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Emmanuel Macron, après le Conseil européen du 25 mars 2021.
Emmanuel Macron, après le Conseil européen du 25 mars 2021.
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Pas de mea culpa

Ce détournement cognitif est une forme d'abus mental dans lequel l'information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement ou faussée dans le but de faire douter la cible de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale…

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : En admettant qu'il faut savoir rester "humble" tout en refusant de reconnaître son "échec" sanitaire (pourtant souligné par tous les épidémiologistes), Emmanuel Macron a dit tout et son contraire au sortir du conseil européen. Ces propos sont-ils de nature à entretenir la confusion ?

Arnaud Benedetti : Le problème de sa prise de parole, c’est qu’elle intervient dans un contexte qui la rend inopérante, voire contre-productive. Elle a alimenté une énième polémique, au moment où Angela Merkel outre-Rhin délivre un message d’humilité absolue et de reconnaissance de sa responsabilité exclusive dans une prise de décision collégiale, avec les présidents des Landers, concernant les contraintes sanitaires qu’elle entendait relever lors des fêtes pascales. L’autre paramètre de contexte n’est autre en France que l’accélération de la pression épidémique qui entretient un doute sur les choix de l’exécutif. Le Président s’installe dans une posture d’infaillibilité qui nourrit ce sentiment de forfanterie permanente dont il ne parvient pas à se départir et cette disposition à exercer un pouvoir personnel qui clive sa relation à une opinion inquiète et dubitative.

Beaucoup de dysfonctionnements ont marqué jusqu’à maintenant la gestion de cette crise et ils ont sédimenté une perception négative de cette gestion. Aller à l’encontre de cette pente de l’opinion, plutôt qu’admettre sincèrement les erreurs passées - ce qu’une majorité de français est apte à entendre compte tenu du caractère inédit de ce que nous devons affronter - hypertrophie l’image d’un Président enfermé dans ses certitudes et son ego. En matière de psychologie collective, on rajoute la maladresse à la lassitude de la société. Tout se passe comme s’il fallait plutôt sauver la face présidentielle et l’opportunité de sa politique sanitaire que d’accepter la critique et parfois de l’intégrer dans le logiciel de l’action. Ainsi, l’opposition du ministre de la Santé à l’initiative vaccinale du maire de Cannes renforce cette impression d’un exécutif fermé à toutes les formes d’écoutes et crispé sur sa ligne d’avoir "raison contre tout le monde".

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Or, les résultats ne sont pas au rendez-vous, le pouvoir pratique un resserrement des contraintes sans le dire vraiment ou en le disant avec un tel niveau de complexité dans les modalités d’application que tout ceci est difficilement audible. Ce n’est pas contre l’opinion dominante qu’il convient de se battre, c’est-à-dire privilégier une communication de tensions, mais contre le virus, même si on ne peut pas nier qu’il s’agisse de l’objectif du gouvernement et sa volonté. Mais en érigeant l’auto-justification comme la matière première de son expression communicante, l’exécutif suscite l’impression que sa priorité est d’abord politique avant d’être sanitaire. Il crée de manière constante les conditions de la polémique, au lieu de déminer.

Emmanuel Macron est-il un expert du "gas-lighting", ce détournement cognitif dans lequel l'information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l'abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire ou de sa perception des évènements ?

La communication politique a toujours fait de la perception des récepteurs la trame de son travail. D’où au demeurant la méfiance dont elle est nécessairement l’objet dans des sociétés démocratiques et de libre-arbitre revendiqué, et même érigé en principe d’émancipation. Emmanuel Macron n’innove pas dans cette entreprise qui consiste à jouer parfois avec le réel. Edward Bernays, l’un des pionniers et théoriciens des relations publiques, se qualifiait lui-même de "négociant en réalités". C’était il y a presque un siècle. On oublie au demeurant trop souvent que la propagande et ses techniques n’ont pas été historiquement inventées par les régimes totalitaires qui les ont récupérés au sein des régimes démocratiques, notamment au moment de la première guerre mondiale et à la suite de celle-ci.

