Emmanuel Macron, le pass sanitaire et la leçon de pessimisme de Billy Wilder <!-- --> | Atlantico.fr
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"Billy Wilder et moi" de Jonathan Coe
"Billy Wilder et moi" de Jonathan Coe
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Ils n'oseront jamais

S’il existe quelque part une possibilité d’oppression quelle qu’elle soit ne vous faites aucune illusion, elle sera utilisée et justifiée par les dirigeants au nom des plus hautes valeurs de la République et de l’humanisme. Telle est la leçon des pessimistes de Billy Wilder.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Pour les vaccins, mais contre le pass sanitaire et contre l’obligation vaccinale qui en découle.

Alors que j’écoutais Emmanuel Macron nous annoncer dans son « Adresse aux Français » du lundi 12 juillet dernier que la jauge du pass sanitaire allait passer de 1 000 à… 50 personnes, je n’ai pu m’empêcher de repenser à ce que Billy Wilder disait sur les optimistes et les pessimistes confrontés aux abus de pouvoir progressifs des politiciens.

Les premiers, trop naïfs, se disent : « Mais non, ils n’oseront jamais aller jusque-là », et finissent souvent par contempler, impuissants, les ruines de l’État de droit orchestrées par leurs dirigeants, tandis que les premiers, généralement taxés de prophètes de malheur, ont la morne satisfaction de leur dire : « Je vous avais prévenus », quand ils n’ont pas carrément claqué la porte pour rechercher des lieux plus habitables.

Mais parlons d’abord du pass sanitaire.

Depuis le 9 juin 2021, date d’entrée en vigueur de ce pass, l’accès à certains rassemblements de plus de 1 000 personnes est conditionné à la présentation d’un certificat de vaccination ou à un test de dépistage négatif de moins de 48 heures ou à un certificat de rétablissement si on a eu le Covid.

Voici ce que j’écrivais à l’époque :

« La loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire qui rend le pass sanitaire possible ne stipule nullement le seuil de 1 000 personnes. Il est donc tout à fait possible au gouvernement de décréter 800 ou 500 à sa guise. Je ne dis pas qu’il le fera, mais la loi est ainsi faite qu’elle donne un pouvoir discrétionnaire excessif à l’exécutif. »

Eh bien, six semaines plus tard, M. Macron l’a fait.

S’il existe quelque part une possibilité d’oppression quelle qu’elle soit – genre l’assignation à résidence anti-terrorisme pour des écolos qui n’avaient rien à voir avec le terrorisme mais qui risquaient de perturber la précieuse COP21 parisienne de François Hollande en 2015 – ne vous faites aucune illusion, elle sera utilisée et justifiée par les dirigeants au nom des plus hautes valeurs de la République et de l’humanisme. Telleest la leçon des pessimistes de Billy Wilder, une triste leçon qui se confirme hélas aujourd’hui.

En effet, à partir du 21 juillet, le pass sanitaire sera exigible dès 12 ans dans les « lieux de loisirs et de culture » rassemblant plus de 50 personnes et à compter du 1er août, il concernera également tout ce qui est musées, cafés, restaurants, centres commerciaux, trains, avions et autocars, personnel compris.

Autrement dit, que vous soyez jeune ou âgé, à risque ou peu à risque, pas de vaccin signifie automatiquement la privation de toute vie sociale – la privation de toute vie tout court, vu l’ampleur absolument hallucinante des interdictions d’accès. Une situation qui est appelée à se durcir encore puisqu’il est déjà prévu que le pass pourrait être étendu à d’autres activités. Commerces de proximité, écoles, travail, rassemblements privés ? En vertu de la « leçon » ci-dessus, il serait beaucoup trop optimiste de ne pas envisager de telles extensions.

Bref, la vaccination qu’Emmanuel Macron, grand prince des Lumières et des sciences, ne voulait pas rendre obligatoire devient de fait obligatoire :

« La vaccination n’est pas tout de suite obligatoire pour tout le monde, mais nous allons étendre au maximum le pass sanitaire pour pousser le maximum d’entre vous à aller vous faire vacciner. » (Adresse aux Français du 12 juillet 2021)

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On ne saurait s’exprimer plus clairement. En fait de sciences et de lumières, on ne voit à l’Elysée qu’un dirigeant dont la tendance liberticide était déjà bien documentée avant le Covid et dont il y a tout lieu de douter qu’il soit très éclairé malgré la multiplicité des conseils de défense et autres conseils scientifiques qu’il a érigés face à la pandémie.

Si les contaminations au Covid-19 se remettent effectivement à augmenter, ce n’est absolument pas le cas des décès quotidiens, ni celui du nombre de personnes hospitalisées ou en soins critiques. Ces dernières étaient 957 en France entière au 12 juillet, jour de l’allocution du Président, d’après les propres données du gouvernement.

