alpes. Et comme la courbe française suit celle de l’Italie, avec une dizaine de jours d’écart, peut-être pourrions-nous sortir de ce tunnel infernal d’ici quelques semaines, courant mai, ou plus probablement en juin.

Cela, si le matériel attendu arrive à temps. Si le système hospitalier tient. Si le confinement est effectivement observé y compris dans les quartiers où il ne l’est pas. Si les bonnes décisions organisant la sortie du confinement sont effectivement prises, et si les moyens indispensables au déconfinement, sont enfin réunis : le port du masque par la population, le dépistage de masse et sans doute aussi le suivi obligatoire (et non volontaire) par géolocalisation. Vers le mois de juin donc dans la meilleure des hypothèses. 

D’ici là, l’Allemagne, mieux équipée et moins touchée que nous, se prépare, comme l’Autriche, à sortir du confinement dès la fin avril, remettant alors son économie en marche. Une nouvelle fracture majeure se profile donc en Europe : d’un côté, la reprise progressive et la sortie du tunnel, de l’autre, la poursuite de l’enfermement forcé et la faillite. Une fracture que l’on retrouve aussi dans la mutualisation impossible des énormes dépenses que consacreront les États à la sortie de crise. Avec l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, les Scandinaves, refusent tout net l’idée de « coronabonds », défendus par la France, pour venir en aide aux pays du Sud les plus touchés par l’épidémie, mais aussi les plus endettés.  Dans une étude récente, Jacques Sapir chiffre le coût de huit semaines de confinement en France à une baisse de 8 à 10% de son PIB, à une hausse équivalente de son déficit budgétaire, sans parler de 1 million de chômeurs en plus. 

Une « étrange défaite » de plus… 

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