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Emmanuel Macron, à la suite d’autres, utilise un procédé de rhétorique dont les sophistes ont été à leurs façons les initiateurs : il part d’un élément du réel qui accrédite ses thèses, le sur-souligne au point d’effacer tous les éléments qui viendraient le contredire, et en déroule le fil dans une logique argumentative qui en déduit un raisonnement apparemment implacable quant à sa mécanique mais dont il écarte toutes les interférences qui pourraient l’infirmer. Cette technique là est bien connue, c’est celle de "la cueillette des cerises" ( "cherry picking", en anglais ). Lors de son point-presse faisant suite au dernier conseil européen, il a justifié son choix de ne pas reconfiner en excipant le fait que les modèles épidémiologiques qui lui auraient été présentés projetaient une accélération de la propagation du variant anglais en février. Ce n’était pas le cas, comme se sont empressés de lui répondre les épidémiologistes, notamment ceux de l’Inserm, qui ont rappelé que le point de basculement avait été localisé pour le mois de mars - ce que les faits démontrent.

Emmanuel Macron tire parti d’une alerte, afin de la transformer et de la dévaluer en alarmisme. Pour ce faire, il en modifie verbalement le calendrier de manière un peu grossière pour se recréditer et légitimer son choix de la fin janvier. Ce faisant, le risque qu’il prend est double : il soude une communauté médico-scientifique qui aujourd’hui doute pour une grande part de l’efficacité des mesures gouvernementales ; et il s’expose, en tangentant avec la vérité factuelle, à être contredit quasiment de manière instantanée dans le fact-checking permanent dont les paroles publiques sont désormais l’objet en temps réel. À moins qu’il ne parie sur l’effet "poisson rouge" qui dans une société de l’immédiateté témoigne d’un affaiblissement des facultés de mémorisation. Dans le chaos cognitif ce que l’essayiste américain Vance Packard appelait la "persuasion clandestine" pour qualifier l’une des figures de la com’ trouve là un terreau propice à son éventuelle efficience.

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Et si le "en même temps" macronien, bien plus qu’une ébauche de synthèse politique, était surtout une manière consciente ou inconsciente de faire perdre aux Français confiance dans leurs perceptions ?

Gouverner, c’est hélas aussi manipuler. Le machiavélisme a cassé le morceau en le rendant public. Ce qui au demeurant faisait dire à Rousseau que "Le Prince", par les révélations qu’il opérait, était "le livre des républicains". Emmanuel Macron apparaît assez fasciné, effet générationnel oblige, par tous ces appareillages techno-psychologiques que neurosciences et sciences comportementales offrent en potentialités de maîtrise de ce que l’on appelle l’"architecture des choix ". Ce qui n’exclut pas chez lui un comportement parfois si spontané et libre de parole qui enfreint cette volonté de contrôle.

Il existe aujourd’hui une percée d’une forme de neuro-ingénierie dans la communication, comme il existe aussi un usage des algorithmes pour potentialiser le marketing politique. Tout ceci pourtant reste très incertain et obéit en fin de compte à cette école très fonctionnelle qui nourrit exclusivement la com’ depuis ses origines. La "ruse de la raison" dont parlait Hegel est parfois plus forte que toutes les entreprises de sophistication car les opinions finissent toujours par résister bien plus que ne l’imagine les visions instrumentales de la société et de la communication. Le politique vise certes à produire un récit mais l’épaisseur de l’histoire montre souvent qu’il en est plus souvent l’objet que l’acteur. Au stade où nous en sommes de l’épidémie, Emmanuel Macron est bien plus dominé par les opinions (son discours souvent erratique sur les vaccins en témoigne) ou au moins tout autant qu’il ne peut les dominer. Au demeurant nous ne sommes plus forcément à l’âge des foules que Gustave Le Bon explorait, ni à celui des "publics" que Gabriel Tarde considérait comme l’empreinte des sociétés à venir, mais dans une zone intermédiaire où cohabitent des communautés, des agrégats d’individus aussi, des formes de plus en plus variées et plastiques d’appartenance qui complexifient sans cesse le rapport du politique au corps social...

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