Or l’exemple du Royaume-Uni montre que la hausse des contaminations entraînée par le variant Delta n’a pas d’influence significative sur les hospitalisations et les décès, du fait notamment de la vaccination des personnes les plus à risque. Est-ce à dire qu’il faut obliger tout le monde à se faire vacciner ? Je suis très admirative des capacités de nos vaccins et je suis d’ailleurs vaccinée deux fois, mais ma réponse est clairement non.

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D’abord parce que le point vaccinal où en est arrivée la France est très encourageant compte tenu de l’importance du facteur âge sur le risque Covid : au 4 juillet, plus de 74 % des personnes de plus de 55 ans et plus de 84 % des personnes de plus de 65 ans ont reçu leur première dose de vaccin et seront donc complètement vaccinées très prochainement – sans qu’on ait eu besoin de leur tordre le bras (voir graphique ci-contre, site Ameli). 

Deuxièmement, parce que la défiance à l’égard de la vaccination résulte en large part de la rupture de confiance qui s’est installée dans la population française face à une gestion gouvernementale de la pandémie absurdement bureaucratique et trop souvent faite de manquements à la parole donnée et de revirements opportunistes. Réparer la rupture de confiance par une couche supplémentaire de coercition, ce serait, c’est vraiment la marque d’un pouvoir aux abois qui ne voit le salut, son salut, que dans la fuite en avant autoritaire.

Et troisièmement, le plus important, parce la France se flatte d’être une démocratie avancée qui respecte les libertés individuelles – n’est-ce pas ce qu’Emmanuel Macron répète à longueur de grandes phrases et d’Adresses aux Français ?

Or la liberté, c’est l’absence de coercition, ce qui inclut logiquement le respect des individus par reconnaissance de leur parfaite aptitude à prendre leurs responsabilités à partir du moment où ils sont bien informés dans le cadre d’un débat ouvert et intelligent sur tout sujet important pour eux-mêmes en particulier et pour la société dans son ensemble – environnement, climat, questions sociales, sociétales, etc., et aujourd’hui pandémie et vaccination.

Et voici arrivé le moment de revenir à Billy Wilder dont je parlais en introduction de cet article.

Depuis Hollywood où il s’était réfugié peu après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il observait comment la situation avait évolué en Europe et s’en trouvait infiniment conforté dans sa décision d’avoir quitté l’Europe au moment où il l’avait fait.

« Certains me traitaient de pessimiste à l’époque. Eh bien, comme je le leur dirais plus tard, ce sont les pessimistes qui ont atterri à Beverly Hills avec une piscine dans leur jardin, et ce sont les optimistes qui ont fini en camp de concentration. » (rapporté de façon romancée dans Billy Wilder et moi de Jonathan Coe, Gallimard, 2021)

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Qu’on me fasse la grâce de ne pas s’arrêter aux circonstances particulières de la montée de l’hitlérisme qui constituent le contexte de cette réflexion. Ce qui me semble important et valable en de multiples circonstances bien moins tragiques que l’extermination des Juifs – à laquelle je ne compare nullement le pass sanitaire, que ce soit clair – c’est ce distinguo de comportement entre les optimistes et les pessimistes en politique.

Pour ma part, je me qualifierais volontiers d’optimiste parmi les pessimistes. Pessimiste, car sinon je ne tiendrais pas ce blog qui pourfend à longueur d’articles le modèle social collectiviste toujours plus privatif de libertés individuelles dans lequel la France s’enfonce jour après jour, année après année.

Mais encore trop optimiste au sens où chaque fois qu’Emmanuel Macron doit s’exprimer devant les Français après un brouhaha médiatique qui laisse entendre qu’il pourrait prendre des mesures liberticides, je me dis : Non, il ne va pas le faire. Il ne va pas inscrire les dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun, il ne va pas faire le pass sanitaire, il ne va pas rendre la vaccination obligatoire alors que la situation sanitaire ne l’exige nullement. Etc.

Et bim, il le fait. Ce qui semblait impossible au regard de la raison et de l’État de droit devient possible. Et non seulement possible, mais applaudi voire demandé par nombre de citoyens parfaitement respectables qui préfèrent ne pas voir les entailles portées à l’État de droit quand elles se déclinent en dispositions qui confortent leurs opinions.

Les pessimistes ne sont guère appréciés. Ils sont vus comme des empêcheurs de tourner en rond, comme des gens maladivement déprimés qui voient le mal partout. Et pourtant, combien de fois ont-ils eu raison sur les optimistes… Pensons-y, car demain, ce sera quoi ? Un pass pour éradiquer la grippe ? Bienvenue dans une société hygiéniste et invivable.

L’extension du pass sanitaire annoncée par Emmanuel Macron n’aura force de loi que si le Parlement, convoqué en session extraordinaire à partir du 21 juillet, vote en ce sens. J’écris cet article pour demander instamment aux députés et aux sénateurs de réfléchir à la pente liberticide de plus en plus glissante dans laquelle notre pays est en train de s’engager en dehors de tout motif sanitaire impérieux sous couvert de lutter contre la pandémie de Covid-19.

Cet article a été initialement publié sur le site de Nathalie MP Meyer : cliquez ICI 

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